Exploitation pétrolière et gazière : l’Etat, le grand perdant !

30 - Janvier - 2024

Le Sénégal, outre les taxes, les redevances, les impôts sur les sociétés et les impôts sur le revenu des salariés ne bénéficie que de 10% du cost oil et 25% du profit oil ou benefit oil ou recettes pétrolières perçus après la vente du pétrole brut. Ce qui constitue une atteinte à l’intérêt national en ce sens que « le pétrole et le gaz se trouvent sur le sol sénégalais et appartiennent au peuple sénégalais », déplore l’avocat au barreau de Dakar, Maitre Henri Valentin Blaise Gomis, par ailleurs spécialiste en management de l’énergie et des ressources pétrolières. Non sans manquer de préciser que même si les dispositions du Code pétrolier de 2019 sont d’application immédiate pour toutes les activités pétrolières et gazières sur l’étendue du territoire national, il n’en est pas moins singulier de constater qu’aucun nouveau contrat n’a été conclu depuis l’avènement de ce code.

Le débat sur la gouvernance des ressources pétrolières et gazières est loin de s’estomper. Cette fois, c’est l’un des deux spécialistes en la matière au Sénégal, en l’occurrence Me Henri Valentin Blaise Gomis, avocat à la Cour et par ailleurs 1er secrétaire de conférence, titulaire d’un master 2 en management de l’énergie et des ressources pétrolières entre autres qui, après avoir analysé la part contractuelle du contractant et celle de Petrosen dans les différents blocs attribués, fait constater que celle de Petrosen dans tous les blocs en activité est de « 10% ». Au nombre de ces blocs : Diender; Djiffère offshore; Cayar offshore profond; Saint-Louis offshore profond; Cayar offshore shallow; Rufisque offshore profond; Zone ultra profond (Udo); Saint-Louis offshore shollow; Rufisque offshore; Sangomar offshore; Sangomar offshore profond. Et d’évoquer dans la foulée l’ouvrage de l’opposant Ousmane Sonko intitulé « Pétrole et gaz au Sénégal : Chronique d’une spoliation » et dans lequel celui-ci déplorait en son temps le faible pourcentage détenu par le Sénégal sur les contrats des ressources pétrolières et gazières. Aussi avait-il dit : Malheureusement, nous ne détenons que 10% sur ces ressources pétrolières et gazières ». Un chiffre que l’Itie avait récusé en soutenant qu’ : « En aucun cas, dans les contrats pétroliers en vigueur, le Sénégal ne cède 90 % des revenus pétroliers aux compagnies internationales pour ne garder que 10 % ».

Pour Me Gomis, la réalité des choses montre à suffisance « les contrevérités portant sur la part du contractant et de Petrosen dans tous les Contrats de recherche et de partage de production (Crpp). A l’en croire, « des soi-disant techniciens pétroliers soutiennent, qu’en regroupant les parts issues du profit pétrolier (profit oil) et des différents impôts et taxes, additionnées à celles de Petrosen (qui est une société étatique), l’État sénégalais peut engranger entre 50 % à 60 % des revenus pétroliers, selon plusieurs experts interrogés par Africa Check ».

Partant du raisonnement de Petrosen, il observe que les revenus de l’État dans les contrats de recherche et de partage de production proviennent de trois sources, à savoir la part de la société nationale Petrosen (10 % portés en phase d’exploration et jusqu’à 18 % à 20 % en phase de développement et production) ; la part de l’État sur le profit pétrolier (revenus après déduction des investissements c’est-à-dire du cost oil ou coûts pétroliers) qui dépend du niveau de production journalière (article 22 des contrats) ; et les différents impôts, les redevances, les loyers superficiaires et taxes.

