Coup d'Etat militaire en Guinée: quelles leçons en tirer ?

07 - Septembre - 2021

​Dimanche dernier, 5 septembre, une unité d’élite de l’Armée a pris d’assaut le palais présidentiel où résidait le président Alpha Condé, 83 ans, président depuis 2010. Il s’agit des Forces spéciales dirigées par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya. Cette arrestation du potentat guinéen venait de mettre fin au règne autocratique du Pr Alpha Condé dont l’avènement à la tête de la Guinée, en 2010, avait été fortement contesté.

La présidence d’Alpha Condé était entachée d’une tare congénitale car son élection le 7 novembre 2010 (soit 4 mois après le 1er tour !) avec ses 52,5 % des voix s’était faite sur fond de fraudes et manœuvres concoctées par la France et une partie de la communauté internationale. Au premier tour, en effet, le 27 juin 2010, Cellou Dalein Diallo, le leader de l’UFDG, avait obtenu 44 % des voix. A l’issue de ce premier tour, nul ne donnait très cher des chances d’Alpha Condé. Avec 18 % des suffrages, il était très largement distancé par l’ancien Premier ministre du président Lansana Conté (44 %).

Quatre longs mois se sont écoulés entre les deux tours (du 27 juin au 7 novembre) ponctués de violences interethniques avant que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ne proclame une victoire miraculeuse d’Alpha Condé, déclaré élu avec 52,5 % des voix ! Bien entendu, ce genre de miracle n’existe qu’en Afrique… Lors de l’élection présidentielle de 2015, il est réélu avec 57,9 % des voix au premier tour devançant son challenger principal Cellou Dalein Diallo qui a eu, lui, 31,4 % des suffrages exprimés.

Des élections entachées de fraudes à grande échelle. N’ayant pas droit à un troisième mandat, Condé modifie la Constitution à la suite d’un référendum organisé le 1er mars 2020 et couplé avec les législatives dans le but de rendre possible une nouvelle candidature de sa part. Après quoi, il se présente le 18 octobre 2020 pour une troisième fois à l’élection présidentielle qu’il remporte au premier tour avec 59,5 % des voix. Entretemps, depuis sa déclaration de candidature jusqu’à sa « réélection », des dizaines de Guinéens sont morts lors de violentes manifestations contre son coup de force institutionnel. Inutile de dire que, depuis le 18 octobre dernier,

Condé était un président illégal, illégitime. Jusqu’à sa déposition dimanche dernier. Dès que les militaires ont arrêté le président guinéen et l’ont conduit dans un « lieu sûr », le premier réflexe des chefs d’Etat de la Cedeao et de l’Union africaine (UA) a été de condamner un « coup de force » et de menacer le nouveau régime de sanctions. Ce pour le contraindre au rétablissement d’une soi-disant légalité constitutionnelle au nom du respect du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de l’instance communautaire. Donc au nom de l’article 1, alinéas B et C de ce protocole, qui dit que « toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes », le putsch des hommes du lieutenant-colonel Doumbouya a été déclaré anticonstitutionnel et contraire aux normes et principes qui régissent la démocratie dans tous les 15 pays de la Cedeao.

Toutefois si l’on se réfère à l’article 19, alinéas 1&2 du même Protocole, qui déclare que « l’armée est républicaine et au service de la Nation, sa mission est de défendre l’indépendance, l’intégrité du territoire de l’Etat et ses institutions démocratiques » l’on peut bien féliciter les putschistes d’avoir été républicains en débarrassant les Guinéens du dictateur Condé !

L’armée au service de la République
C’est quoi être républicain sinon d’aller dans le sens voulu par le peuple, seul dépositaire de la légitimité ? Il était avéré que Condé n’était plus capable de diriger la Guinée. Depuis sa première élection en 2010, Condé n’a pas su respecter ses engagements de sortir la Guinée de la pauvreté et de la misère dans lesquelles elle patauge depuis son indépendance en 1958. La Guinée est l’un des pays les plus riches du monde avec ses potentiels minier et hydrique.

Deuxième pays producteur de bauxite détenant le 1/3 des réserves mondiales de ce minerai, son sous-sol regorge aussi d’or et de diamant. Ses eaux de surface sont évaluées à 226 km³/an et ses eaux souterraines estimées à 13 milliards de m³ environ, auxquelles s’ajoutent des eaux pluviales dont la moyenne annuelle est de 1988 mm. Ce qui vaut à la Guinée son surnom mérité de « château d’eau » de l’Afrique de l’Ouest. Pourtant, malgré ces grandes richesses, la population guinéenne, qui fait à peine 15 millions d’individus, souffre terriblement d’un manque d’eau pour ses besoins vitaux.

