Critique sur «  Chambre 7 » de Faty Dieng (Par Mafama Gueye)

12 - Octobre - 2020

Le livre « Chambre 7 » de Faty Dieng, «roman» selon l’auteur, a été très bien accueilli par le public. Le livre a pu bénéficier d’une vive promotion, peut-être parce que son auteur vient du monde de la presse ou qu’elle est une présentatrice de journal télévisé très appréciée par les sénégalais pour sa bonne mise et sa conduite professionnelle irréprochable devant le petit écran. Ce qui nous préoccupe dans cette contribution critique c’est bien plus que la personne, c’est le roman lui-même dans sa constitution et sa production.
Si dans le cadre de l’herméneutique, Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher pense que la visée de l’interprétation c’est de recueillir, le psychisme, le génie et la vie spirituelle d’un auteur. Au contraire Frédéric Schlegel, soutient plutôt une herméneutique de l’œuvre, il s’agit de recueillir la pensée de l’œuvre, car il y’a une autonomie du texte qu’il faut saisir, en ce sens que l’œuvre a une personnalité susceptible d’être jugée. Dans cette querelle épistémologique sur ce que doit être l’interprétation, nous nous situons du côté de Schlegel dans la mesure où, comprendre l’auteur, en tant que sujet humain nous parait prétentieux et difficile, or l’œuvre n’étant pas l’auteur lui-même en entier est étudiable en tant qu’objet de connaissance et d’interprétation.

Ce qu’il s’agit alors pour nous, c’est de tenir un discours critique sur l’œuvre de Faty Dieng, « Chambre 7 ». Comme l’exige la démarche critique, intellectuelle, nous avons pris le temps de lire minutieusement ce roman pour pouvoir livrer une critique objective et sans complaisance. Il faut dire que nous reconnaissons à l’auteur le courage d’avoir traité un thème tabou « l’inceste » et tant d’autres thèmes qui exposent les maux qui gangrènent notre société. C’est d’ailleurs en cela, que ce roman s’inscrit dans une trame sociocritique. C’est une véritable satire qui a abordé les vices de notre société avec ardeur et sagacité. Ce courage est à saluer.
Mais si nous en venons, à l ‘Esthétique, elle-même, ce roman reste à désirer. Il faut rappeler que, la littérature véritable qui n’est pas moribonde est celle qui s’interroge sur ses origines, ses limites et ses présupposés. L’écriture, c’est ce travail-là. L’écrivain, en effet, ne se définit pas par le genre de produits signés et qui se vendent sur le marché des textes, si tel est le cas, alors qu’il n’est pas écrivain, puisqu’il n’a écrit sous ce titre aucun « poème », aucun « roman », aucune « nouvelle ». Et la littérature au sens traditionnel des belles-lettres comme jouissance esthétique, doit plaire, susciter le plaisir esthétique avant de remplir toutes autres fonctions.
Ce roman, nous avons l’impression qu’il s’agit d’un vomissement très précipité qui n’a pas pris le temps d’être muri. Dès l’entame de la narration, l’auteur nous emporte dans son récit, dans son long voyage ardu, sans pause de café, avec une absence d’intrigue qui pourrait servir à interrompre le voyage pénible pour nous amener vers un monde plus agréable et plus doux. L’univers romanesque de cet ouvrage est déjà bien tristement monotone et le lecteur ne trouve aucun moment de respirer, de se retirer, de reprendre ses souffles. C’est en cela que le travail esthétique a fait défaut. L’unité du mot n’est pas constituée uniquement par l’ensemble de ses phonèmes, elle tient à d’autres caractères que sa qualité matérielle. C’est en sens que Saussure nous fait savoir que : « Le mot est comme une maison dont on aurait changé à plusieurs reprises la disposition intérieure et la destination..» (Cf : Les mots sous les mots, Gallimard, 1971). Le travail sur les mots, sur le Verbe n’a pas été au point pour pousser l’imagination à dépasser ses limites afin d’accoucher d’une narration romanesque au sens propre, avec toute cette dimension fictive qui s’interpénètre avec la réalité. Ce réalisme vif et automatique de l’auteur qui a fini par escamoter l’affabulation romanesque semble confirmer cette précipitation de sa part, cette volonté implicite de boucler, de bâcler son récit.

En plus de cela, nous avons pu constater beaucoup de répétitions, des mots qui revenaient plusieurs fois dans un même paragraphe là ou l’auteur, avait la possibilité de varier ses expressions avec finesse et créativité. (Il serait intéressant de citer Boileau par soucis d’illustration : «Surtout qu’en vos écrits la langue révérée/ Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée», Art poétique, Chant I, 1674)
L’absence de lieux précis dans une grande partie du récit et le manque de description du paysage où évoluent les personnages ont rendu quelque part difficile le rapport de proximité et de communion que le lecteur devrait avoir avec les histoires racontées et les personnages.(Notez que ce manque de rapport peut être par soucis de déconstruction de la fabrique romanesque mais qu’ici il s’agirait plus d’un manque de subtilité dans l’écriture qu’un renouvèlement de l’esthétique). Les récits pour s’imprimer, et arriver à s’ancrer dans les mémoires ont besoin d’être vivants, ils doivent avoir âmes et corps, pour que le lecteur puisse sentir, et retenir ce qu’évoquent les récits.
Les transitions se sont faites de façon brusque de telle sorte qu’on peut passer d’un univers de récit précis à un autre sans s’en rendre compte , ce qui oblige le lecteur à toujours revenir sur les dernières pages parcourues pour pouvoir se situer dans le récit, c’est à partir de ce moment qu’on sent que l’intrigue n’a pas été à la hauteur pour combiner les histoires sur une même trame sans qu’elles ne s’imbriquent avec désinvolture pour rendre floue la totalité de la narration.

