Mainmise et/ou tutelle des entreprises françaises sur l’économie sénégalaise : l’emprise reprend forme !

22 - Juin - 2017

«Aux porteurs de Pancartes ! Vous voulez l’indépendance, prenez-là». Cette fameuse phrase prononcée par le Général De Gaulle à la veille des indépendances retentit encore dans notre mémoire collective. Pourtant, 57 ans après son accession à la souveraineté internationale, notre pays peine vit toujours sous le giron hexagonal. Hier comme aujourd’hui, la France occupe une place prépondérante à tous les niveaux de notre souveraineté, en particulier économique. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la présence des entreprises françaises dans l’économie sénégalaise pour s’en convaincre. Total, Eiffage, Bicis, Sgbs, Atos, Orange, Auchan, Casino, Lidl, Air France, Corsair, Bolloré et Necotrans… Des hydrocarbures aux banques, en passant par les télécommunications, la distribution, les transports aériens, les transports maritimes et logistiques, avec en cerise sur le gâteau le colossal marché de 568 milliards de F CFA du Train Express Régional (TER), l’emprise française sur le marché sénégalais est symptomatique. Comme si elle venait confirmer le patriarche, Amadou Makhtar Mbow, qui disait déjà dans l’interview «Grand Format» accordée en exclusivité au groupe Sud Communication (Sud FM et Sud Quotidien), que l’indépendance n’en est pas une.

Assiste-t-on aujourd’hui à une nouvelle forme de colonisation de la France au Sénégal ? En tout cas, tout porte à le croire car on note de plus en plus une forte mainmise de la France dans l’économie sénégalaise. En effet, les industries françaises occupent la première place au Sénégal. D’ailleurs, un document du ministère des Affaires étrangères de la France intitulé : « La France et ses partenaires pays par pays : les échanges commerciaux entre la France et le Sénégal en 2013 », montre que même si l’effritement des parts de marché de la France dans notre pays est une réalité, ce partenariat historique continue de dominer totalement l’économie nationale à travers plusieurs segments.

La France demeure en effet le premier investisseur au Sénégal avec un stock d’investissements directs étrangers (Ide) de 727 millions d’Euros (plus de 460 milliards de francs Cfa) en 2012, soit 40% des investissements étrangers. Les filiales d’entreprises françaises et entités de droit sénégalais détenues par des ressortissants français représentent près du quart du Pib et des recettes fiscales du Sénégal, selon ce rapport.

Cette emprise des entreprises françaises sur l’économie est illustrée à titre d’exemple par Eiffage qui comptabilise presque un siècle de présence au Sénégal mais qui s’est surtout distinguée, ces dernières années, avec la gestion de l’autoroute à péage. On décompte en outre, au Sénégal, une centaine d’entreprises évoluant dans divers secteurs d’activités, notamment la banque (Bicis, Sgbs), les télécommunications (Atos, Orange), la distribution (Auchan, Casino, Lidl), les transports aériens (Air France, Corsair) et les transports maritimes et logistiques (Bolloré et Necotrans au Port autonome de Dakar). La cerise sur le gâteau est le colossal marché de 568 milliards de F CFA du Train Express Régional (TER).Le groupe énergétique français ENGIE, en partenariat avec THALÉS construit, ALSTROM fournit les trains au nombre de quinze (15) en bi-mode (diesel /électrique) et la SNCF gère l’exploitation.

Cette prédominance française devrait se renforcer dans les années à venir avec la prochaine entrée en service de la mine de production de zircon détenue à 50% par le groupe Eramet. Dans le secteur des carrières, mines et industries notamment le ciment, la France entend aussi jouer les premiers rôles. Ainsi la société Vicat a repris en 1999 la cimenterie Sococim où elle a investi près de 200 millions d’Euros en 2007. Présent pour sa part au Sénégal avant l’indépendance, Total est le premier distributeur de carburant au Sénégal avec plus de 140 stations et gagne plus de 45% de marché. Le groupe français dispose également des participations dans Senstock, société de stockage des hydrocarbures et dans la Société africaine de raffinage (Sar).

