ABDOUL MBAYE, EN TOUTE LIBERTE!

14 - Mai - 2019

Abdoul Mbaye, le premier chef de gouvernement sous le magistère Macky Sall sort du bois. Dans cet entretien accordé en exclusivité à Sud quotidien sur l’actualité politique nationale dominée par les réformes initiées par le chef de l’Etat dans le cadre de sa nouvelle dynamique de gouvernance dite «Fast-track», le président du parti politique l’Alliance citoyenne pour le travail (Act) clame ses vérités. Non sans manquer d’aborder son compagnonnage avec Idrissa Seck dans le cadre de la coalition « Idy 2019 », la question du statut du chef de l’opposition, la sortie du chef de l’Etat le 1er mai dernier sur l’augmentation des salaires des fonctionnaires mais aussi sa candidature aux prochaines locales.

Quelles sont vos attentes par rapport au dialogue politique appelé par le chef de l’Etat et auquel vous avez décidé de répondre dans le cadre du Front de résistance nationale ?

Je dois d’abord préciser qu’on attendait cet appel au dialogue puisque c’est devenu une tradition. Il y a eu dialogue après le référendum du 20 mars 2016, ensuite après les législatives du 30 juillet 2017. C’est donc une habitude de par sa récurrence mais également par sa conception. Ce qui ne nous rend cependant pas optimiste, quant au résultat que ce dialogue va produire puisqu’à chaque fois qu’il y a eu appel au dialogue, séance de dialogue, réunion de dialogue mais il n’y a jamais eu de résultats allant dans le sens du renforcement de la démocratie sénégalaise. Mais à chaque fois, on a pu assister par contre à l’introduction de mesures qui étaient destinées à aider le pouvoir dans le recul démocratique qu’il était en train d’organiser. Je dis cela parce qu’il ne faut pas être optimiste sur les résultats de ce dialogue. Il ne faut pas l’exclure non plus.

Et pourquoi il ne faut pas être optimiste ?

Il est évident comme d’habitude, le président de la République est à la recherche d’objectifs très précis parmi lesquels, je citerais sans risque de me tromper, le constat que le parrainage est inapplicable pour les futures élections tout comme il l’a d’ailleurs jamais été. Mais comme, ils (responsables du régime en place-ndlr) n’ont pas souhaité en réformer la conception, les modalités d’application avant la présidentielle parce qu’il devait servir à l’élimination de candidats à cette élection, il est donc important aujourd’hui de modifier cette loi sur le parrainage en perspective des prochaines échéances électorales. Maintenant, pour ce qui me concerne et mon parti politique, il m’est impossible de m’asseoir à une table de discussion dirigée par Monsieur Aly Ngouille Ndiaye parce que je ne m’assois pas avec quelqu’un qui est l’unique ministre identifié, responsable d’un faux rapport de présentation pour amener le président de la République à signer un décret corrompu qui a permis l’attribution d’une licence d’exploration du pétrole à la société Petro-Tim de Monsieur Aliou Sall. Il y a des choses que je ne peux pas me permettre, non, je ne peux pas me mettre en face de ce monsieur à plus forte raison à discuter avec lui. On a vu également tout ce qu’il a fait lors de la dernière élection présidentielle en matière de fraude sur l’Etat civil, sous sa supervision et sa responsabilité. Non, nous ne serons pas à cette rencontre. Ceci dit, il ne faut pas non plus une politique de la chaise vide de prime abord. Il y a appel au dialogue, ils ont leurs objectifs bien clairs. Il faut voir, si recherchant cet objectif, ils sont prêts à laisser autre chose et ça, ceux qui participeront au dialogue pourront saisir cette opportunité pour faire valoir leur position.

Comment appréciez-vous la décision de suppression du poste de Premier ministre pour imprimer une nouvelle dynamique à la gouvernance politique ?

