Comment Macky Sall a été rattrapé par l’économie

12 - Juillet - 2019

Le président nouvellement réélu a aussi été victime de son propre jeu politique Le samedi 29 juin dernier, le prix de l’essence Super est passé de 695 FCFA à 775 FCFA le litre, soit 80 FCFA de plus. Quant au gasoil, il est passé de 595 FCFA à 655 FCFA, soit 60 FCFA de plus. Le prix du ciment a déjà augmenté tandis que des hausses sont annoncées sur l’électricité, le prix du transport, le pain... La théorie de l’économiste américain et ancien conseil du président Reagan, Niskanein selon laquelle un chef de l’Etat en quête d’un nouveau mandat a tendance à bloquer les prix pour s’assurer de sa réélection avant de tout faire repartir à la hausse une fois réélu, cette théorie est en train de se vérifier au Sénégal. Au vu des hausses annoncées les semaines à venir sur les hydrocarbures principalement mais aussi sur certains produits de consommation courante, on peut soutenir sans risque que le président Macky Sall a appliqué la théorie ou loi Niskanein. Si certains économistes évoquent cette loi, d’autres convoquent la situation économique internationale sur fond de tension entre les Etats=Unis et l’Iran et aussi de guerre commerciale entre les mêmes Etats-Unis et la Chine. Cela dit, globalement, le consensus sur le rétablissement de la vérité des prix est accepté puisqu’il est gage de stabilité budgétaire. Mais si la vérité des prix ne signifie pas forcément hausse généralisée des prix, il reste que les consommateurs devraient apprendre à adopter des comportements rationnels d’achat de biens de consommation.

Macky Sall a-t-il caché la vérité aux Sénégalais sur la situation économique juste pour s’assurer une réélection en février 2019 ? La question, formulée de cette manière, n’est pas bien posée selon nos interlocuteurs, les enseignants à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (FASEG) de l’Université de Dakar les Dr Idrissa Diandy et Cheikh Ahmadou Bamba Diagne et l’économiste Kadialy Gassama. Des interlocuteurs qui font chorus pour dire qu’effectivement, le rétablissement de la vérité des prix va provoquer une hausse des prix de l’énergie notamment l’essence et le gas-oil, mais aussi des biens de consommation dépendant fortement de l’énergie comme l’électricité, le ciment, le pain. Du fait du renchérissement du prix du fret, certaines denrées importées comme le riz seront également affectées. Le directeur scientifique du Laboratoire de recherches économiques et monétaires de l’Université de Dakar, Pr Cheikh Ahmadou Bamba Diagne estime que « la situation actuelle de notre économie était prévisible. Une année avant l’élection présidentielle de 2019, le président de la République, malgré les tensions financières existantes depuis 2016 au Sénégal et dans le monde, avait délibéré- ment choisi de bloquer les prix pour s’assurer de toutes les conditions pouvant lui permettre de réussir sa réélection. Alors, une fois l’élection gagnée, il faut augmenter les prix pour rembourser les subventions. C’est la loi Niskanein ». Cette approche est jugée normale par ce brillant jeune chercheur. « C’est tout à fait normal que Macky Sall puisse se comporter ainsi parce qu’il n’est plus préoccupé par un autre mandat. Le président de la Ré- publique n’est plus candidat, il ne cherche plus à charmer son peuple. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Parce qu’il savait très bien que baisser les prix de l’électricité, de l’essence et du gas-oil, maitriser le prix du riz ne sont pas des mesures viables à court terme ». Poursuivant, Dr Cheikh Ahmadou Bamba Diagne de la Faseg de Dakar estime que « l’Etat ne peut plus continuer à supporter les subventions, mais nous ne pouvons pas parler d’une hausse généralisée des prix d’autant qu’on peut assister à une fluctuation à la baisse du baril du pétrole, ce qui pourrait remettre en cause toute la dynamique haussière des biens de consommation ». Le directeur scientifique du laboratoire de recherches économiques et monétaires n’écarte pas non plus l’impact de la crise économique mondiale provoquée par la guerre commerciale entre la Chine et les Etats. Une situation qui impacte grave- ment les économies importatrices de biens de consommation comme celle du Sénégal. Le Dr Idrissa Diandy de la Faseg n’est pas loin de soutenir la position de son collègue.

