Le respect du calendrier républicain : une exigence juridique ! (Par Mamadou Ngouda Mboup)

30 - Mars - 2021

La démocratie et l’Etat de droit sont-ils véritablement respectés quand le législateur et le pouvoir réglementaire organisent le report des élections
en fonction des calculs politiques et électoraux ? Sur ce point, force est de constater que le non-dit est plutôt éloquent. Ces reports non justifiés
et non fondés participent directement de l’interrogation portant sur la cohérence actuelle de notre ordre juridique, que l’on saisisse la question
soulevée dans sa dimension horizontale aussi bien que verticale. A l’horizontale, ces décisions viennent s’insérer dans un « complexe »
normatif portant sur l’incompatibilité d’actes législatifs avec la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le Protocole A/SP1/12/01
de la CEDEAO du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance, adoptée à Addis Abeba le 31 janvier 2007, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966. Mais
cette dernière remarque illustre également que le problème soulevé ici revêt surtout une dimension verticale, tenant à l’agencement d’une
conformité des sources internes entre elles, notamment entre la Constitution et la loi. A nouveau, c’est la pertinence d’une représentation
pyramidale de la hiérarchie des normes qui semble en cause. Ce nouveau report laisse perplexe car il intervient de manière contradictoire avec les exigences constitutionnelle (I) et conventionnelle
(II). I- L’exigence constitutionnelle

En matière électorale et surtout pour le choix des représentants politiques, les citoyens sénégalais sont titulaires d’un droit fondamental
en vertu de l’article 3 de la Constitution : le droit de vote aux élections locales et nationales. Dans sa Décision du 26 juillet 2017, le Conseil
constitutionnel, saisi par le Président de la République, a rappelé et précisé la « fondamentalité » de ce droit en ces termes : « Au regard des
lenteurs notées dans le retrait des cartes d’électeurs, il y a lieu d’éviter que les citoyens soient privés de leur droit de vote ». Comme le
Président de la République, en vertu de l’article 74 de la Constitution, les députés ont la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour faire
constater un retard non imputable aux citoyens mais aussi et surtout un retard non excusable pour l’administration chargée d’organiser les élections. De sorte que le juge constitutionnel tient sa propre compétence pour écarter toute disposition législative qui porte atteinte à ce droit fondamental. Une exigence supplémentaire obligeant les juges constitutionnels à vérifier, au moins, la portée de l’objet de la décision de reporter les élections incensément prise par l’autorité chargée de les organiser. Au surplus, une norme censée inférieure à la Constitution – la norme législative – ne peut porter atteinte à la liberté constitutionnelle de suffrage, au principe constitutionnel de libre administration des Collectivités territoriales et au principe constitutionnel d’organisation des élections à intervalles réguliers.
La prorogation de la durée du mandat des élus locaux est une question qui met en jeu des règles aussi fondamentales que la liberté constitutionnelle de suffrage, le principe constitutionnel la libre administration des Collectivités territoriales posé par l’article 102 de la Constitution ou encore le principe de la périodicité raisonnable des élections dans un système démocratique. L’obligation de respecter la libre administration des Collectivités territoriales et l’obligation de respecter le principe de la périodicité raisonnable des élections constituent des exigences constitutionnelles majeures dans un système démocratique. Les reports non fondés violent les droits fondamentaux des électeurs et de candidats éventuels (par exemple les personnes âgés de dix-huit ans révolus et voulant devenir conseillers municipaux ou départementaux) non encore inscrits sur les listes électorales. A preuve, à l’effet de permettre aux candidats autres que ceux figurant déjà sur les listes électorales de participer aux prochaines élections générales, la Loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017 portant Code électoral a prescrit que lesdits citoyens doivent, pour exercer leur droit d’être candidat aux élections précitées au Sénégal, être inscrits sur une liste électorale complémentaire. La Loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017 portant Code électoral a prescrit que les citoyens doivent, pour exercer leur droit de vote aux élections précitées au Sénégal, être inscrits sur une liste électorale complémentaire. Plus précisément, au niveau de la Section 2 du Code électoral dont le titre porte sur «Etablissement et révision des listes électorales », l’article L. 39 du Code électoral précise que «Les listes électorales sont permanentes et qu’elles font l’objet d’une révision annuelle. Avant chaque élection générale, une révision exceptionnelle est décidée par décret. » Cette disposition prévoit ainsi les conditions dans lesquelles les listes sont mises à jour par le pouvoir réglementaire. Pouvoir détenu par le Président de la République, ce dernier a une compétence liée de prendre un tel acte dans un délai raisonnable, dès lors que la date des élections générales est fixée par la loi. Au cas contraire, la Cour suprême pourrait être saisie pour contester l’inertie de l’administration.