Nous sommes encore dans ce qu’on appelle de la tromperie et nous n’avons jamais cessé d’être dans la tromperie. Je crois que tous les actes politiques qui sont posés par le président de la République actuel doivent être analysés sous l’angle de la tromperie. Il y a d’abord tromperie à partir du moment où une réforme aussi importante est décidée une semaine après son intronisation, alors qu’elle était absente dans son programme. La tromperie, ce n’est pas seulement faire différent de ce qu’on a dit. C’est également faire ce qu’on n’a pas dit. On est dans la tromperie, parce qu’on dit qu’on va supprimer le poste de Premier ministre pour obtenir de l’efficacité. Mais, en fait, on réduit le pouvoir de l’Assemblée nationale. C’est ça le véritable objectif de ce projet, car l’argument ne tient pas. Comment pouvez-vous conserver le même Premier ministre pendant 5 ans, lui tresser des lauriers notamment au plan de son efficacité, y compris dans les derniers jours ayant précédé l’annonce de la réforme, pour ensuite, tout d’un coup, décider qu’au nom de l’efficacité, parce que ça ne marche pas avec ce Premier ministre, donc avec l’Institution, qu’on va la supprimer. Je crois, quand même, pour avoir été un manager, que lorsque vous avez une organisation, une structure, une institution qui ne fonctionne pas, l’objectif ne va pas être de supprimer la responsabilité, mais de chercher un responsable plus compétent, plus efficace. Donc, on est encore dans la tromperie. Une tromperie pour réduire les pouvoirs de l’Assemblée nationale, pour aller encore plus loin dans le recul démocratique, pour aller un peu plus en avant dans cette dictature écœurée qui est chère au président Macky Sall.

Il y a quand même deux armes dont l’exécutif et le législatif disposaient, notamment de dissoudre l’Assemblée nationale ou de faire une motion de censure, qui ont disparu. Est-ce qu’il n’y a pas là un équilibre ?

Ecoutez… (Il coupe-ndlr). Méfiez vous de l’interprétation de la Constitution qui irait dans un sens favorable à la démocratie sénégalaise. Par contre, appréciez si le Conseil constitutionnel sénégalais est capable de valider ou pas un vœu exprimé par le président de la République. C’est vrai, en apparence, on serait allé vers un nouvel équilibre dans le sens où l’Assemblée nationale ne peut pas faire tomber un gouvernement et le président ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale. Mais, il reste l’Article 52. Le nouvel article 52 qui attribue des pouvoirs exorbitants au président de la République en cas de crise. La crise, ça peut être la cohabitation, demain. Et en ce moment-là, le président de la République ne pouvant plus faire passer ses projets de loi, considérant qu’il y a crise, il dissoudra l’Assemblée nationale. L’interprétation correcte de la Constitution sera confiée à qui ? Au Conseil constitutionnel qui n’a jamais pris une décision défavorable au président de la République, ou plus ou moins favorable à l’opposition, dont on connait la composition et qui est capable, il l’a montré à l’occasion du contrôle des parrainages, de non seulement violer la Constitution en ne considérant pas le parrainage comme une signature d’électeur, de violer son propre texte organisant le contrôle de ces parrainages. Que peut attendre la démocratie sénégalaise d’un tel Conseil constitutionnel ?

Etes-vous d’avis qu’il y a un changement, avec la formation du nouveau gouvernement où on parle de réduction de la taille ou d’entrée des femmes à hauteur de 25%, des jeunes ?

On reste dans la politique politicienne. Je rappelle quand même qu’en 2012, nous avions 25 ministres. On reste dans la politique politicienne, mais on réduit la qualité. On privilégie le travail politique.

Pourquoi dites-vous qu’on réduit la qualité ?