Pour se nourrir, la Guinée doit importer chaque année 501 457 901 tonnes de produits alimentaires dont 300 000 tonnes de riz blanc. C’est d’autant plus scandaleux que la superficie cultivable de la Guinée est estimée à 6,2 millions d’hectares, soit 25% du territoire national. Hélas, sur ces 6,2 millions d’hectares, seuls 1.6 million d’hectares sont effectivement exploités chaque année. Avec tout ce potentiel pour faire de la Guinée un eldorado, Condé a passé son temps à monter des projets loufoques et à réprimer toute forme d’opposition.

Sous son magistère, en effet, la démocratie guinéenne a fait d’énormes pas en arrière. Son élection en 2010 et ses réélections en 2015 et 2020 n’ont jamais été des gages de transparence. Les fondamentaux démocratiques ont été sapés et le référendum, les législatives et la présidentielle respectivement de mars et octobre 2020 ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et à chaque forfaiture, il déployait ses forces de défense et de sécurité pour réprimer dans le sang toute tentative de contestation. Les leaders de l’opposition sont alors arrêtés ou gardés en résidence surveillée s’ils ne sont pas mâtés. Combien de fois, Cellou Dalein Diallo a-t-il échappé à la mort orchestrée par la soldatesque d’Alpha Condé ?

Le président guinéen, depuis le début de son règne, a tué plus de 200 de ses compatriotes lors des manifestations. La Cedeao n’a pourtant jamais pipé mot sur ses exactions sanguinaires. On ne touche pas à la souveraineté populaire et c’est sans doute cela qui a incité Doumbouya et ses forces spéciales à se débarrasser d’un chef d’Etat cacochyme qui ne parvenait plus à gérer l’Etat, un Président mégalomane et susceptible qui ne présidait plus aux vraiment aux destinées de son pays. La Guinée était au bord du chaos parce qu’il y a une profonde fracture entre ses différentes ethnies et principalement entre les Malinké, ethnie du président Condé, et les Peuls soutenant son ennemi juré, Cellou Dallein Diallo.

Malgré les violations fréquentes de la Constitution, les répressions meurtrières lors des manifestations de l’opposition, la Cedeao, l’UA et la Nations unies n’ont jamais condamné les exactions sanguinaires de Condé. Jamais les instances communautaire et continentale n’ont flétri ces coups d’Etat constitutionnels qui aboutissent à des 3emandats sur le continent. Elles attendent toujours que la situation bascule pour condamner des coups de forces militaires. Pour notre part, nous estimons que chaque fois qu’un chef d’Etat plonge chaque jour davantage son pays dans les abysses de la malgouvernance, il est du devoir impérieux de l’armée de ce pays-là d’intervenir pour aider à remettre le processus sur les rails. Et assurer de concert avec les acteurs politiques et de la société civile une transition dont la finalité est d’organiser des élections inclusives, transparentes et démocratiques.

Au Niger, quand le président Mamadou Tandja a voulu mettre en œuvre son « Tazarché » (prolongation en langue haoussa) au mépris de la Loi constitutionnelle, de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle, le chef d’escadron Salou Djibo avait pris le pouvoir, assuré la transition et remis le pouvoir aux civils. A l’époque aucun de ses homologues n’avait osé dénoncer les dérives de Tandja. Et lorsque l’armée a pris le pouvoir pour remettre de l’ordre, les chiens de la Cedeao ont aboyé pour condamner un « putsch » qui, en réalité, était une œuvre de salubrité démocratique pour le peuple.

En Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara s’est présenté à un 3e mandat sans que cela émeuve un seul de ses collègues africains. Il a éliminé juridiquement des candidats de l’opposition (Gbagbo, Soro, Blé Goudé) à la dernière présidentielle pour forcer un 3e mandat. Aucun chef d’Etat n’a condamné ces actes anti-démocratiques. La France a même béni ce coup de force constitutionnel de son valet ivoirien.

