DESENGORGEMENT DE DAKAR : « MACKY SALL AURA EU LE MERITE DE SE LANCER DANS L’AVENTURE » (ATEPA)

11 - Décembre - 2019

L’architecte Pierre Goudiaby Atepa a assisté à chaque étape de l’hérésie urbanistique de Dakar. Impliqué dans de nombreux projets de villes nouvelles dans plusieurs pays africains, il observe favorablement le projet des deux pôles urbains au sein de la capitale sénégalaise – à Diamniadio et aux abords du lac Rose – souhaité par Macky Sall.

Depuis ses jeunes années dans les ruelles de la Médina – commune du centre de la capitale où ce Casamançais de naissance a grandi –, Dakar est devenue méconnaissable, dévorée par la frénésie immobilière, les embouteillages et la pollution. L’architecte Pierre Goudiaby Atepa, 72 ans, a assisté à chaque étape de cette hérésie urbanistique. Il confie regretter aujourd’hui l’époque de Senghor, « lorsque la hauteur des bâtiments à Fann-Résidences [où il habite] était limitée strictement » et que le littoral de la Corniche-Ouest n’avait pas encore été bradé au profit d’intérêts privés.

Impliqué lui-même dans plusieurs projets de villes nouvelles dans différents pays du continent, cet architecte-conseiller des princes, businessman aux affaires florissantes et ancien président de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) observe favorablement le projet, cher à Macky Sall, de ranimer une capitale à bout de souffle en faisant émerger deux pôles urbains à l’embouchure de la presqu’île du Cap-Vert, à Diamniadio et aux abords du lac Rose. « Dakar mérite d’être revue et corrigée », résume-t-il. Au-delà d’un réflexe de survie face à l’explosion démographique et urbanistique, Pierre Goudiaby Atepa veut voir dans la construction de cette génération de « villes intelligentes » une occasion pour l’Afrique d’inventer ce que sera, demain, une cité moderne.

Jeune Afrique : À quand remonte le projet de désengorger Dakar en créant une ville nouvelle et de faire de l’agglomération une métropole moderne ?

Pierre Goudiaby Atepa : Le constat de l’engorgement de Dakar est ancien. Depuis les indépendances, la population des capitales africaines double en moyenne tous les vingt-cinq ans. Lors de son premier mandat, le président Abdoulaye Wade, dont j’ai été le conseiller spécial, avait donc envisagé de créer un pôle urbain au lac Rose. Je pourrais vous en montrer les plans : il y avait une ville médicale, une ville universitaire… et même un Bollywood sénégalais ! Le projet avait été finalisé et adopté sur le papier, mais les travaux n’ont jamais démarré.

Macky Sall, lui, est passé à l’acte…

Macky Sall aura eu le mérite de se lancer dans l’aventure. Peu après son élection, de très bonne foi, il a souhaité poursuivre ce projet. Il m’avait même convié à l’accompagner lors de deux voyages officiels dans le Golfe, notamment pour concrétiser des partenariats avec des investisseurs qataris.

Lui et son équipe ont finalement choisi de privilégier Diamniadio pour mener ce projet à bien. Mais celui d’un deuxième pôle urbain, au lac Rose, n’a pas été abandonné pour autant. On y trouve d’ailleurs un cadre plus accueillant, en bordure de l’océan et, surtout, le sol y est plus favorable que celui de Diamniadio, composé d’argile gonflante.

Diamniadio se veut une « ville intelligente ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Une ville intelligente sait tirer profit des nouvelles technologies pour réguler la circulation, l’assainissement, l’aménagement global… Elle repose sur la conception de services urbains performants, qui peuvent s’adapter en temps réel et sur le long terme à l’évolution des besoins des collectivités, des citoyens et de l’économie. C’est aussi une ville qui respecte l’environnement en mettant en valeur les espaces verts.

Diamniadio est encore un vaste chantier, où seuls quelques quartiers et bâtiments sont déjà opérationnels. À quelle échéance estimez-vous qu’elle deviendra une ville à part entière ?

« Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome, / Et rien de Rome en Rome n’aperçois », écrivait du Bellay… Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour apercevoir Diamniadio, car nous en sommes au début du projet. Mais je veux croire que ses concepteurs feront prochainement émerger le cœur de ville, qui n’existe pas encore. C’est cela qui permettra de garantir l’épanouissement des habitants et évitera à Diamniadio d’être une simple cité-dortoir. Les tissus d’une ville se forment sur le long terme. On raisonne en décennies, pas en années. Au moins peut-on d’ores et déjà constater un début d’exécution.

Votre cabinet est impliqué dans la conception de projets du même type en Sierra Leone et en Guinée équatoriale. Comment les États les financent-ils ?

En grande partie par la valorisation du foncier. Lorsque vous décidez de délocaliser le gouvernement en un même lieu – un peu sur le modèle de la cité ministérielle à Bamako –, les germes du financement de votre ville nouvelle commencent à apparaître.