On réduit la qualité parce que j’apprécie les profils des ministres. Il y a d’ailleurs des qualités. Il y a d’abord la qualité par la compétence intrinsèque et il y a la qualité par l’honnêteté. Je ne vais pas me mettre à citer des noms, mais on a récompensé le travail politique. Lequel travail politique dépend de l’utilisation de fonds publics. Lesquels fonds publics ont parfois été détournés et ceux qui ont détourné, y compris lorsqu’ils ont été dénoncés par les rapports de l’Ofnac, se retrouvent p r o m u s aux fonctions de min i s t r e . A l o r s , qu’on ne vienne pas nous dire qu’il y a eu amélioration. Par contre, laissons à toutes ces personnes le bénéfice du doute et voyons ce qu’ils vont réaliser. Mais, vous savez, nous sommes dans un nouveau contexte. Il y avait le gouvernement, aujourd’hui, il y a le président de la République. Le gouvernement, c’est un terme qui a été maintenu, mais qui n’a plus véritablement de sens en l’absence du Premier ministre et de la responsabilité du gouvernement devant les élus du peuple, c’est-à-dire l’Assemblée nationale. Maintenant, il n’y a plus qu’un seul interlocuteur, c’est le Président de la République. Il choisit ses collaborateurs : les premiers d’entre eux sont des ministres. Alors que l’on cesse de porter des opinions sur la compétence de tel ou tel ministre. Quand ça marchera, ce sera le président de la République. Quand ça ne marchera pas, ce sera le président de la République et il faut que les Sénégalais se mettent bien dans cette dynamique.

Comment appréciez-vous la décision du président de la République de scinder en deux départements le ministère de l’Economie et des Finances ?

On peut par des modifications structurelles obtenir un peu plus d’efficacité mais sincèrement, à mon avis, l’essentiel ne se situe pas là. Ce qui est dramatique et qui doit quand même attirer l’attention, c’est que les finances du Sénégal depuis que Macky Sall est arrivé au pouvoir dépendent de politiciens, ça par contre c’est quelque chose d’important à noter parce que c’est une évolution dans la pratique démocratique sénégalaise, la pratique gouvernementale sénégalaise et c’est plutôt cela qui doit attirer l’attention.

Que vous inspire la sortie du chef de l’Etat le 1 er mai dernier qui a clairement marqué son refus d’augmenter les salaires des fonctionnaires ?

Je pense d’abord qu’il y a une manière d’expliquer ou de justifier l’impossible. Il ne faut non plus jamais fermer la porte de manière définitive et voyez-vous, il faut surtout éviter de créer de l’injustice sociale, de la différenciation dans les traitements. Vous avez les mesures qui sont prises tous les jours qui ont des incidences en matière de masse salariale distribuée. Il est exact que ça ne peut pas avoir l’impact immédiat d’une augmentation généralisée de salaires au sein de la fonction publique par exemple mais quand on décide d’être dans de l’économie, dans de la rigueur, il faut que celui-ci soit perceptible partout. Il faut que ça se fasse avec justesse et justice. Vous direz que ce sont des détails mais c’est à prendre en compte, des nominations d’Inspecteurs généraux d’Etat sans passer par les concours. C’est vrai que ça a déjà été le cas parfois avec des choix qui étaient difficilement contestables mais là, apparemment, c’est pour créer des rampes de situation à certaines personnes. Quand on décide également d’augmenter l’âge de la retraite de certaines catégories de travailleurs ou de salariés de l’Etat, il faut également justifier parce que ça a des conséquences sur la masse salariale. Il faut à ce moment-là également pouvoir expliquer, justifier pour que ceux auxquels on refuse des augmentations puissent mieux le comprendre et puis surtout quand on est en mesure, en situation d’ajustement ou de contraintes portant notamment sur les conditions salariales, il faut que tout le monde en est bien conscience et le vive. Le gaspillage éhonté de ressources à tous les niveaux par l’Etat du Sénégal, par le Président, chef de parti, on a vu ce que ça a pu donner à l’occasion des élections présidentielles, il faut y mettre fin. L’ajustement, ça ne doit pas être sur les salaires. Ça doit apparaitre partout. Vous me direz oui mais regardez, ils sont en train de réduire le nombre de voitures, ils sont en train de rationaliser le nombre de passeports diplomatiques. Vous savez, le problème du journalisme sénégalais, c’est qu’il est trop vite amnésique. Je vous invite à retourner au premier conseil des ministres de 2012 tenu, le mois d’avril, et vous verrez que nous étions dans la même dynamique et que nous avions obtenu des résultats. Je vous invite à lire et à relire le premier rapport d’activités du gouvernement de la République qui a été publié en mars 2013 et vous allez constater les économies qui ont été faites mais là encore on est dans la tromperie. Des efforts ont été faits. Des résultats ont été obtenus. On a arrêté tout ça. On s’est mis dans la dépense épouvantable. On a gaspillé les ressources des Sénégalais puisque aujourd’hui, quand on a l’objectif de se faire réélire à nouveau, on recommence en Fast-track.

