La mondialisation, ennemie de l’emploi ? (Par Philippe Frocrain)
Du Brexit à l'élection de Trump, les peuples votent contre la mondialisation. Celle-ci est devenue plus que jamais synonyme de délocalisations, de compétition généralisée et sauvage, d'aggravation des inégalités et d'impuissance des gouvernements. En bref, elle jouerait largement contre les travailleurs. Mais de quels travailleurs parle-t-on au juste ? Par Philippe Frocrain, La Fabrique de l’Industrie.
On s'accordera sur le fait que la pression concurrentielle exercée par l'étranger n'est pas la même pour les boulangers ou les fonctionnaires de l'éducation nationale, que pour les ouvriers de l'automobile ou les employés de centres d'appel. Il est donc nécessaire de distinguer les emplois directement exposés à la concurrence internationale de ceux qui ne le sont pas. Un travail quantitatif conduit avec Pierre-Noël Giraud, nous a permis d'estimer à trois quarts la part des travailleurs français qui ne sont pas directement en compétition avec des emplois localisés dans d'autres pays. Le nombre de ces travailleurs « abrités » s'est accru de 2,4 millions entre 1999 et 2013. Reste donc seulement un quart de travailleurs « exposés » qui - preuve que la concurrence internationale n'est pas nécessairement synonyme d'austérité salariale - sont en moyenne mieux rémunérés que les travailleurs abrités.
Alors pourquoi la mondialisation économique suscite-t-elle autant d'angoisse ?
D'abord, l'emploi dans le secteur exposé (agriculture, industrie manufacturière, télécommunications, recherche-développement, hôtellerie, etc.) se contracte dans tous les pays développés. En France, par exemple, environ 200.000 emplois exposés ont disparu au cours des quinze dernières années. Bien souvent, et alors que les gains de l'ouverture à internationale correspondent essentiellement à des baisses de prix dont les effets sont diffus, les pertes sont extrêmement concentrés dans quelques métiers et quelques territoires. La concurrence internationale est parfois si rude que sont détruits localement non seulement des emplois exposés mais aussi - par ricochet - un grand nombre d'emplois abrités, entraînant le laminage de bassins d'emplois entiers. Généralement, les peu qualifiés sont les premiers balayés. S'ajoutent à cela des mutations technologiques majeures, qui transforment le travail de manière radicale, et auxquelles la mondialisation est souvent assimilée. Les technologies de l'information et de la communication prennent une place toujours plus importante dans les entreprises, bouleversant les modes de production et les besoins en main-d'œuvre. À ce jour, les peu qualifiés - du moins en tant que producteurs - ne profitent guère de ces développements voire en font les frais. Enfin, en raison de ces nouvelles technologies, des activités jusqu'alors protégées de la concurrence internationale se retrouvent exposées, dans la santé par exemple - analyse de radios -, les services informatiques ou financiers.
Il persiste de vifs débats quant au rôle respectif du commerce international stricto sensu et du progrès technique pour expliquer l'augmentation des inégalités de salaires et d'emploi au sein de la plupart des pays développés. En tout état de cause, les sociétés ont du mal à compenser efficacement les perdants de ces évolutions structurelles majeures. Pas étonnant donc de voir le populisme prospérer. Ce n'est pourtant pas une fatalité, à condition de s'attaquer à la racine du mal. Cela passe d'abord par une refonte de la formation initiale et continue, ingrédient essentiel de la mobilité sociale. Chaque année 140 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification ni diplôme, et l'écrasante majorité des chômeurs de longue durée sont peu qualifiés. L'exemple des pays scandinaves nous montre qu'il est possible de faire beaucoup mieux en matière en la matière, sans forcément dépenser plus.
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Pour cette Ve édition du Printemps de l'économie, La Tribune animera une conférence le 22 mars sur « l'enjeu du numérique pour l'avenir de la France » au CNAM, partenaire fondateur de l'événement.
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