CONTRATS ET CODE PÉTROGAZIERS, L’ALIÉNATION EN MARCHE !

05 - Janvier - 2019

Avant que le rêve ne livre la promesse des fleurs, le cauchemar s’installe. Et si donc notre pays devenait le dernier en date dont les ressources naturelles lui ont filé sous le nez, du fait d’une imprévoyance économique doublée d’une impéritie politique ? Les conditions cachotières, non-débattues ni transparentes, ayant présidé à la signature de contrats d’exploration et, éventuellement, d’exploitation d’hydrocarbures, sur notre territoire terrestre et dans nos eaux maritimes, ont presque fini de nous transformer en risée de la planète. Tous les experts petrogaziers en arrivent à se demander comment en plein 21eme siècle le Sénégal se fait-il berner, nolens volens, si aisément?

Les bases de son autoflagellation se trouvent dans des documents souverains étrangement validés par le pouvoir évanescent de Macky Sall: elles sont tant dans les contrats qu’il a signés que dans le contenu du nouveau code petrogazier, en remplacement de celui de 1998, que le régime tente de faire adopter à la hussarde par un parlement-croupion. Ce rush devrait plus qu’inquiéter: il annonce un hallali, le bradage des ressources les plus précieuses fournies par une nature brusquement prodigue envers un pays que l’on avait presque voué a à une damnation pérenne...
Tout semblait être un roman à l’eau de rose en gestation quand, tel un geyser, les mises à jour de quantités non-négligeables de pétrole et gaz ont changé la prospectivité du Senegal. Si bien que dans ses chaumières, invoquant les manes célestes, plus personne n’ose se retenir d’y voir la main des ancêtres. De Dieu, surtout, en récompense à la dévotion de son peuple. Miracle, dit-on ici, sans retenue, béni aussi bien par les cieux que par les entrailles des profondeurs du pays. Le nez fin, les multinationales accourent vers ce qui n’est pas loin d’être une nouvelle frontière du développement.

Et, populistes, les membres du régime en place s’empressent de se poser en porte-bonheur d’un Sénégal, soudain courtisé, brillant de nouvelles couleurs...
On avait dès lors pu penser que ces variantes de l’or noir allaient enfin en faire l’un de ceux ayant fait des prodiges grâce à leur irrigation par ces ressources en hydrocarbures . Ses veines économiques en étaient gourmandes. Dans une folle excitation, le pays s’imaginait déjà dans la ligue des happy few, ces bien-heureuses nations tirées du néant pour se voir propulser vers les cimes les plus fabuleuses. Excrément du diable, sang maudit, comme les exégètes de la malediction des ressources les décrivent, pétrole et gaz, promettent ses dirigeants, auront ici une déclinaison heureuse. Ils vont faire du pays, assurent-ils, un nouvel eldorado.

En passe donc de devenir un État petrogazier, sans être un Émirat, en raison de ce que les découvertes commerciales d’hydrocarbures qui y ont été faites restent encore mineures, le Sénégal est écartelé entre les pratiques aliénantes du début du siècle dernier et celles, nouvelles, d’une industrie mutante, en ce nouveau siècle, où États producteurs et multinationales, principalement les Majors, jouent au plus malin.

Est-ce par excès d’optimisme? Étourderie? Cupidité? Vénalité? Les pas, jusqu’ici posés, n’augurent rien de bon pour la gestion des hydrocarbures de notre pays. En en faisant une analyse au pif, on se surprend à être saisi du sentiment d’être dans un pays qui s’est fait avoir, avec la lâche complicité de ceux qui le gouvernent. Comme s’ils n’avaient rien appris des leçons d’un passé de plus d’un siècle d’exploitation du pétrole et du gaz dans divers points de la planète: des feux sacrés de Bakou en Azerbaïdjan aux puits de Titusville en Pennsylvanie ou dans les terres arides mais gorgées d’hydrocarbures du Moyen-Orient. Ils n’ont rien retenu des remises en causes des contrats léonins signés par William Knox D’Arcy, en 1901, pour faire main-basse, via Anglo-Iranian, sur le pétrole et gaz de l’Iran, en permettant au passage la naissance de l’ancêtre de British-Petroleum. Les luttes menées par les pays ayant formé, en septembre 1960, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ne les ont pas également conscientisés pour qu’ils se souviennent de leur héroïque bagarre destinée à réduire l’omniprésence des Sept Sœurs, les Majors, originaires des pays alors appelés Occidentaux, et qui régnaient en déesses sur leurs ressources. Même l’émergence d’un nationalisme des ressources n’a pas eu d’effet sur eux.

Déclenché en 1969 par le Libyen Moamar Kaddafi, de mèche avec Enrico Mattei, l’emblématique patron de la compagnie petrogaziere italienne, ENI, tué dans un obscur accident d’avion, alors qu’il venait de participer à l’augmentation des prix pétroliers voulue par le nouveau guide de la Libye, ce fut un des moments du réveil des peuples du tiers-monde. On ne doit donc pas s’étonner de leur désintérêt pour comprendre les ressorts ayant provoqué l’appréciation des prix de pétrole et gaz laquelle a émané de la volonté des pays arabes de se venger des soutiens Occidentaux d’Israel, après 1973, à l’issue de l’une des guerres Israélo-Arabes, celle dite du Kippour. Ou de leur flambée après la révolution islamiste iranienne de 1979, point de départ du marché spot dans l’industrie.