ET Me Gomis d’apporter des clarifications sur la notion de « participation ». Selon en effet l’Itie, la participation de Petrosen aux opérations pétrolières dans les contrats en cours de validité, notamment ceux régissant les blocs dans lesquels des hydrocarbures ont été découverts (Saint-Louis Offshore profond, Cayar Offshore Profond et Rufisque Offshore Sangomar Offshore Sangomar Offshore Profond) est tirée de l’article 24 des Crpp. Or, l’article 24 desdits contrats indique que « la participation de Petrosen de 10% lui confère tous les droits et obligations du contrat en phase de recherche, sans pour autant entrainer pour la société pétrolière nationale, de participation aux dépenses et charges encourues par les entités qui ont contracté avec l’Etat », tient-il à souligner. La quote-part de Petrosen pour les engagements de travaux et les frais liés au Contrat est en effet supportée par les autres entités constituant le contractant. C’est la raison pour laquelle on parle de participation « portée » par Petrosen en phase de recherche, car elle ne débourse aucun franc. Me Henri Valentin Balaise Gomis de préciser qu’en phase de recherche, « Petrosen ne débourse aucun franc ». Mais, en cas de découverte, d’exploitation et de développement du pétrole et du gaz, l’article 24 sus-évoqué stipule que lors de l’entrée en vigueur de l’autorisation d’exploitation relative à un périmètre d’exploitation, Petrosen a l’option d’accroitre sa participation (sa contribution ou ses dépenses) aux risques et aux résultats des opérations pétrolières dans ledit périmètre d’exploitation. Ainsi, conformément aux dispositions des contrats régissant respectivement les blocs de Sangomar et de Saint-Louis, Petrosen a porté sa participation à 18% dans Sangomar et à 20% pour le gisement de gaz naturel de Grand Tortue/Ahmeyin (Gta). Cela signifie que « Petrosen participera à hauteur de ces pourcentages dans les coûts de développement de ces deux projets, et se fera rembourser les coûts pétroliers (Cost oil) qu’elle a engagés avec ces mêmes proratas (18 et 20%) dans la limite fixée pour la part allouée aux coûts à défalquer des revenus », déduit Me Henri Valentin B. Gomis. A l’en croire, si la participation n’était pas définie dans la loi pétrolière de 1998 mais plutôt dans les contrats, la nouvelle loi 2019-03 du 1er février 2019 dispose en son article 9 que dans le cas d’un contrat pétrolier, « les parts de la société pétrolière nationale sont ainsi fixées: « au minimum 10 %, portés par les autres cotitulaires du titre minier d’hydrocarbures, en phases d’exploration et de développement, y compris les redéveloppements ; et l’option d’accroitre cette participation jusqu’à 20 % supplémentaires en phases de développement et d’exploitation non portés par les autres cotitulaires du titre minier d’hydrocarbures ».

Erreur sur le profit pétrolier avancé par l’Etat

Ainsi, Petrosen et les privés nationaux pourront s’arroger jusqu’à 30% de parts dans les périmètres d’exploitation qui seraient régis par le Code pétrolier de 2019. Or, selon Me Gomis, « le bluff c’est que cette démonstration est fausse, car tous les contrats ont été signés sous l’égide du Code pétrolier de 1998 ». L’article 9 du code pétrolier de 2019 ne s’applique pas à ces contrats déjà signés et approuvés par décret. Cette disposition ne s’appliquera qu’aux nouveaux contrats qui seront signés et approuvés après l’entrée en vigueur du code de 2019. Tel n’est pas encore le cas aujourd’hui.

En vérité, observe-t-on, la part que porte Petrosen pour l’Etat qui est de 10% dans le cost oil représente également la participation de Petrosen aux activités d’exploration, d’exploitation et de développement. Cela veut dire que l’Etat dans ces différentes activités doit participer aux coûts pétroliers notamment à l’investissement au prorata de 10% comme défini à l’article 24 des Cppr intitulé « Participation de Petrosen ». Mais avant de percevoir les 10% des coûts pétroliers, également appelé coûts techniques, « Petrosen devra préalablement contribuer au financement de l’exploitation et du développement. Ce qui veut dire que la part de Petrosen est égale à sa participation aux coûts pétroliers. Autrement dit, c’est le recouvrement de son investissement aux activités de développement.

C’est pourquoi l’article 24 stipule que « Petrosen possède dans la zone contractuelle une part d’intérêts indivis de 10% qui lui confère dans la proportion de sa participation tous les droits et obligations », a-t-il expliqué.

Et de relever que par cohérence, il aurait fallu dire que « le profit pétrolier de l’Etat (profit oil) est lié au recouvrement des investissements pétroliers (coûts pétroliers) et au partage de la production après la vente ».

