Le vote sans débat – Par Babacar Gaye

15 - Décembre - 2019

Il m’a été donné l’occasion de suivre avec intérêt la polémique suscitée par l’épisode de l’examen du budget du Ministère des Finances et du budget qui a été adopté sans débat sur décision de l’Assemblée nationale. Dans les développements qui suivent, j’essaierai de démontrer que la loi a été délibérément violée.
L’Assemblée nationale est par essence le lieu du débat démocratique sur toutes les questions qui intéressent la vie de la Nation. Les décisions obligatoirement prises à la suite d’un vote sont toujours précédées d’une discussion générale sur le rapport fait par la commission compétente, une inter-commission ou une commission ad hoc. Le débat qui s’ensuit est libre. Néanmoins, il peut être organisé pour en déterminer la durée, par la Conférence des Présidents qui, seule, peut en décider.
La discussion générale qui est prévue et encadrée par la loi organique 2002-20 du 15 mai 2002 modifiée, est plus connue sous le concept de DÉBAT PARLEMENTAIRE.
La discussion générale peut être interrompue, mais nul ne peut l’empêcher de manière définitive à moins de rejeter le texte en examen par la plénière.
En effet, le débat peut être clôturé en application des dispositions l’article 72 du Règlement Intérieur (RI) suivantes : « Lorsqu’au cours d’un débat, la première liste des orateurs est épuisée et que le Ministre a répondu, le Président ou tout membre de l’Assemblée peut en proposer la clôture. » C’est par un vote que l’Assemblée décide de le clôturer
… « Si la demande de clôture est rejetée, la discussion continue. Mais la clôture peut être à nouveau demandée, et il est statué sur cette nouvelle demande dans les conditions prévues ci-dessus. »
Il est devenu fréquent que notre Assemblée déclare avoir adopté « SANS DÉBAT », un projet ou une proposition de loi, en application des dispositions de l’article 74 du RI. Or, la question préalable n’a pas vocation à faire adopter un texte sans débat. Au contraire, quand l’assemblée décide QU’IL N’Y A PAS LIEU À DÉBATTRE, le texte est rejeté purement et simplement.
Car selon l’article 74 du RI de l’Assemblée nationale précité, « après la lecture du rapport, tout membre de l’Assemblée peut poser la question préalable tendant à décider qu’il n’y ait pas lieu à délibérer…Il peut motiver verbalement sa demande sur laquelle ne peuvent intervenir que le Président, le rapporteur de la commission saisie sur le fond et le représentant du Président de la République. » Et pour un temps de parole d’au maximum cinq minutes par intervenant.
« Si la question préalable est adoptée, le projet est rejeté. Si elle est repoussée, la discussion générale du rapport s’engage. »
Conclusion : la question préalable ne peut pas déboucher sur un « VOTE SANS DÉBAT » d’un projet ou proposition de loi.
Il peut arriver au cours de la discussion générale qu’un député ou le représentant du Président de la République estime que toutes les conditions ne sont pas réunies pour l’examen et l’adoption d’un texte de loi. Alors il peut en vertu des dispositions de l’article 75, présenter une motion préjudiciable ayant pour conséquence, si elle est adoptée, l’ajournement du débat ou la saisine à nouveau de la commission compétente ou une autre commission désignée à cet effet, pour avis sur la question.
« Toutefois, le renvoi à la commission saisie au fond est de droit si le représentant du Président de la République le demande »
En résumé, la motion préjudicielle ne peut pas avoir pour conséquence, le « VOTE SANS DÉBAT »
En vertu des dispositions de l’article 78 du RI, le gouvernement, dans le but de ne faire passer que ses amendements ou ceux qu’il a acceptés, peut exiger que « l’Assemblée nationale se prononce, par un seul vote, sur tout ou partie du texte en discussion. » (Article 82 de la Constitution). Cependant, « l’application de cette disposition ne permet pas de bloquer les débats. »
Moralité : l’exigence de débat prend toujours le dessus sur les velléités du passage en force des acteurs du débat parlementaire, qu’ils appartiennent à l’Exécutif ou au groupe parlementaire majoritaire car il n’existe aucune disposition légale qui permet le « VOTE SANS DÉBAT ».
En conclusion, la procédure qui a été utilisée pour adopter le budget du Ministère des Finances et du Budget « SANS DÉBAT », est entachée d’irrégularités et constitue une grave entrave à la liberté d’expression du député ainsi qu’à son droit de contrôle de l’action gouvernementale. On dit que le texte a été adopté « SANS DÉBAT » quand tous les députés renoncent volontairement à leurs prérogatives en s’abstenant de demander la parole et passent directement au vote.
Bon week-end

 

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