Qui pouvait douter, dans ces conditions, que les pays producteurs de pétrole et gaz, devenus plus sages, plus regardants, s’assurant de contrats les protégeant contre leurs voraces interlocuteurs étrangers, investisseurs, dotés du capital et de la technologie pour développer leurs ressources naturelles, était un bon benchmarking pour un pays comme le Sénégal ? C’était, à l’évidence, la voie qu’il se devait de suivre pour ne pas être l’une des victimes de sa...bénédiction.

C’est l’inverse qui se produit. En refusant de gérer les ressources naturelles nationales, de manière transparente, le régime de Macky Sall les a fourguées à des étrangers dans ce qui s’apparente à plus qu’un crime économique. Il s’agit non seulement d’une aliénation de la souveraineté sénégalaise sur son patrimoine public mais d’une haute trahison!

Cette prévarication est du jamais-vu. Avant même d’en connaître les tenants et aboutissants, en catimini, il a servi un aventurier, Frank Timis, en compagnie du frère du Président, qui venait de s’installer. Leur permettant de faire un farm-in, une cession à une firme Afro-Americaine, Kosmos, en empochant une plus-value à plusieurs dizaines de milliards aussi forte que facile. Puis, ce furent, à la queue-leu-leu, le tour d’autres acteurs petrogaziers de se servir, toujours sans que rien ne soit au préalable discuté ni à l’assemblée nationale ni avec le peuple sénégalais.

Se croyant compétent, capable et connaisseur des questions petrogazieres, le régime sénégalais, constitue de pieds nickelés en la matière, s’est hélas emmêlé les pinceaux en se faisant ferrer par plus avisé. Sans même s’entourer d’expertises avérées disponibles à travers le monde, y compris au sein des communautés sénégalaises de l’intérieur et de la Diaspora, il s’est tiré balle sur balle dans ses organes vitaux. La nation, dévidée, baigne dans la mer sanguine resultant de son assassinat. Aucune des bonnes pratiques, pourtant archi-connues, à travers le monde n’y a servi de guide. Elle a été donc conduite à l’abattoir!

C’est à croire si l’objet était non pas d’éviter la malediction mais de l’enraciner dans des contrats aussi toxiques qu’odieux.

Par la stabilisation des termes des contrats, l’inclusion de clauses arbitrales défavorables au Sénégal, le verrouillage des révisions contractuelles permises par les dispositions relatives à la force majeure et aux critères obsolescents dans une industrie hautement cyclique, les multinationales sont passées comme un couteau dans du beurre au soleil, en se jouant du pouvoir sénégalais.

Avec le nouveau Code petrogazier, géré comme une affaire privée, en cachette, le dernier clou sur le cercueil du Sénégal producteur d’hydrocarbures sera planté.

Que faire, à présent, pour reprendre une question de l’on attribue à Lénine ? Les politiciens Senegalais d’aujourd’hui, assommés, comme l’est un peuple dans le cirage, ne savent plus à quel saint se vouer...

Leur réthorique visant à promettre une révision des contrats et du Code relève, sous ce rapport, davantage de pétitions de principes, de formules incantatoires, que de certitudes pour casser l’infernale machine mise en place au détriment de la nation.

Mission impossible. Même la doctrine de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles des États risque de ne pas suffire. Quand bien même elle est consacrée par les résolutions 626, 1803, et 2158 adoptées par l’Organisation des nations-unies (ONU) en 1952, 1962 et 1966, ou, plus tard, par l’Article 18 (1) du Traité de la Charte de l’Energie sous la poussée des pays Est-Européens, à leur sortie du communisme en 1989.

Alors que les pays nantis de ressources naturelles tranchent par leur fierté à négocier avec rigueur et vigueur, nationalisme au vent, en s’appuyant sur les jurisprudences nées d’une longue lutte pour résister à l’aliénation de leurs précieux produits, celui du Sénégal, à contresens de l’histoire, a bradé pour des peccadilles ce que ciel et terre ont voulu donner à un peuple qui ne s’y attendait plus.

Quel gâchis! Surtout que les procédures contentieuses d’arbitrage, notamment par le Cirdi, restent favorables aux investisseurs en plus d’être coûteuses pour un pays comme le nôtre dépourvu d’une fine expertise pour corriger les torts qui lui ont été infligés avec l’aide de ceux qui étaient censés le protéger.

Que même la firme Total, soupçonnée de concussion et corruption, larguée dans une compétition autour de deux blocs géologiques porteurs, ceux de Rufisque offshore, s’en est vue attributaire n’est donc que la preuve ultime de ce que sous le régime liberticide qui le dirige, la souveraineté économique du Sénégal n’est plus qu’une feuille de chou...De nulle valeur pour un peuple dépouillé de son plus attractif patrimoine !

Le régime de Macky Sall en porte l’entière irresponsabilité !

Adama Gaye est journaliste et spécialiste des questions pétrogazières

 

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