Se voulant explicite, Me Gomis convoque l’article 22 qui stipule que « le contractant aura droit de recevoir, chaque année civile, en vue du recouvrement de ses coûts pétroliers, une partie maximale de 75% de la production totale commerciale pour le pétrole brut et le gaz naturel ».

25% seulement de bénéfice après-vente

Ce qui induit que la part de l’Etat serait de 25% du bénéfice pétrolier après la vente du produit pétrolier. Donc si on additionne la part de Petrosen (10% du cost oil) et la part de l’Etat du profit oil (25%), le Sénégal se retrouve mathématiquement avec 35% de revenus pétroliers. Au fait, les parts d’intérêts servent à déterminer uniquement le pourcentage de participation aux investissements des opérations pétrolières. Petrosen dispose de10% mais elle est dispensée par le Crpp de participer aux frais des opérations pétrolières. Cette part d’intérêt « à mon avis est différent du partage de profit oil après affectation de 75 % de la production au remboursement des cost oil dont les modalités de partage sont fixées par le contrat pétrolier », tient à préciser Me Gomis.

Pour lui : « Les redevances, les loyers superficiaires et taxes sont des revenus non pétroliers ». C’est-à-dire qu’ils ne sont pas directement tirés de la production pétrolière. D’où, il faut faire la distinction entre les revenus pétroliers et les revenus non pétroliers.

Les revenus pétroliers sont les coûts d’investissement du contractant et de Petrosen (participation = part) et le bénéfice pétrolier issu de la vente du pétrole et du gaz réparti entre le contractant et l’Etat du Sénégal (profit oil).

Par contre, les revenus non pétroliers sont les taxes, les redevances, les impôts sur les revenus des salariés et sur la société (25%) et les loyers superficiaires d’occupation d’un périmètre attribué par le Ministère du Pétrole et des énergies (Mpe). Le spécialiste en management de l’énergie et des ressources pétrolières de préciser que les revenus non pétroliers sont régis par les articles 23 des Crpp intitulé « Régime Fiscal ». Mieux, poursuit-il : « Le code de 2019 non encore applicable aux contrats en question prévoit le ‘’bonus’’ de signature ».

Quand l’Etat vend le faux !

Selon Petrosen, les revenus de l’État pourraient représenter jusqu’à 52 % (Sangomar) et 64 % (Gta) et elle a la possibilité d’augmenter sa part jusqu’à 20 %. Suivant elle, elle a toujours aussi au moment du partage des revenus entre l’État et les compagnies pétrolières, 10 % ou plus, si elle avait augmenté sa part bien sûr, comme le lui permet le Code pétrolier. Sauf que « le code de 1998 ne prévoit pas d’augmentation mais plutôt le code de 2019 », démonte Henri Valentin B. Gomis A l’en croire, les contrats dont il s’agit sont approuvés sous l’égide du code de 1998 par le Président Macky Sall après son accession au pouvoir en 2012. « Ces arguments sont plutôt des fourberies pour défendre l’indéfendable », a-t-il étalé en bloc.

L’Etat crédite ses contractants pour assurer sa participation aux investissements pétroliers

Pour assurer sa part de participation aux investissements pétroliers, Petrosen qui porte la participation et la part de l’Etat du Sénégal aux investissements pétroliers a été obligée de s’endetter auprès des contractants. Précisons que la part du Sénégal augmente en fonction du volume de la production. Autrement dit ; s’il est croissant c’est-à-dire s’il atteint la production journalière supérieure à 120.000 barils ou équivalent gaz, le Sénégal pourra avoir jusqu’à 58% contre 42% pour les sociétés pétrolières étrangères. Mais, il est à se demander quelle compagnie pétrolière va augmenter son volume d’investissement financier dans le but d’accroitre son volume de production, et ensuite s’attendre à un faible bénéfice du profit oil. En d’autres termes, on demande à la compagnie pétrolière de financer plus pour gagner moins. Pour un esprit averti, « il est clair que la compagnie pétrolière ne le fera absolument pas », relève pour finir le spécialiste en management de l’énergie et des ressources pétrolières.

SQ

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