En outre, nous avons pu constater des évocations de lieux très importants dans le déroulement de l’histoire du personnage principal mais malheureusement, ces lieux évoqués brièvement n’ont pas été des espaces de narration, c’est le cas du voyage d’études de Khady Myriam Diop en Afrique du Sud et à la faculté des Lettres où, elle avait entamé ses études avant de voyager. Ces lieux pouvaient bien servir à élargir le champ narratif et surtout donner des thèmes complémentaires à cette œuvre dont la thématique nous semble être très figée.
Le personnage de Khady Myriam Diop est très chargé, même si on peut comprendre, que c’est elle le personnage principal de ce roman, mais le fait qu’elle ait porté tout le poids narratif des histoires a rendu ses dialogues trop longs au moment où il pourrait y avoir un équilibre à ce niveau car l’histoire subjective et personnelle de cette dernière est affilée avec celles des autres personnages qui pouvaient eux-aussi avoir une place beaucoup plus prépondérante dans le déroulement et le dénouement du récit. Certains personnages cruciaux dans la constitution du récit ont été assujettis à un « « trop de silence », c’est notamment le cas de la mère de Khady Myriam Diop, de son oncle et père Moussa qui pourtant sont au cœur du fil de la narration.
Cette production pourrait être un bon roman, plus qu’une chronique, si elle était très bien travaillée dans la forme comme dans le fond. C’est dans cette perspective que Gilles Dileuze, nous dit « Une dialectique des phrases est toujours soumise à la contradiction, ne serait-ce que pour la surmonter ou pour l’approfondir. » Ici, Gilles, nous rappelle la nécessité d’une certaine rigueur dialectique dans l’emploi des phrases pour dépouiller davantage les subtilités liées au déploiement du langage pour rendre le récit romanesque plus accessible.
La créativité artistique a manqué nous semble-t-il à cet effet. En effet, le romancier en tant que démiurge, créateur de mondes et de personnages, qui ne peut pas créer ex-nihilo, c’est-à-dire à partir du néant se doit de se servir de la matière sociale comme prétexte mais aussi de son imagination pour créer le jeu romanesque. Le roman en tant que miroir social doit élaborer des personnages qui ressemblent aux hommes et qui reflètent leurs caractères, leurs mœurs et leur nature humaine. Ce travail d’articulation entre le fictif et le réel, le vrai et le faux, le mensonge et la vérité a fait défaut à cause d’une abstraction, peut-être choisie, de l’auteur, qui a voulu donner «trop» de primauté à la réalité plutôt que de doser son réalisme excessif qui a fini par faire manquer à son œuvre la dimension évasive, qui fait avant tout le charme d’un roman. C’est un style certes, qu’on peut concéder à l’auteur, mais un tel roman dont l’histoire est très tragique et très proche des lecteurs dans leur quotidienneté , un peu d’affabulation aurait permis une lecture plus agréable.
Il faut aussi dire qu’un roman, aussi critique qu’il puisse être, présente des personnages, tantôt modèles ou vertueux, tantôt anti-modèles ou médiocres, ces deux visages du personnage relèvent d’une observation , d’un regard critique que le romancier porte sur la société, alors qu’il nous semble ici, que les personnages sont présentés un peu trop médiocres dans l’ensemble, or que toute société est composée de bons et de mauvais individus.
Toutefois, nous saluons vivement le militantisme de l’auteur, car elle n’a pas su rester les bras croisés et les yeux fermés face aux injustices sociales. Ce roman de par sa dimension satirique a le pouvoir d’une arme qui crache le feu sur les méchants et peut amener aux lecteurs, à la société à une introspection. L’inceste est un mal à condamner à dénoncer et c’est ce qu’elle a fait avec un cri de cœur poignant dans un lyrisme qui touche et affecte tout lecteur. Le rejet de « l’enfant illégitime » innocent est une injustice à laquelle, il nous faut tous combattre sans relâche. Le jugement social sur les « individus » ayant été emprisonné constitue un vrai goulot d’étranglement qui bloque l’insertion sociale de ces derniers qui ont droit à une seconde chance peu importe leurs fautes.
Ce roman, malgré ses imperfections est un miroir qui nous invite à revoir nos rapports sociaux entre individus et nos interactions quotidiennes. Le grand mérite de Faty Dieng, c’est d’avoir creusé l’abcès, c’est d’avoir haussé la voix pour montrer la voie de la droiture. Ce qui fait de ce roman, un magnifique roman malgré tout, c’est sa foi en la vérité, c’est cette invitation à nous pencher sur nos vrais problèmes auxquels nous fermons souvent les yeux par hypocrisie.
Cette critique a pour but d’être objective et constructive sans aucune prétention. Elle voudrait amener l’auteur à reprendre sa plume de la plus belle des manières pour que les prochaines productions soient plus pointues et fines.
Faty Dieng à travers cette œuvre a donné l’espoir d’avoir dans cette nouvelle jeunesse de belles plumes comme celles des grandes prêtresses héroïnes du genre romanesque sénégalais, notamment Mariama Ba, Aminata Sow Fall et Ken Bugul. Nous avons foi en son talent et nous sommes sûr qu’elle nous reviendra plus dense à la fois dans le Verbe et dans l’imagination en produisant d’incontestables chef-œuvres.

Mafama Gueye

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