ABDOULAYE TINE SUR LA FORCE EXECUTOIRE DE LA DECISION DE LA CEDEAO «EN AUCUN MOMENT, ISMAÏLA MADIOR FALL NE DIT PAS QUE L'ARRET N'EST PAS OBLIGATOIRE»

03 - Mai - 2021

La décision de la Cour de Justice de la CEDEAO sur les droits de l'homme emporte-t-elle force exécutoire au Sénégal ? C'est le débat suscité par l'arrêt de la juridiction sous-régionale invalidant le parrainage, une violation selon elle du principe de libre participation des citoyens aux élections et du secret de vote. A l'origine de ce verdict, suite à un recours de son parti l'Union sociale libérale (USL), Me Abdoulaye Tine est catégorique : le Sénégal ne peut invoquer sa souveraineté pour se soustraire à cette décision. Il prend alors le contrepied d'Ismaïla Madior Fall, professeur de droit constitutionnel et conseiller du président de la République, et d'Oumar Guèye, ministre porte-parole du gouvernement.
«J'ai suivi de loin, depuis Paris, les sorties dans la presse. D'abord, la position du Sénégal par l'intermédiaire du porte-parole du gouvernement, qui disait s'en tenir à sa souveraineté. Et, surtout, suivie du commentaire de notre collègue de la Faculté de droit, conseiller du président, Ismaïla Madior Fall. Alors, ces sorties appellent de ma part deux observations», commence par dire Me Abdoulaye Tine. Le président de l'USL n'est, pour ainsi dire, pas convaincu par les interprétations de l'Etat.
«C'est très malvenu aujourd'hui de dire que le Sénégal est souverain. Je suis désolé, le Sénégal a une souveraineté qui est passée depuis de longue date d'une souveraineté nationale à une souveraineté intégrationniste ou une souveraineté, en tout cas, régionale dans le cadre de la CEDEAO», avise Me Tine, qui explique : «Pour s'en convaincre, il y a aujourd'hui les pièces d'identité internationale. Ce sont des pièces d'identité de la CEDEAO, valables dans tous les Etats. (…) », ajoute-t-il. Avant de faire remarquer : «Et aujourd'hui, le Sénégal a été le premier pays à passer au passeport et aux pièces d'identité biométriques CEDEAO, alors que rien ne l'y imposait, à coups de milliards, et les élections ont été organisées sur la bases des pièces d'identité CEDEAO. Quand on n'avait pas ces pièces, c'est donc sûr qu'on ne pouvait pas voter».

«C'est parce que les décisions de la Communauté sont obligatoires que le Sénégal a été dans la légalité pour intervenir en Gambie»

Si cela ne suffit pas à donner à cette décision son caractère supranational, le leader de l'Union sociale libérale convoque un précédent récent : «C'est au nom de ce même protocole que le Sénégal est intervenu, sur mandat de la CEDEAO, en Gambie pour faire partir Yaya Jammeh. Si le Sénégal n'avait pas ce mandat, cette décision de la CEDEAO, donc obligatoire, il aurait commis, ce qu'on appelle en droit international, une agression armée, il aurait créé ce qu'on appelle une ingérence dans les affaires intérieures gambiennes. Mais c'est parce que les décisions de la Communauté sont obligatoires, s'imposent aux membres, en tant qu'Etats, et aux individus qui tiennent les rênes de ces Etats que le Sénégal a été dans la légalité pour intervenir avec son armée en Gambie», dit-il, soulignant, par ailleurs, «à l'époque, quand il y avait des problèmes en Gambie, il avait donné cette leçon de sagesse à Yaya Jammeh. Il faut qu'il comprenne qu'il ne peut avoir raison sur la communauté internationale, sur la CEDEAO et il faut qu'il pense aux conséquences que pourrait avoir son refus par rapport à la paix et par rapport à lui-même. Donc, je lui répète ses paroles aujourd'hui pour qu'il les applique lui-même».
Et faisant allusion au professeur Ismaïla Madior Fall, il déclare : «D'ailleurs, je salue le fait, quand même, que notre collègue a su raison garder. En aucun moment dans ses écrits, il ne dit que l'arrêt n'est pas obligatoire. (…) Mais il sait qu'aujourd'hui, un arrêt est destiné à être exécuté. Et le fait que le destinataire de l'arrêt fasse des critiques, des commentaires, des dénégations est insuffisant pour ôter à l'arrêt son caractère obligatoire».

«Je considère qu'au Sénégal, on est dirigé par une junte politique»
Allant plus loin, il estime : «Je comprends la surprise du gouvernement ; je comprends leur amertume, leur gêne et, aujourd'hui, leur inconfort parce qu'ils ne s'attendaient pas à cela. Ce qu'ils ont commis n'est ni plus ni moins qu'un coup d'Etat constitutionnel. Aujourd'hui, je considère qu'au Sénégal, on est dirigé par une junte politique, mais une junte tout de même qui est équivalent à junte militaire qui a pris le pouvoir par des élections où le président n'a pas été dûment élu parce que l'élection n'a pas été inclusive, ouverte et démocratique, comme le prévoit le protocole de la CEDEAO».

«C'est un arrêt définitif, non susceptible de recours»
Et de conclure : «Maintenant, ce que je répondrai aussi bien au porte-parole du gouvernement qu'à notre collègue Ismaïla Madior, c'est que je lui rappelle qu'il est professeur de droit, il est dans son rôle, c'est normal. Bien avant l'arrêt, je menais le combat judiciaire face à, au moins, cinq ou six avocats de l'Etat dont deux anciens bâtonniers. En plus de cela, il y avait l'agence judiciaire de l'Etat, qui était aussi dans la procédure. Donc, je ne vais refaire la plaidoirie de ce dossier à travers les médias».
Mais encore : «Je dis que le commentaire en droit est libre, ce qu'il fait c'est un commentaire d'arrêt. Mais, il peut, c'était son travail à la Fac, l'expliquer aux étudiants, ou donner son point de vue. Mais c'est une doctrine, c'est une opinion qu'il émet. Et en aucune manière, ça ne peut pas remettre en cause la décision. Et, ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'il y a la doctrine en droit, il y a le droit positif ; ce qui importe, c'est ce que disent les cours et tribunaux. Maintenant quel que soit le mérite de l'individu qui parle, du moment où ce n'est pas une juridiction, il peut émettre n'importe quelle critique mais cela ne peut pas remettre en cause, aujourd'hui, l'arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO. C'est un arrêt définitif, non susceptible de recours. Donc, la seule voie qui s'offre au Sénégal c'est de se plier à cet arrêt et aux recommandations qui y sont édictées. Et, j'ose espérer que le président de la République le fera dans le délai de six mois».
Ahmed SOULEYMANE

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