Récemment, le dictateur tchadien Idriss Déby a été remplacé par son fils qui n’était pourtant pas le dauphin constitutionnel. Motus et bouche cousue du côté de l’UA et des Nations Unies. Le président Emmanuel Macro avait même apporté le soutien de la France audit fils ! C’est pourquoi la condamnation du coup du lieutenant-colonel Doumbouya par le Tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, fait rire puisque cet homme-lige avait fait profil bas lorsque son compatriote, le fils d’Idriss Deby, Mahamat Deby Itno, a fait main basse sur le pouvoir à la suite de l’assassinat de son père. Aucun chef d’Etat africain n’a parlé de légalité constitutionnelle lorsque Deby fils a pris de force le pouvoir laissé par son père.
Pourtant, les mêmes de l’UA et de la Cedeao s’étaient empressés de condamner les tombeurs d’IBK au Mali.

La Cedeao et l’UA des potentats
Mais pourquoi les chefs d’Etat de la Cedeao, donneurs de leçons de démocratie, ne s’autoappliquent-ils jamais cette disposition de l’article 1, alinéa 2 du Protocole de l’instance communautaire qui stipule que « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir » ? Or, combien sont-ils ces chefs d’Etat de la Cedeao qui se sont maintenus au pouvoir en tripatouillant la Constitution ?

Aujourd’hui, beaucoup de ces chefs d’Etat qui demandent aux forces spéciales guinéennes de rétablir la légalité constitutionnelle sont très mal placés pour le faire puisqu’ils ont modifié la Constitution de leur pays pour se maintenir au pouvoir. Les instances continentales n’ont jamais le courage de dénoncer voire de condamner les dérives anticonstitutionnelles des chefs d’Etat aux fins de se maintenir illégalement au pouvoir. Ils attendent que des militaires patriotes se lèvent pour débloquer des situations compromises pour les condamner et les menacer de leurs foudres.

Entre les putschs salvateurs et les tripatouillages constitutionnels ouvrant des boulevards vers des 3e mandats, franchement il n’y a pas d’hésitation à faire : il faut choisir la première option. Les véritables putschistes, ce sont les Ouattara, Condé, Biya, Obiang Nguema, Kagamé, Issayas Afewerki, Faure Gnassingbé, et tous ces chefs d’Etat qui ont fini de s’éterniser au pouvoir. Patrice Talon et Macky Sall utilisent des détours politiques ou des subterfuges judiciaires pour éliminer leurs challengers et essayer eux aussi d’obtenir un 3e mandat alors que les constitutions de leurs pays respectifs le leur interdisent.

Aujourd’hui, le Protocole additionnel de la Cedeao souffre d’une tare originelle. Quand, le 21 décembre 2001, le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance était signé à Dakar, on y notait la présence des chefs d’Etat, archétypes de la mal-gouvernance et de l’autocratie. Gnassingbé Eyadema, signataire du Protocole, avait déjà fait 34 ans de pouvoir, Yaya Jammeh, qui en était alors à sa 7e année de pouvoir en ajoutera 15 autres, Mathieu Kérékou du Benin avait bouclé en 2001 23 ans de pouvoir avant d’en rajouter 5.

Lansana Conté de la Guinée représenté par son Premier ministre, Lamine Sidimé, en était à sa 17e année de règne absolu. Il s’était offert par la suite une prolongation de 7 années. Blaise Compaoré consommait alors sa 14e année au pouvoir. L’autre particularité de ces Présidents signataires d’une charte de la démocratie et de la bonne gouvernance, c’est qu’ils étaient tous arrivés au pouvoir par des coups d’Etat. Dès lors, comment ces potentats pouvaient-ils élaborer un Protocole promouvant la démocratie et condamnant l’accession au pouvoir par des putschs ?

Mamadou Tandja et Abdoulaye Wade, arrivés au pouvoir démocratiquement respectivement en 1999 et 2000, voudront eux aussi effectuer un putsch constitutionnel en voulant briguer un 3e mandat. Le président nigérien sera balayé par un coup d’Etat militaire salutaire, son homologue sénégalais sera emporté par le vote furieux des Sénégalais qui n’ont jamais cautionné le forcing de son 3e mandat. Tous ces exemples pour dire que la Cedeao et l’UA sont des institutions sclérosées victimes du pouvoirisme de leurs dirigeants. Lesquels ont constitué, à travers ces deux organisations, des syndicats d’autocrates qui ne défendent pas les peuples mais leurs intérêts personnels.

Aussi, est-il est temps qu’elles arrêtent de défendre les chefs d’États « tazarchistes » et se mettent du côté des peuples épris de justice et de démocratie. Aujourd’hui le divorce est acté entre les peuples et ces organisations qu’il convient de refonder tout en réorientant leurs missions. Il y va de leur crédibilité et de leur pérennité. 

Le Témoin

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