ELECTIONS PRESIDENTIELLES, ATTENTION A L’ARNAQUE ! (PAR IBRAHIMA THIAM)
Après avoir navigué depuis son indépendance en 1960 sur une mer d’huile, le Sénégal va-t-il aujourd’hui devoir faire face à des creux de dix mètres et une tempête électorale ? Ce qui vient de se passer avec la décision du chef de l’Etat Macky Sall de reporter sine die l’élection présidentielle prévue ce mois-ci a fait l’effet d’un coup de tonnerre, non seulement dans le pays, mais également au sein de la communauté internationale. Ce report est au demeurant inédit dans un pays réputé depuis plus de cinquante ans pour sa stabilité politique et son exemple en matière de démocratie.
Alors certes, la commission d’enquête voulue par le Parlement nous dira si, comme les soupçons le laissent envisager, deux juges du Conseil constitutionnel ont été corrompus en prévision du scrutin électoral, avec ces questions en suspens : par qui ? pourquoi ? et à combien se sont élevés les deniers de Judas ?
C’est essentiel et la démocratie est à ce prix.
Mais au-delà de cela, une question se pose, pourquoi cette précipitation de Macky Sall à annuler la présente consultation électorale et la différer ? Certains crient déjà au coup d’Etat constitutionnel et Macky nous a habitué à ce genre de tripatouillages institutionnel. Est-ce pour lui, en remettant ainsi tous les compteurs à zéro, une façon de permettre à Karim Wade, évincé pour cause de double nationalité, de nouveau postuler à la magistrature suprême ? C’est d’ailleurs de ce dernier qu’émane la demande du report. Ou n’est-ce pas plutôt pour écarter son actuel Premier ministre Amadou Ba avec lequel, selon certaines rumeurs, il serait au plus mal ?
Il a bien fallu une raison majeure pour en arriver là ? Car même le décès il y a plusieurs années d’un juge du Conseil constitutionnel n’avait pas empêché la consultation d’avoir lieu. Quelle est cette raison ? Il faudra bien la connaître aussi.
Cette élection a d’ailleurs montré l’ineptie du système actuel des parrainages, qui est une véritable usine à gaz. Imaginez un peu : le premier candidat à déposer sa liste est validé, alors que le second sera invalidé si l’on découvre qu’une même personne a parrainé plusieurs candidats … au motif que pour le premier on ne peut pas effectuer la vérification, et pour cause, il est le premier et qu’il n’y a pas de comparaison possible ! Ubuesque ! La CEDEAO elle-même ne s’est pas privée de dire tout le mal qu’elle pensait de ce mode de désignation des candidats.
Par ailleurs réfuter la candidature de Karim Wade, au motif qu’il avait eu, quelques temps auparavant, la double nationalité franco-sénégalaise, et ce malgré sa mise en conformité, alors qu’on découvre aujourd’hui qu’une candidate, retenue, a, elle, toujours une double nationalité, est proprement scandaleux. La loi sénégalaise stipule en effet que tout candidat doit être sénégalais et sénégalais seulement.
Enfin, découvrir que les vérifications sur la légalité des candidatures, faute de moyens, ne sont pas effectuées par le Conseil constitutionnel, organisme par définition indépendant, mais à des fonctionnaires à qui il a confié cette mission, n’est pas sérieux et relève de la plaisanterie.
Alors oui, d’accord pour « on efface tout, et on recommence », mais attention à ce que l’arbre ne cache pas la forêt, et que derrière cette annulation des élections de février ne se cache pas des desseins politiques inavouables.
Ibrahima Thiam
Président du mouvement Un Autre Avenir
Conseiller spécial du candidat Abdoul Mbaye