II- L’exigence conventionnelle

Le droit de voter ou de libre choix des gouvernants est un droit inhérent à la qualité de citoyen et qui lui permet, à l’usage, d’exprimer sa volonté ou son opinion à la faveur de la désignation de ses gouvernants. C’est devenu, aujourd’hui, le critère convenu par excellence de légitimation de tout pouvoir. Ce droit est consacré au niveau des Nations unies par l’article 25b du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966 aux termes duquel : « Tout citoyen a le droit et la
possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables (…) de voter (…) ». L’article 19 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 complétée par la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée à Addis Abeba le 31 janvier 2007, dont l’article 4 (2) du chapitre IV dispose que « les États parties considèrent la participation populaire par le biais du suffrage universel comme un droit inaliénable des peuples» et dont l’expression doit absolument être respectée, le Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance. Textes de référence (bloc de conventionnalité) lorsqu’il s’agit de contrôler la conventionnalité des lois électorales. Il importe de relever, qu’au Sénégal, c’est désormais l’ensemble des traités qui prévalent sur la totalité des lois nationales contraires (à l’exception de la Constitution qui reste la norme suprême). Il en va de même aujourd’hui pour l’ensemble du droit « dérivé» de ces traités, alors même que l’article 98 de la Constitution ne fait référence qu’aux traités et accords internationaux et à eux seuls.
La présence de telles conventions dans notre ordonnancement juridique permet ainsi de rappeler qu’une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel n’exclut pas que la loi portant report des élections puisse être examinée par la Cour suprême, sur saisine d’élus locaux, d’électeurs, de partis politiques voire de potentiels candidats, à la lumière des principes électoraux posés par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée à Addis Abeba le 31 janvier 2007, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966, le Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance. C’est le Conseil constitutionnel sénégalais lui-même qui incite à ce que l’examen de la loi soit ainsi effectué par la Cour suprême dans le cadre du contrôle de conventionnalité. En invitant les juges de la Cour suprême à procéder à un contrôle de conventionnalité (décis. n° 7 C/2017- DC du 18 juillet 2017), il a rendu possible un contrôle de conventionnalité à posteriori qui lui fait directement concurrence en « Considérant qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel d’apprécier la conformité de la loi à un traité ou un accord international ». En s’appuyant sur les mêmes indices, que l’intention du législateur doit être suffisamment claire et correspond au respect des engagements internationaux, l’appréciation de la conventionnalité de la loi doit conduire la Cour suprême à interpréter de telles dispositions comme permettant ou pas au législateur de prendre la
décision de reporter les élections dans le cadre de régles intelligibles et, partant, de la procédure exceptionnelle qui leur est associée. Certes, s’il est certain que la loi est «l’expression de la volonté générale», qu’elle seule peut avoir un caractère abstrait et permanent, il reste qu’elle doit être circonstanciée, facile à connaître et à comprendre, ce qui signifie que le respect du principe conventionnel d’intelligibilité de la loi est devenu plus que jamais la condition et le fondement de la force
normative du droit. Dès lors, si formellement il n’est pas douteux que le Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques peuvent être invoqués devant la Cour suprême en dépit de la conformité de la loi à la Constitution déclarée par le juge constitutionnel – car les deux fondements sont différents -, substantiellement les mêmes principes et les mêmes droits protégés
pourront être soulevés contre un report sans date fixe.
Au demeurant, dans le cadre d’un report, pour protéger les droits de suffrage, le juge doit s’assurer du caractère intelligible de la loi (principe d’origine communautaire et de droit conventionnel). Si l’interprétation du législateur parait porter une atteinte grave à la liberté de suffrage et à l’organisation des élections à intervalles réguliers qui sont tributaires des décisions prises sans respect des exigences conventionnelles, le juge doit s’élever au niveau des normes conventionnelles pour exiger leur respect : la crédibilité internationale d’un Etat est à ce prix. Le manquement à cette exigence paralyse en fait l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples, de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966, du Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, ce qui n’était sans doute pas le but recherché par leurs auteurs. Au contraire, les juges ont l’occasion de rappeler que ces conventions font exigence à une application stricte et sévère, et que
toute dérogation doit être valablement justifiée. A y regarder de près, il y a juste une manifestation d’une instrumentalisation de la loi et d’un
dédain du suffrage universel (seul critère convenu d’institutions démocratiques) par trop manifeste. Ceci devrait marquer le désaveu contre un législateur aveugle !
Mouhamadou Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur de droit public FSJP/UCAD

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