Comment l’Etat a perdu 1234 milliards de recettes fiscales en 2017
Le potentiel fiscal de notre pays était estimé à 3079 milliards pour l’année 2017 soit 25,3 % du PIB. Or, cette année-là, le recouvrement effectif de recettes fiscales s’est élevé à 1845 milliards seulement soit une pression fiscale de 15,2 % du PIB. En d’autres termes, l’Etat aurait pu collecter 1234 milliards de taxes supplémentaires, soit une marge de progression de 66,9 % qui représente l’effort fiscal, n’eut été l’inefficience technique dont il a fait preuve. C’est à cette conclusion qu’a abouti une étude sur l’Evaluation du potentiel fiscal du Sénégal publiée récemment par la Direction de la Prévision et des Etudes économiques du ministère de l’Economie et du Plan.
Malgré des efforts énormes consentis dans le domaine de la fiscalité, l’Etat perd encore énormément d’argent. A preuve, sur un potentiel de 3079 milliards de francs, le recouvrement ne s’effectue qu’à hauteur de 1845 milliards de frs. Soit environ 1234 milliards de francs potentiellement recouvrables qui sont perdus par l’Etat. Dans l’étude intitulée « Evaluation du potentiel fiscal du Sénégal », les deux auteurs Arona BA et Youssoupha Sakrya Diagne indexent des inefficiences techniques pour expliquer cette contre-performance en matière de collecte d’impôts. Des inefficiences qui concernent notamment le secteur informel mais aussi les exonérations et réductions d’impôts. « D’après les derniers chiffres disponibles auprès de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, ce secteur (de l’informel, Ndlr) emploie plus de 2 millions de personnes soit 48,8 % de la population active occupée et sa valeur ajoutée est estimée à 41,6 % du PIB. Le manque à gagner en matière de fiscalité imputable au secteur informel est ainsi considérable. L’Etat accorde également d’importantes facilités au secteur privé (exonérations fiscales, réduction d’impôts) pour stimuler l’investissement. A ce titre, le rapport d’évaluation des dépenses fiscales estime ces faveurs à 588 milliards de FCFA en 2014, soit 39,7 % des recettes fiscales et 6,0 % du PIB » expliquent Arona Ba et Youssoupha Sakrya Diagne. Les auteurs du rapport ajoutent que « les facteurs à l’origine de la contreperformance du recouvrement de l’IR pourrait être notamment la main d’œuvre du secteur in- formel, la fraude et l’évasion fiscale ainsi que les facilités accordées par l’Etat sous forme d’exonérations au titre de l’IR ».
Sensibilisation aux obligations fiscales et simplification du système fiscal
Ces inefficiences présumées appellent des recommandations allant dans le sens d’une meilleure prise en compte du secteur informel, d’un renforcement du contrôle fiscal et d’une rationalisation des dépenses fiscales qui représentent 39,6 % des recettes fiscales et 6,02 % du PIB soulignent les auteurs du rapport. A les en croire, « une meilleure allocation des dépenses fiscales pourrait consister notamment à réaliser des économies sur les exonérations accordées au titre de l’IR. En effet, celles-ci sont coûteuses (elles représentent 1,5 % du PIB) alors que les performances au recouvrement de l’IR sont les plus éloignées du potentiel. En outre, pour une meilleure prise en compte du secteur informel, l’administration fiscale gagnerait à poursuivre les efforts allant dans le sens d’une sensibilisation aux obligations fiscales ainsi que de la simplification du système fiscal. Les efforts allant dans le sens du renforcement de la collaboration entre la douane, le Trésor et les impôts doivent se poursuivre notamment le croisement de données entre les deux institutions à travers un identifiant unique. En effet, un tel dispositif constitue un outil efficace de lutte contre la fraude en permettant notamment de confronter les chiffres d’affaires déclarés aux importations et aux données de marché public par liaison informatique. Enfin, de manière générale, les mesures visant à moderniser l’administration fiscale sont à encourager. En effet, elles contribuent à la rendre plus efficace et plus attractive pour une meilleure mobilisation des recettes fisc ».
Le Sénégal, troisième meilleure performance en matière de pression fiscale
Les recettes fiscales présentent une configuration dominée par les impôts indirects prélevés sur le commerce extérieur, notent Arona Ba et Youssoupha Sakrya Diagne. Toutefois, ils estiment que le poids de ces taxes tend à baisser dans le temps notamment sous l’effet des mesures de libéralisation des échanges commerciaux. « Au Sénégal, les revenus fiscaux représentent environ 60 % du total des recettes budgétaires. La structure de ces ressources est dominée par les impôts indirects qui comptent pour près de 70 % des recettes contre environ 30 % pour les impôts directs. En outre, cette répartition montre une certaine dépendance par rapport à la fiscalité intérieure sur biens et services qui représente plus de 50 % alors que la part des prélèvements sur les revenus, bénéfices et salaires reste relativement modeste (environs 27%). Le pays enregistre toutefois la troisième meilleure performance en matière de pression fiscale de la zone UEMOA en 2016 derrière le Niger et le Togo. Il réalise ainsi un taux situé aux alentours de 17 % en 2016 qui reste inférieur au critère de 20 % retenu dans le cadre de la surveillance multilatérale au sein des Etats membres de l’UEMOA » concluent Arona Ba et Youssoupha Sakrya Diagne.
LE TEMOIN