El Hadj Ibrahima Sall en terrain miné

26 - Juillet - 2019

En voulant trop bien faire en matière d’évaluation et de suivi des politiques et programmes publics à travers la création de la Commission CES3P dirigée par l’ancien ministre socialiste du Plan, El Hadj Ibrahima Sall, le président de la République ne va-t-il pas installer la cacophonie au sein de l’Administration ? En effet, on a l’impression — confirmée du reste par les spécialistes ! — qu’il y a, au sein de cette Administration, un trop-plein de structures chargées d’évaluer les politiques et programmes publics. Des structures comme le Bureau Organisation et Méthode (BOM), l’Inspection générale d’Etat (IGE), le Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal Emergent (BOSS), le Contrôle financier, la Direction générale du Plan ont toutes, dans leurs attributions, un volet relatif à l’évaluation et au suivi des politiques et programmes publics ! Face à une telle cacophonie et aux chevauchements induits par ces dédoublements de structures dont les compétences s’empiètent les unes les autres, les spécialistes estiment que la priorité pour le président de la République devrait être de mettre de l’ordre dans ces structures, délimiter les attributions afin d’éviter des dédoublements et des conflits de compétence.

Les règles d’organisation et de fonctionnement de la CeS3P fixées par décret du 08 avril 2019 indiquent que « la Commission est un organe de contrôle stratégique et opérationnel sous l’autorité du Président de la République. Elle est un instrument de pilotage de la performance et d’appréciation de la pertinence des Poli- tiques, Programmes et Participations publics ». il est dit aussi qu’elle assiste le Président de la République et le gouvernement dans la conception, la définition des réformes engagées contribuant à l’amélioration de la performance des administrations publiques et la pertinence des politiques. L’économiste El Hadj ibrahima Sall, nommé hier en Conseil des ministres à la présidence de cette commission, suivra pour le chef de l’Etat tout dossier à lui confié, en particulier, celui de la monnaie de la Cedeao et les réunions présidentielles du G-process. Pour ce qui est de sa composition, la Commission sera animée par un groupe de 30 membres répartis de la sorte : 1/3 d’experts indépendants, 1/3 d’experts de la haute Fonction publique et 1/3 d’experts du secteur privé. La CeS3P est organisée en trois pôles (Pôle Politiques Publiques, Pôle Programmes publics, Pôle participations publiques). Cette nouvelle Commission est-elle la solution-miracle trouvée par le président de la République pour répondre à la problématique de l’évaluation et du suivi des politiques et programmes publics ? Dans la note d’orientation de la CeS3P, le gouvernement a cherché à s’expliquer par rapport à l’opportunité de la structure. « L’évaluation apprécie la pertinence des politiques publiques. Cette double mission de pilotage et d’évaluation de l’action publique constitue un domaine majeur pour le Président de la République » souligne la note d’orientation. Le document ajoute qu’ « il a été remarqué de plus en plus que les politiques publiques s’effectuent par des nouveaux canaux, telles que les politiques industrielles et les politiques d’emploi qui s’opèrent par le truchement des prises de participation publiques dans des grandes entreprises et les montages de type concessif (PPP). Le suivi externe et l’évaluation externe des participations publiques permettront au Président de la République de s’assurer de la bonne tenue du portefeuille de l’Etat, de détenir un levier essentiel de la politique industrielle et d’améliorer la gouvernance des organisations publiques ». la Commission Sall sera donc un organe de contrôle stratégique et opérationnel externe aux ministères à la disposition du président de la République.

Obsédé par la question, le chef de l’Etat n’a cessé de réitérer en Conseil des ministres la nécessité de procéder au suivi et à l’évaluation des politiques publiques. Il semble toutefois qu’il n’a jamais eu de satisfaction à ce niveau. Ses directives pour l’évaluation de l’action gouvernementale n’ont jamais été respectées par les structures compétentes. Or, une action gouvernementale sans évaluation ne permet pas lire l’efficacité et la portée de tous les programmes mis en place par un pouvoir politique. « Le président de la République a toujours été confronté à deux problèmes. Il s’agit de la remontée de l’information et de l’évaluation et du suivi des directives. Le gros problème de l’Etat est l’évaluation des politiques. Si le Plan Sénégal Emergent avec son Bureau opérationnel dédié ne pose pas de problème, c’est surtout au niveau des ministères que la situation est préoccupante. Les cellules d’études des ministères sont gérées par des techniciens dont les compétences ne sont pas avérées dans la prise en charge du suivi et de l’évaluation des investissements réalisés dans les programmes publics » souligne le docteur en télécommunications Alassane Ba. Ce dernier pose la problématique de l’autonomie des techniciens des cellules d’études et de suivi des ministères. « Pensez-vous que ces techniciens ont le courage d’évaluer négativement des programmes d’investissement qui enfoncent leur ministre ? Ce n’est pas possible ! C’est pourquoi, le Président de la République ne peut pas être informé du suivi et de l’évaluation des programmes publics. Cela pose un problème d’autonomie des techniciens dans l’évaluation » ajoute notre interlocuteur. S’il apprécie l’avènement de la Commission Sall, il redoute la redondance entre les différentes structures chargées des mêmes missions et un manque d’efficacité par rapport au Bureau organisation et Méthode, à la Direction générale du Plan, mais aussi aux cellules d’études et de suivi des ministères.

