BABACAR JUSTIN NDIAYE SUR LES DERNIÈRES DÉCLARATIONS DE SONKO : «ELLES SONT FORTES ET FRAPPANTES»
De son côté, la majorité acquise à Macky Sall n’hésite pas à accuser – implicitement ou explicitement – le député de frayer avec les rebelles casamançais. Au moment où la tension monte au Sénégal à l’approche des législatives du 31 juillet, le chroniqueur politique Babacar Justin Ndiaye critique l’instrumentalisation du conflit, dans un entretien avec Jeuneafrique, que nous vous proposons.
Jeune Afrique : Les propos d’Ousmane Sonko ont été tout de suite qualifiés de séparatistes par ses adversaires. Comment les analysez-vous ?
Babacar Justin Ndiaye : Par ses origines, Ousmane Sonko est autant du nord que du sud du Sénégal. Son discours est donc d’abord politique, et il a d’ailleurs entraîné une riposte de la majorité. Mais le dossier casamançais conditionnant l’unité du pays, je crois que l’on gagnerait à l’utiliser le moins possible dans le débat public.
Depuis son élection à la mairie de Ziguinchor en janvier, Ousmane Sonko semble avoir raffermi ses positions concernant la Casamance et vouloir en faire une région qui fait les choses différemment…
Avant d’être élu maire de Ziguinchor, il était déjà porteur d’un certain nombre de convictions et d’un programme. À la différence de ses prédécesseurs, comme Robert Sagna ou Abdoulaye Baldé, il est issu des rangs de l’opposition dite radicale. Son style et sa démarche se distinguent donc nettement. Cela peut être source d’inquiétude.
Pour qui ?
Pour le pouvoir et pour une partie de la population, de Casamance ou d’ailleurs. Ousmane Sonko a embrayé très tôt sur certaines innovations qui ne sont pas en adéquation avec l’histoire récente de cette région. Par exemple, parler de monnaie locale dans une zone marquée par 38 ans de guerre, c’est ouvrir une fenêtre sur l’indépendance dans l’esprit de certaines personnes. Pour des raisons de pédagogie politique, il aurait dû éviter. Après, il n’y pas de politique sans risque, sans audace, sans retour de flammes ni contrecoups.
Il a toujours présenté Ziguinchor comme une étape clé pouvant le mener vers la présidentielle de 2024…
De fait, sa popularité et ses succès politiques ne sont pas circonscrits à la Casamance. Il y a des maires Pastef [Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité] dans d’autres localités du Sénégal, et sa coalition [Yewwi Askan Wi] ratisse large.
Que penser de ses accusations contre Macky Sall, à qui il reproche de « stigmatiser » les Casamançais ?
Ces déclarations sont fortes et frappantes. Mais ce conflit est trop sérieux pour être convoqué à tout bout de champ.
L’ancienne Première ministre Aminata Touré a dénoncé, elle aussi, les propos d’Ousmane Sonko, en insistant sur les efforts entrepris par Macky Sall. Ce dernier peut-il réussir son pari, à savoir développer la région pour y instaurer la paix ?
Dans les années 1960, le président Léopold Sédar Senghor et son chef de gouvernement Mamadou Dia avaient déjà de fortes ambitions pour la région. La Casamance est coupée du reste du pays par la Gambie. Cette spécificité, qui n’est pas forcément source de cassure, est à prendre en compte lorsque l’on pense le développement de la région. C’est ce qui est en train d’être fait par Macky Sall, qui y a injecté des milliards [de F CFA]. Le problème des Casamançais va au-delà du développement et requiert beaucoup de courage et d’ingéniosité. Ce n’est pas la frénésie et l’agitation qui vont régler le problème. La Casamance est un boulet que le Sénégal traîne mais qu’il doit traiter, et le phénomène Ousmane Sonko reste un détail.
Certains membres de la majorité l’accusent de frayer avec les rebelles, sans toutefois apporter de preuves. Qu’en pensez-vous ?
Ces accusations sont-elles crédibles ou politiciennes ? Je ne sais pas. Mais l’exiguïté de nos pays et l’étroitesse de nos marchés décommandent toute forme de séparatisme. Avec les exemples du Soudan ou du Mali, nous, Sénégalais, devrons faire très attention. Nous ne devons pas tenter le diable ni jouer avec le feu.