HEUREUSEMENT QUE BRUNO ÉTAIT UNE CARPE ! (PAR MAMADOU OUMAR NDIAYE)

26 - Septembre - 2018

Dans d’autres pays du continent, ses alter ego portent des titres ronflants du genre « directeur du protocole d’Etat » (il avait le titre de ministre mais se faisait appeler simplement Chef du Protocole), roulent des mécaniques — et carrosse ! —, se croient sortis de la cuisse de Jupiter et écrasent le bon peuple de leur morgue. Comme s’ils n’étaient plus seulement des fonctionnaires censés servir !

Contrairement à eux qui ne servent plus depuis belle lurette mais ont choisi de se servir des deux mains, lui, il a toujours considéré sa fonction comme un sacerdoce. Sa mission : servir la République, se mettre au service de tous les régimes qui se succèdent, incarner la permanence de l’Etat. Durant quatre décennies, il n’a fait que cela avec une grande éthique, fuyant les mondanités, les feux de la rampe, les tréteaux et les orgies. Ce qui caractérisait Bruno Diatta, c’est son port sobre et classique, sa discrétion, son exquise courtoisie et, surtout, son grand professionnalisme qui a fait qu’il a servi sans discontinuer quatre présidents de la République aux styles et tempéraments différents.

A tous, il a donné satisfaction au point de devenir indispensable du fait de sa connaissance inégalée des codes et usages diplomatiques, son vaste et précieux carnet d’adresses, sa disponibilité rare, son ardeur au travail. On le comparaissait, de par sa longévité au poste de chef du protocole du président de la République, à celui qui fut pendant longtemps son pendant ivoirien, en moins exubérant cependant, l’alors incontournable Georges Ouegnin, le directeur du protocole du président Félix Houphouët-Boigny, qui servit aussi son successeur, Henry Konan Bédié. Sauf que lui, Bruno, il a duré plus longtemps au poste. Il incarnait le serviteur de l’Etat par excellence. C’était, surtout, l’âme de la présidence de la République, une institution qui symbolisait, par sa majesté, par sa solennité, par sa sacralité, par son mythe aussi, le Pouvoir dans notre pays.

Une présidence de la République dont il a assisté à l’apogée, à la grandeur, à la splendeur, au faste et dont il a aussi été, hélas, ces dernières années, le témoin résigné de la décadence, de la banalisation, de la « roturisation » (excusez le néologisme !). Témoin impuissant, aussi, de l’ « apérisation » et de la « Sandagaisation » de ce jadis temple de l’élégance, du bon goût et des manières raffinées. Une descente aux enfers qu’il n’a pas pu enrayer…

Et les sauvageons prirent d’assaut le Palais !

Une présidence de la République où aux costumes et cravates stricts et sobres d’antan ont succédé les couleurs chatoyantes et bigarrées voire les boubous de « khawarés ». Une présidence de la République, surtout, rabaissée au rang de vulgaire permanence de l’APR et où se tiennent désormais les réunions des instances du parti présidentiel. Au point que des sauvageons de l’APR ont tenté d’en escalader les grilles!

Le pauvre Bruno, ce qu’il a dû souffrir de voir ce haut-lieu du pouvoir que le peuple ne voyait que de loin sous Senghor voire sous Abdou Diouf, accueillir désormais des « sabars » ou des conférences religieuses du Ramadan ! Pauvre Bruno obligé de se coltiner des ploucs et des parvenus en lieu et place des aristocrates et autres grands intellectuels qui fréquentaient ce Palais sous le président Senghor ! C’en était trop pour cet homme distingué qui avait une si haute idée de la République et de l’Etat. Car si l’homme qui nous a quittés vendredi dernier a effectivement personnifié la continuité de l’Etat, il a également assisté à l’affaissement et au délitement de ce même Etat, à la destruction de ses symboles, à son dépouillement. Un Etat désormais nu.

A ce propos, de là-haut où il est, le défunt chef du protocole de la présidence de la République a sans doute dû s’étonner qu’un chef d’Etat ait pu annuler une visite à l’étranger, fût-ce dans un pays voisin, uniquement parce que lui, Bruno, était mort. A partir de ce moment, quelle urgence y avait-il à annuler un déplacement présidentiel étant donné que, de toutes façons, les funérailles du défunt ne se feraient pas dans l’immédiat ?

Autrement dit, le président de la République avait largement le temps d’aller au Mali, assister à la fête nationale de ce pays voisin qui fut lié au nôtre par un cordon ombilical et de revenir pour aller réconforter la famille endeuillée de son défunt collaborateur. Un collaborateur dont l’hommage national qui lui sera rendu n’aura lieu que jeudi prochain. Comme me le confiait avec justesse un ami vendredi dernier, « Macky Sall n’a rien compris des leçons de Bruno Diatta car, sinon, il n’allait pas annuler un déplacement officiel parce que lui, Bruno, est mort ». Fort juste !

Sauf que cet ami semble oublier que le président de la République a passé le plus clair de son temps, ces sept dernières années, à aller présenter des condoléances, un exercice auquel il prend manifestement plaisir ! Comme si la fonction de chef de cabinet, justement, n’avait pas été créée pour s’occuper de ces choses-là afin que le président de la République puisse s’occuper de la résolution des problèmes prioritaires d’un pays. Repose en paix, Bruno, et souhaitons que la République et l’Etat te survivent !

 

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