CHOIX DE AMADOU BA : LE PARI RISQUE DE MACKY SALL
Le pari de Macky Sall apparaît risqué car le choix d’Amadou Ba crispe une frange de la mouvance présidentielle. Les plus hostiles menacent d’ouvrir un front « anti-Ba » en lançant des candidatures dissidentes. « C’est un greffon qui n’a pas pris. Il n’était pas là au commencement et c’est un fonctionnaire, pas un militant de terrain. On doute de sa capacité à nous faire gagner », s’agace un membre de l’APR. « La guerre n’est pas déclarée au sein de la coalition pour le moment, mais elle risque d’éclater », prédit-il. Un scénario qui acterait la perte d’influence du président sénégalais au sein de sa mouvance depuis l’annonce de sa non-candidature à un troisième mandat.
« Ba a rasé les murs pendant des années pour ne pas qu’on le soupçonne d’avoir des ambitions présidentielles. Résultat, aujourd’hui il manque de légitimité », estime un autre cadre du parti, qui a défendu le choix de Mahammed Boun Dionne. D’autres pointent sa position en retrait des débats politiques, une image jugée bien trop lisse et peu combative. Mais « ce n’est qu’une apparence » prévient un opposant. « Ce n’est pas un apparatchik, mais il sait faire le crocodile. Faire le mort puis bondir sur sa proie quand elle ne s’y attend pas. Il est redoutable », assure quant à lui un banquier d’affaires français qui a côtoyé le technocrate ces dernières années.
Dans les cercles de pouvoir français, la désignation d’Amadou Ba est accueillie avec soulagement après des mois de tensions politiques. « Il a un côté Abdou Diouf, très haut fonctionnaire conscient de ses qualités. Sur le terrain économique, il est tout à fait raccord avec les institutions internationales (FMI, BM) au moment où il faut donner des signes aux bailleurs alors que la manne des hydrocarbures approche. Il a les compétences pour cela mais il connaît aussi la valeur de l’argent et sait comment réunir des fonds pour ses objectifs », se réjouit un observateur étranger.
Désormais, un défi colossal attend l’ex-inspecteur des finances. Il devra maintenir unie la coalition présidentielle créée par Macky Sall en 2012. Et sans doute affronter les candidatures d’autres ténors de la majorité, alléchés par une présidentielle plus ouverte que jamais avec la mise sur la touche d’Ousmane Sonko, le principal opposant et la non-participation d’un président sortant au scrutin. Son aura politique demeure par ailleurs difficile à mesurer en dehors de la populaire commune dakaroise des Parcelles assainies où il est responsable du parti. « Même s’il a porté avec succès la liste de la coalition aux élections législatives de 2017 aux Parcelles, il n’a jamais gagné d’élection en son nom propre, analyse Babacar Ndiaye, analyste politique au sein du cercle de réflexion WATHI. D’ailleurs, aux élections locales de 2022, son parti lui a préféré Abdoulaye Diouf Sarr pour se présenter à Dakar. On ne sait donc pas ce qu’il pèse réellement. »
Cet énarque traîne également l’image d’un homme très fortuné depuis que des images volées parues dans la presse ont révélé la présence d’un ascenseur dans sa résidence dakaroise de trois étages. « Ces photos lui ont fait beaucoup de mal à l’heure où les gens ont de plus en plus de difficultés à vivre décemment. Pourront-ils s’identifier à un homme qui a fait fortune en étant fonctionnaire ? », s’interroge un ancien collaborateur.
Ses détracteurs le soupçonnent par ailleurs, sans en avoir apporté la preuve, d’avoir noué des relations avec Ousmane Sonko, son ancien étudiant à l’ENA, issu comme lui des impôts et domaines. En 2019, ils l’accusent d’avoir financé la campagne de ce dernier arrivé troisième à la présidentielle. Une rumeur tenace qui l’a « particulièrement touché et atteint », a-t-il confié sur plateau télé en 2019.
Désormais, le candidat du pouvoir devra faire convaincre les Sénégalais, notamment les jeunes qui représentent 75 % de la population. Pour rassurer cet électorat frappé par le chômage, Amadou Ba n’aura que six mois pour faire campagne, là où son prédécesseur avait pu sillonner le pays pendant deux ans avant son élection. « En 2012, ce sont les jeunes qui ont fait basculer l’élection en faveur de Macky Sall, rappelle Babacar Ndiaye. Celui qui gagne en 2024, c’est celui qui aura leur oreille. Or Amadou Ba demeure comptable du bilan mitigé de Macky Sall comme l’atteste la recrudescence des tentatives d’émigration en pirogues. Parviendra-t-il à parler à ces jeunes en détresse ? »
Avec Le Monde
Juste fier du bilan du président Macky Sall