Le Sénégal et la malédiction de l’arachide! (Par Momar Sokhna Diop)

19 - Avril - 2021

Malédiction car, depuis 1882 date à laquelle elle a été introduite par les Bordelais au Sénégal, la culture de l’arachide a appauvri les Sénégalais et a dégradé leur état de santé.
Aujourd’hui, la guerre de l’arachide fait rage entre les exportateurs chinois et les huiliers locaux. En effet, faute de pouvoir concurrencer les prix proposés par les entreprises étrangères ‘250 CFA ou 0,38 euros le Kg au lieu de 210 CFA en 2020’, les usines du Sénégal peinent toujours à s’approvisionner en graines et cela commence à sérieusement inquiéter les populations et l’Etat.
C’est le constat que vient de conforter, ce Dimanche 18 Avril, France 2 la chaine de télévision française. En effet, leur reportage montre que les Chinois raflent toutes les productions de cacahuètes (plus de 400 000 tonnes).
La conséquence directe est la flambée des prix sur les marchés locaux. Les populations ont de plus en plus de mal à trouver de la ‘Dakatine’ pour leurs ‘mafé’ ou pour préparer les sauces de leur couscous national ‘Thiéré Bassi’. Les pénuries et les importations d’huile commencent également à peser sur l’économie sénégalaise et bien sûr sur le panier des ménages.
La Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal ‘SONACOS’, principale fabrique d’huile d’arachide se retrouve également confrontée à des difficultés d’approvisionnement au point d’arrêter une partie de ses activités et de mettre au chômage la majorité de ses salariés.
Je rappelle que la monoculture de l’arachide était imposée par la France qui achetait l’intégralité des productions pour approvisionner ses savonneries et ses huileries installées notamment à Marseille.
Au Sénégal, dans les années 1960, la culture de l’arachide s’était développée comme culture de rente destinée à l’exportation. Cette culture fut le moteur du développement de l’économie sénégalaise et a assuré jusqu’à 80 % des exportations et fourni la majeure partie des revenus monétaires en milieu rural. Mais à partir de 1970 et notamment depuis les années 1990, on a assisté à une véritable crise de la filière arachidière et les différentes politiques agricoles n’ont toujours pas permis la relance de la filière affectée ‘une détérioration des termes de l’échange’.
La France privilégie ses programmes de cultures de substitution dont le soja et le colza et n’a plus vraiment besoin des matières premières sénégalaises.
Aujourd’hui la Chine, un des premiers producteurs mondiaux, infiltre le marché africain et notamment celui du Sénégal et semble avoir la mainmise sur l’ensemble des productions.
Face à cette pénurie de graines, l’Etat réagit en interdisant toute exportation. Mais n’est-il pas trop tard ? En tous les cas, il s’agit d’une mesure d’urgence que nous saluons car vaut mieux tard que jamais.
Toutefois, nous re-recommandons à l’Etat de reprendre la filière, qui pourrait être un des leviers de son projet d’émergence. Il s’agit de créer un vaste réseau de coopératives paysannes de développement autogérées comme l’avait souhaité Mamadou Dia en 1962 dans le plan de développement qu’il avait établi pour sortir le Sénégal de la dépendance française.
Le Sénégal gagnera à reprendre sérieusement cette filière afin de promouvoir le ‘consommer local’. Il s’agit de remobiliser voire de réquisitionner le foncier agricole, de le mettre à la disposition des vrais cultivateurs et non entre les mains des ‘agro-businessmans’ qui sont complices et acteurs de l’exportation organisée de cette matière première vers la Chine.
Il faut que l’Etat encadre, subventionne et accompagne les agriculteurs afin qu’ils accroissent leurs capacités de productions, qu’ils puissent mettre en place les infrastructures de traitement, de transformation et de commercialisation nécessaires. Le secteur décollera le jour où le Sénégal sera capable de faire le mariage entre l’agriculture et l’industrie, en appliquant les sciences de la technique et de la mécanique aux besoins locaux de ces activités dans le seul but de produire les moyens d’existence des populations pour sortir de la dépendance, de la pauvreté. C’est par ce processus de transformation que la filière arachidière pourra créer de la valeur ajoutée, de la fiscalité, des investissements d’expansion et des emplois.
Guy Marius Sagna rajoute avec raison ‘que le Sénégal ne se développera ou n’atteindra jamais l’émergence en continuant de vendre ou de brader ciel, terres et mer. Il n’émergera pas sans sa propre monnaie, ses propres politiques de santé, sans ses propres politiques agricoles, sans sa propre langue de gouvernement et sans promouvoir le consommer local’.
Voilà en résumé notre modeste contribution à la problématique de l’exportation de l’arachide du Sénégal qui fait la une de l’actualité ;

Momar-Sokhna DIOP professeur d’économie-gestion Ecrivain PARIS

Bibliographie
Momar-Sokhna Diop : Sénégal diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, L’Harmattan, 2019
Moustapha Kassé : L’industrialisation africaine est possible, quel modèle pour le Sénégal, Paris, l’Harmattan, 2013.
Dia Mamadou : Afrique, le prix de la liberté, l’Harmattan, 2001’
Guy Marius Sagna, Interview plateau SEN TV, youtube.com, Avril 2020
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/12/20/au-senegal-la-guerre-de-l-arachide-fait-rage-entre-les-exportateurs-chinois-et-les-huiliers-locaux

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

17 - Janvier - 2020

HAUSSE ET/OU D’UNE MODIFICATION DE L’IMPOT SUR LES BENEFICES : LE DEMENTI DE LA DGID

La Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) dément les informations faisant état d’une hausse et/ou d’une modification de...

16 - Janvier - 2020

LA PARTICIPATION ÉCONOMIQUE DES FEMMES S’EST AMÉLIORÉE AU COURS DES DEUX DERNIÈRES ANNÉES, RÉVÈLE UNE ÉTUDE DE LA BANQUE MONDIALE

Bonne nouvelle pour les femmes, elles qui sont souvent confrontées à certaines difficultés dans le monde du travail. En fait, le cadre réglementaire de la participation...

16 - Janvier - 2020

«IL EST NECESSAIRE DE METTRE EN APPLICATION TOUTES LES DISPOSITIONS DU CODE MINIER 2016»

Dr Eva Marie Coll Seck, se féliciter de la contribution des entreprises évoluant dans le secteur extractif de la première région minière du...

15 - Janvier - 2020

PLUS DE 55.000 TONNES D'ANACARDE EXPORTÉES

Plus de 55.000 tonnes de noix d’acajou ont été exportées dans quatre pays d’Asie à partir du port de Ziguinchor (sud) pour une valeur commerciale de plus de...

13 - Janvier - 2020

L’ECO, LES EGOS ET LEURS ECHOS ( PAR AMADOU KANE )

Il est tout aussi fondamental que l’énergie mise par tous les groupes d’acteurs sociaux pour arriver au résultat obtenu soit dorénavant positivement tournée...