Un ancien du BOM parle d’un Etat
« qui fait n’importe quoi »
« Notre Etat fait du n’importe quoi parce que les attributions données à la Commission Sall sont déjà exercées par certains services comme la Direction générale du Plan et le Bureau Organisation et Méthode qui ont pour mission d’évaluer les politiques publiques de l’Etat. Ils le font assez bien, alors je ne vois pas la nécessité d’aller créer cette super structure qui va rassembler des experts qu’il faudra bien payer. Autrement dit, la Commission va se superposer à des structures qui existent déjà !» souligne un ancien du BoM sous l’anonymat. Selon ce haut fonctionnaire qui a blanchi sous le harnais de l’administration, « le problème du président de la République, c’est qu’il ne suit pas les recommandations des structures de l’Etat qui s’activent dans l’évaluation des politiques publiques. Je suis très sceptique par rapport à l’organisation actuelle des structures de l’Etat notamment en ce qui concerne le décret de répartition des services de l’Etat paru dans le Soleil le 08 avril dernier. Les gros titres comme Réforme, simplicité, souplesse annoncés comme accompagnant la nouvelle dynamique de modernité de l’administration sont que du saupoudrage. Rien n’a été fait. Au contraire, nous allons vers des goulots d’étranglement parce que le décret de répartition ne fait que superposer des structures dont certaines, qui étaient à la Primature, sont amenées à la Présidence, d’autres au Secrétariat général du Gouvernement. Il n’y a pas d’intégration. Normalement, on aurait dû avoir moins de structures si on avait fait des efforts d’intégration et de fusion entre les différentes structures. Or, ceux qui ont procédé à cette répartition n’ont fait que transférer par ici ou par là. Aucune structure n’a pas été supprimée. Il n’y a pas encore de réformes. Le secrétaire général du Gouvernement ne devait pas exister parce qu’il n’y a plus de Primature. On devrait retrouver tout au niveau du secrétariat général de la Présidence. Le secrétaire général du Gouvernement va se retrouver à coordonner le travail de près de 30 à 40 structures. Est-ce que c’est possible humainement ? On va retrouver la même chose avec le Secrétariat général de la Présidence. On parle de fast track mais en réalité, dans les faits, ça va être très lourd et difficile » conclut l’ancien du BoM.

Risques de cacophonie,
le BOSS du PSE, l’IGE... affaiblis
« Tout ce que nous avons fait au BOM est en train d’être remis en cause. Le BOM a toujours fait de l’évaluation des politiques publiques. Aujourd’hui, le Sénégal s’est doté du Plan Sénégal Emergent qui prend en charge toutes les politiques publiques fusionnelles. Or, au sein du PSE, le BOSS est en charge de l’évaluation des politiques publiques. D’ailleurs, à chaque Conseil des ministres, le ministre en charge du PSE fait l’état d’évaluation des projets. Et souvent, en Conseil, le président de la République interpelle directement les ministres sur le suivi des dossiers. Dans tous les cas, il y a des risques de doublons. C’est le cas des agents de l’IGE et du Contrôle financier qui, après des missions, soumettent leurs rapports au président de la République. Ce dernier, s’il décide de transformer les recommandations ces rapports en directive permet ipso facto à l’IGE et au Contrôle financier de faire dans le suivi des politiques publiques » souligne un autre ancien du BoM. Notre interlocuteur s’interroge sur les vraies raisons de la création de la Commission d’évaluation et suivi des politiques et programmes publics (CeS3P). « Certes, on me dira que les niveaux de suivi ne sont pas les mêmes, mais on ne peut mettre sous silence le fait qu’il existe des structures qui pouvaient accomplir cette évaluation quotidienne des politiques et programmes publics. Le Gouvernement gagnerait à clarifier le rôle de la CES3P pour éviter la cacophonie ou les doubles emplois parce que la situation peut affaiblir le BOSS du PSE, le BOM, l’IGE, le Contrôle financier » ajoute notre interlocuteur. Dans cette cacophonie et ces chevauchements multiples entre structures chargées d’assurer l’évaluation et le suivi des politiques et programmes publiques, espérons au moins que les millions de la Commission el Hadj ibrahima Sall seront clairement délimitées afin qu’elle ne se perde pas dans les méandres d’une administration qui a tout l’air d’un maquis touffu

Le Témoin

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