ASSAUT VERS LE…PETROLE

Qui plus est, tout récemment, l’Etat du Sénégal a fini de signer avec Total deux contrats pour l’exploration et l’exploitation de concessions pétrolières en offshore profond au large du pays. Le premier accord porte sur le permis de “Rufisque Offshore Profond”, au Sud de Dakar, “dont Total sera opérateur” et détiendra 90% aux côtés de la Société nationale des pétroles du Sénégal (Petrosen), a précisé le groupe français dans un communiqué. Total et Petrosen sont désormais liés par “un contrat de recherche et de partage de production d’hydrocarbures” sur cette concession sous-marine d’une superficie de 10.357 km2.
Par ailleurs, Total a signé concernant un autre lieu “un accord de coopération” avec Petrosen et le ministère sénégalais de l’Énergie, afin de réaliser “une étude de la zone en mer très profonde” pour “en déterminer le potentiel” et “devenir opérateur d’un bloc d’exploration”, selon ce communiqué.
Selon l’’économiste Demba Moussa Dembelé, l’effet négatif de tous ces marchés adjugés à des entreprises françaises se traduit par le fait que toutes les ressources qu’ils génèrent ne sont malheureusement pas réinvesties au Sénégal mais sont bien expatriées vers d’autres cieux.

DEMBA MOUSSA DEMBELE, ECONOMISTE : «C’est extrêmement dangereux, ce processus de recolonisation»

Le président de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade), l’économiste Demba Moussa Dembelé, dénonce fermement la mainmise de la France sur l’économie sénégalaise. Pour lui, il ne s’agit que d’un processus de recolonisation extrêmement dangereux qui risque d’étouffer les Petites et moyennes entreprises sénégalaises, lesquelles auront du mal à trouver des marchés et des financements.

«C’est extrêmement dangereux, ce processus de recolonisation. Les secteurs clés de notre économie vont être contrôlés par les Français. Un peu partout au niveau des routes, du port et des banques, ce sont des sociétés françaises qui dominent. Mais surtout, ça risque d’étouffer complètement les Petites et moyennes entreprises sénégalaises. Elles auront du mal à trouver des marchés et des financements. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Ledrian, dit que la France est le premier investisseur au Sénégal en 2015. Mais ces investissements sont bénéfiques à qui ? Ce sont des entreprises françaises qui vont bénéficier de ces investissements-là et pas les entreprises nationales. Avec l’histoire du Train Express Régional, vous avez certainement remarqué que tous les ministres qui viennent maintenant au Sénégal ne parlent que de ça en disant que le TER est bien pour le Sénégal, comme si nous ne pouvons pas dire que c’est bien pour nous. Un autre impact, ça risque de gêner le Sénégal dans sa politique de diversification des partenaires. Il y a une question de survie».

L’ECONOMISTE DEMBELE DRESSE SON REQUISITOIRE : «Macky et Ouattara, porte-paroles de la France-Afrique»

«Ces gens pensent que l’Afrique détient les clés de leur sortie de crise. C’est pour cela qu’ils font tout pour avoir la mainmise sur l’économie mais également sur le marché sénégalais. Croyez-vous que c’est gratuit qu’Emmanuel Macron ait rencontré Macky Sall et Alassane Ouattara ? Tout cela, c’est pour renforcer cette offensive des entreprises françaises. Macky Sall et Alassane Ouattara sont les deux porte-paroles de la Francafrique. Ce n’est pas un hasard s’ils ont été les premiers à être reçus par le nouveau président français. Parce qu’il y a des intérêts en jeu. Les entreprises françaises sont aujourd’hui la première «Broutante» comme on dit et ils veulent que ça continue. C’est pour cela qu’on fait tout ce tintamarre sur l’amitié entre le Sénégal et la France mais on sait que c’est l’amitié entre le cheval et le cavalier. Certains même disent que c’est un processus de recolonisation qui ne dit pas son nom.

Pour moi, on risque de voir l’économie sénégalaise contrôlée par des entreprises françaises et cela peut peser également sur la politique d’intégration sous-régionale au niveau de l’Afrique de l’Ouest parce que les entreprises étrangères qui viennent dominer ont un agenda différent de notre agenda. Une telle situation va avoir un impact négatif sur l’intégration sous-régionale. Or, cette intégration sous régionale devrait nous permettre plutôt d’avoir des politiques qui nous soient propres et surtout d’avoir nos propres entreprises qui puissent dominer nos marchés et donc nous industrialiser à partir de nos propres ressources. Si l’économie est dominée par les entreprises étrangères, il va de soit que cette intégration n’aura plus beaucoup de sens. Cela a un impact sur le plan politique. Parce que si les partenaires sont présents sur le plan économique, ils vont peser évidemment sur le choix des dirigeants, des politiques stratégiques. Cela se voit un peu partout, aux Nations-Unies comme ailleurs. Le Sénégal est à la remorque de la France, c’est une réalité ».

sudquotidien

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