Par exemple, dans une zone de 10 000 ha où le mètre carré coûtait 20 euros, le foncier est multiplié par dix dès que le gouvernement y déménage, et, dix ans plus tard, par cent. C’est à partir de cela que l’on peut structurer le financement de ces infrastructures.

Pourtant le cœur d’une vraie ville ne saurait se limiter aux ministères…

Les ministères sont un appât. C’est à partir de là que l’on peut construire des logements pour les fonctionnaires, puis des services publics, des universités, des centres commerciaux, un quartier d’affaires, des lieux de loisirs, etc.

Dakar s’est étendue de manière anarchique. Elle est saturée de constructions, encombrée et polluée. Comment éviter qu’un tel scénario ne se reproduise à Diamniadio ?

Tout est question de volonté politique. Les autorités devront manifester une réelle intransigeance dans l’application des règlements d’urbanisme. Vous connaissez mon combat pour la préservation du littoral sur la Corniche-Ouest, où le domaine public maritime s’est transformé peu à peu en domaine privé maritime.

Il faudra éviter qu’à Diamniadio, comme au lac Rose, n’importe qui puisse faire n’importe quoi, n’importe où et n’importe comment.

L’explosion du prix du foncier, que vous présentez comme un moteur de croissance, n’ouvre-t-elle pas la porte à une spéculation extrême, qui se traduira par nombre de passe-droits et contribuera à reproduire le phénomène que vous dénoncez à Dakar ?

Dans notre métier, la rigueur est essentielle. Regardez l’éboulement qui s’est produit à Bafoussam, au Cameroun, en octobre : plus de 60 morts ! C’est parce que les gens n’ont pas respecté les règlements selon lesquels, sur un flanc de X degrés, on ne peut être autorisé à construire qu’en prenant des dispositions spécifiques. Quand on laisse des gens faire de la spéculation sauvage, la catastrophe n’est jamais loin.

Que deviendra l’actuelle Dakar lorsque Diamniadio sera arrivée à maturité ?

Je suis convaincu que Dakar demeurera la capitale, pour plusieurs raisons. D’abord, des symboles forts s’y trouvent : deux grandes mosquées, la cathédrale, le palais présidentiel, le Parlement, etc. Diamniadio sera sans doute une ville plus orientée vers l’économie, et Lac Rose, une ville plus touristique, avec peut-être des quartiers résidentiels huppés.

Pour que Diamniadio puisse remplir ses objectifs, l’amélioration des transports interurbains est essentielle. Comment appréciez-vous les projets du train express régional (TER), déjà bien avancé, et du bus rapid transit (BRT), qui vient tout juste d’être lancé ?

Ce sont des projets pertinents car l’un des problèmes majeurs de Dakar, c’est l’absence de fluidité du transport urbain. Or une ville ne peut aspirer au statut de ville intelligente si elle est incapable de réguler ses transports. Un bémol toutefois concernant le TER : le coût du projet me semble exorbitant.

Dakar manque cruellement d’espaces verts. Est-ce rattrapable ?

Nous avons nous-mêmes fait des propositions visant à détruire certains bâtiments du centre-ville pour aménager des espaces verts et piétonniers. Mais là encore, il faut une volonté politique très forte, car le foncier y est tellement onéreux que les gens préfèrent poursuivre dans la voie de la spéculation. Aujourd’hui, on s’apprête à réserver des couloirs aux BRT. Mais quid des piétons ? À Dakar, rien n’a été prévu pour eux, si ce n’est sur la corniche.

Quelles expériences vous marquent le plus sur le continent en matière de villes nouvelles ?

J’ai été impressionné par certaines initiatives, très bien pensées, qui ont été menées au Maroc. On y a créé de petits pôles urbains très structurés, articulés avec le développement de nouvelles activités industrielles.

Votre groupe réfléchit avec les autorités congolaises à un projet d’extension de Kinshasa…

Derrière ce type de projets de villes nouvelles, nous avons la volonté, partagée par les chefs d’État concernés, de dessiner l’Afrique du futur. Notre ambition est d’esquisser le visage d’un continent qui, non seulement, regarde vers l’avenir, mais qui, surtout, donne le tempo de ce que demain sera. Le continent n’est pas condamné à être à la traîne, c’est à lui de montrer l’exemple de ce que doit être une cité moderne.

Cinq références d’Atepa

• Monument de la Renaissance africaine, à Dakar

• Siège de la BCEAO, à Dakar

• Siège de la Cedeao, à Lomé (Togo)

• Aéroport international de Banjul (Gambie)

• Place de la Nation, à N’Djamena (Tchad)

Capitales bis

En Sierra Leone, le groupe Atepa vient d’être retenu pour assurer la conception d’une extension de Freetown sur l’autre rive de l’estuaire. Le groupe, qui a par ailleurs conçu la ville de Malabo II, en Guinée équatoriale, espère que sera très prochainement officialisé le choix de sa conception d’une « annexe » de la capitale congolaise, Kinshasa. Déjà modélisé en 3D, le projet devrait être présenté avant la fin du mois de décembre au président, Félix Tshisekedi.

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