Vous étiez, avec votre parti Act, dans une coalition avec Idrissa Seck. Vous avez sorti un livre blanc pour souligner quelques irrégularités et aujourd’hui, on aimerait vraiment savoir jusqu’où ira ce « mariage » ?

Une petite correction, la coalition « Idy 2019 » a présenté la candidature de Monsieur Idrissa Seck à la présidentielle. L’Act n’a pas appartenu et n’appartient pas à cette coalition. Par contre, l’Act a présenté la candidature de son président Abdoul Mbaye qui a été refusé, rejetée par le Conseil constitutionnel. C’est à la suite de ça que nous avons décidé d’apporter notre soutien plein et entier au terme de procédures objectives qui ont été conduites au candidat Idrissa Seck et notre collaboration avec la coalition « Idy 2019 » s’est arrêtée avec la production du rapport public sur l’élection présidentielle. Par contre, on continue d’être ensemble au sein des regroupements de partis politiques d’opposition et notamment le Front de résistance nationale. Nous sommes en bonne entente avec tous les partis de l’opposition véritable.

Pour les élections locales, peut-on s’attendre à ce que le président Abdoul Mbaye brigue une collectivité locale ?

On a déjà pris des décisions au niveau de notre parti. D’abord, s’il n’y a pas révision du fichier électoral, qu’il s’agisse de locales ou de législatives, on va vers une catastrophe pour les partis de l’opposition. Il faut lire le rapport public de la coalition « Idy 2019 » pour s’en persuader. Pour notre part, nous avons décidé au niveau des élections locales de favoriser l’émergence de jeunes leaders au niveau des collectivités et dans le cadre d’une coalition que nous voulons cette fois durable et vous en saurez informés très bientôt. Vous savez, je suis en apprentissage politique. Ça ne dure que depuis trois ans pour l’instant mais créer une coalition on intégrer une coalition à l’occasion d’une élection, la quitter au lendemain d’une élection, je pense que ce n’est pas la meilleure pratique politique. Il est bon d’être ensemble avec des partis, des mouvements, avec lesquels vous partagez des convictions profondes pour ne pas parler d’idéologies et en ce moment là, on peut considérer que cette coalition pourra devenir durable. Donc, on mise plutôt sur de jeunes profils, l’implication de jeunes au niveau local pour des candidatures dans le cadre d’une coalition large.

Quelle est votre position sur le statut du chef de l’opposition ?

C’est vrai que j’ai oublié cet aspect. C’est également un des objectifs de ce dialogue. Un objectif très pernicieux parce que c’est une vraie carotte, une carotte qui va diviser parce qu’évidemment, il y aura plusieurs appétits et c’est très habile de ne le faire que maintenant, alors que la Constitution le prévoit depuis 2016/ Mais encore une fois habitué à la tromperie, on est dans la même gamme de la politique politicienne et j’espère que ce ne sera pas un moyen de calmer l’opposition et peut-être même de la diviser.

Lequel des options pour la désignation de ce futur chef de l’opposition opteriez-vous entre le parti sorti deuxième aux législatives ou le candidat à la présidentielle classé second ?

Ecoutez, laissons le dialogue se faire. Le dialogue au moins entre partis d’opposition.

Sud quotidien 

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