Tension inflationniste mondiale

« L’économie subit partout le cycle politique en cours. A la veille de chaque élection, il y a la prise de décisions irrationnelles comme le blocage des prix. Une fois le président de la République réélu, il va revenir à la vérité des prix. Macky Sall ne fait pas exception dans ce domaine. Il faut noter que, malgré la hausse du baril au mois de mars 2019, l’Etat a maintenu les prix de l’électricité, du diesel et de l’essence. En outre, si l’Etat a une bonne marge pour augmenter les prix des hydrocarbures, c’est qu’il n’avait pas en son temps répercuté la baisse du baril au niveau des pompes » explique le Dr Diandy. Ce dernier n’écarte pas l’impact de la conjoncture internationale marquée par la tension créée par les Etats-Unis qui mènent une guerre commerciale contre la Chine, la situation politique en Iran et en Libye. Sans compter la situation au Venezuela. C’est justement à ce niveau que l’économiste Kadialy Gassama pense que toutes les difficultés actuelles du Sénégal résultent de la tension inflationniste mondiale installée par le président américain Donald Trump. Ce dernier prône le protectionnisme à la place du multilatéralisme. « Donald Trump a remis en cause toutes les règles qui régissaient le commerce international à travers l’OMC. C’est désormais la loi du plus fort matérialisée par la guerre commerciale en cours entre les Etats-Unis et la Chine sur fond de hausses des tarifs douaniers qui entraînent l’inflation mondiale. Nous espérons que les grands dirigeants du monde, qui se sont réunis au Japon dans le cadre du G20 et continuent de faire pression, pourront faire fléchir Donald Trump » sou- ligne Kadialy Gassama

Aller vers la vérité des prix, un processus incontournable
Sur la question de l’ajustement des prix, synonyme de vérité des prix, tous nos inter- locuteurs estiment qu’il est incontournable si le Sénégal veut éviter d’aller droit au mur. « L’impact sur le Sénégal de la hausse des prix de biens importés nécessite un ajustement des prix pour éviter que le déficit budgétaire atteigne des sommets historiques. Le Sénégal ne peut plus faire face à un baril qui est passé de 40 à 70 dollars. L’Etat ne peut plus tenir d’autant que la hausse sur la facture énergétique a des conséquences sur l’électricité, la boulangerie, la cimenterie et sur tous les biens importés par les commerçants. Le Sénégal, tout comme l’ensemble des pays africains, est vulnérable aux variations du marché international. Nous sommes obligés de subir parce que les solutions ne se trouvent pas au niveau de nos Etats, mais par une approche régionale et africaine en renforçant notre unité économique et monétaire » indique l’économiste Kadialy Gassama. Selon cet éminent membre du Parti socialiste, « il faut aller vers la vérité des prix sinon nous allons droit au mur. La hausse des prix diminue le pouvoir d’achat des populations. L’Etat doit alors accompagner les populations par rapport à cette nouvelle situation en mettant en place des politiques d’austérité hardies comme la réduction des dé- penses publiques notamment le train de vie de l’Etat ». Le Dr Cheikh Ahmadou Bamba Diagne pense lui aussi que l’Etat ne peut plus continuer à supporter les subventions. « A mon niveau, je ne parle pas de hausse généralisée des prix, mais une application de la vérité des prix qui peuvent connaître une tendance baissière ou haussière en fonction de la fluctuation du prix du baril du pétrole » souligne le directeur scientifique du Laboratoire de recherches économiques et monétaires à l’Ucad. Le Dr Idrissa Diandy écarte toute idée de souffrance du peuple. « Je préfère l’application de la vérité des prix pour parvenir à une stabilité budgétaire. Les populations devront apprendre à s’ajuster en développant des comportements rationnels dans leurs manières d’achat des biens de consommation. C’est plutôt les investisseurs qui vont subir le plus les contrecoups des effets induits de la situation inflationniste des biens de service. Nous osons cependant espérer que la situation est conjoncturelle et qu’une accalmie pourrait être trouvée sur le contentieux développé par les Etats-Unis contre la Chine et l’Iran. Cela pourrait permettre de revenir à des situations normalisées » conclut, sur une note résolument optimiste, l’enseignant de la FASEG.

Le Temoin

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