Karim WADE : entre l’enclume des urnes et le marteau du Droit

26 - Novembre - 2018

Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), dernière formation politique au pouvoir a comme candidat à l’élection présidentielle du 24 février 2019 Monsieur Karim WADE. Ses militants sont sur le terrain pour glaner le maximum de parrainages afin de répondre aux nouvelles exigences constitutionnelles et légales du Sénégal. Mais, du sable juridique est dans la machine politique puisque ce candidat à la candidature est frappé d’une condamnation pénale de 6 six ans d’emprisonnement et d’une amende de 138 milliards de F Cfa prononcée par la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI). Gracié par décret présidentiel, le paiement de la somme due est toujours redevable au trésor public. Toutefois, il y a quelques jours, les partisans de M. Karim Wade, à la suite d’un rapport rendu par le Comité des droits de l’Homme de l’ONU du 22 octobre 2018 et notifié à l’Etat du Sénégal, réclament l’annulation de l’arrêt de la CREI et la réouverture du procès sur le fondement des recommandations de l’organe onusien.
"Lorsque tout s’amalgame et se confond, on afflue aux confins de l’abysse", dit-on. Dès le début de cette traque dite des biens mal acquis, beaucoup ont raté le coche de la sémantique en confondant enrichissement illicite, détournement de deniers publics et vol. Ce qui a conduit aussi à qualifier la CREI d’une nature qui n’est pas la sienne et ce qui, en définitive, a abusé le comité des Nations Unies.
Tout d’abord, le détournement des deniers publics et le vol sont des faits de droit. Leur régime juridique exige à ce que la charge de la preuve incombe indubitablement à l’accusateur, à la victime et non au présumé auteur. Or, l’enrichissement illicite, au lieu d’être un fait de droit, est UNE SITUATION DE DROIT. C’est la loi qui institue la CREI qui l’affirme. Contrairement aux allégations des experts de l’ONU prétextant que la CREI a été créée pour juger M. Karim WADE en 2012, c’est la loi du 81-54 du 10 juillet 1981, sous le régime d’Abdou DIOUF qui lui a donné naissance. Mais, c’est la loi 81-53, en son article 3 qui renvoie à l’article 163 bis du Code pénal qui définit ce qu’est l’enrichissement illicite. Pour ce dernier, "le délit d’enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en demeure, une des personnes désignées ci-dessus – titulaire d’un mandat électif ou d’une fonction gouvernementale, … – se trouve dans l’impossibilité de justifier l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux". Dès lors, en tant que situation de droit (l’impossibilité de prouver l’origine licite de son patrimoine ou/et de son train de vie), l’enrichissement illicite peut être occasionné par des faits de droit que sont le détournement, le blanchissement de capitaux, la corruption ou le vol, tous caractéristiques d’infractions à caractère économique. Ces faits peuvent être des motifs de l’enrichissement illicite mais n’en sont nullement des éléments constitutifs. C’est pour cela qu’il appartient au présumé auteur d’apporter la preuve de son innocence et de sa non culpabilité et non à l’accusateur.
Et loin d’être une juridiction spéciale, ce qui précède montre que la CREI est une juridiction spécialisée à ne juger qu’un type d’infraction et non une catégorie d’auteurs présumés comme le seraient les juridictions spéciales à l’instar des tribunaux pour enfants ou des cours martiales.
Toutes ces zones d’ombre, non éclairées au Comité des Nations Unies avant de rendre leur rapport, ont abusé les partisans de Karim Wade. Qui plus est, le seul recours possible après le verdict de la CREI est le pourvoi en cassation tel que prévu par l’article 17 de la loi 81-54 qui dit "les arrêts de la Cour sont susceptibles d’un pourvoi en cassation". Au-delà, ils sont frappés de l’autorité de chose jugée et demeurent définitifs. Ainsi, ils ne pourront plus faire l’objet d’aucun recours national comme international.
Donc, invoquer la révision, voire la reprise d’une affaire déjà jugée définitivement et frappée juridictionnellement de l’autorité de la force jugée est inopérant d’autant plus que l’organe onusien n’a aucune compétence pour infléchir une jurisprudence nationale et n’est point une juridiction, encore moins un juge supranational.
Par ricochet, ses décisions sont dépourvues de valeur juridique et de force contraignante. Au final, en droit, le comité des droits de l’homme de l’ONU n’a pas un pouvoir d’annulation et n’a pas annulé la décision de la CREI condamnant M. Karim WADE le 23 mars 2015. Le comité a tout simplement commis non pas une erreur manifeste d’appréciation, qui est un procédé de contrôle en droit administratif, mais une erreur d’appréciation manifeste de l’organisation judiciaire et du droit pénal sénégalais.
La grâce qui a été accordée à M. Karim Wade par le Président de la République rentre dans les prérogatives constitutionnelles de ce dernier. Toutefois, elle a été circonspecte et se limitait à la peine d’emprisonnement. Comme tout Sénégalais, il est libre d’user et de d’abuser de son droit constitutionnel de se déplacer afin de vouloir participer à une élection. Mais, l’amende de 138 milliards de F Cfa à payer au Trésor public est toujours due. La suite qui lui sera réservée dès son retour est du ressort exclusif de la justice – contrainte par corps ou non – et du Parlement pour une éventuelle amnistie. Toute autre autorité voulant procéder outre mesure ne fait qu’exprimer un souhait. L’amnistie n’est établie que par une loi votée par l’Assemblée nationale qui peut certes avoir une origine gouvernementale par un projet de loi ou parlementaire par une proposition de loi. Pour la contrainte, seul le juge de la liberté est habilité à inquiéter ou laisser quiconque surtout lorsque l’on est dans un Etat de droit comme veut le demeurer le Sénégal.
"Qui prédit l’avenir est trompeur ou trompé" avaient déjà prévenu nos ancêtres bantous.

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