MARAM KAIRE : « IL EST PLUS QUE NECESSAIRE D’ADAPTER NOTRE AGRICULTURE POUR CONTRECARRER LES ALEAS DU CIEL ET LE MANQUE D’EAU »

22 - Août - 2019

Pourquoi notre agriculture doit dépendre de l’hivernage ? Notre agriculture doit-elle dépendre des caprices du ciel ?
Non, notre agriculture ne doit plus dépendre des caprices du ciel au moment où le constat sur le retard des pluies est de plus en plus décrié dans nos pays.
Il est vrai que nous avons une agriculture saisonnière, à forte dépendance sur la saison des pluies. Mais c’est une réalité dont nous devrions nous départir rapidement si nous ne souhaitons pas être surpris, dans un proche avenir, par les effets d’une autre réalité qu’est le changement climatique.
La communauté scientifique s’accorde majoritairement sur l’état inquiétant de notre planète qui, au-delà des agressions quotidiennes de l’effet des activités humaines, est en train de voir ses réserves naturelles s’épuiser considérablement.
Le mot d’ordre doit être l’anticipation. Notre économie sénégalaise repose principalement sur le secteur de l’agriculture qui occupe plus de 60% de la population active. Il est nécessaire d’anticiper et réfléchir de façon approfondie aux solutions d’urgence à mettre en œuvre face aux aléas du ciel. Au-delà de l’aspect global du changement climatique, il faut tenir compte aussi des facteurs à échelle locale comme la déforestation. Nous assistons à un abattage incompréhensible des arbres qui jouent un rôle déterminant dans le cycle de l’eau et donc de la pluie. Le constat est là, d’un côté, il pleut en permanence en zone équatoriale en Afrique, en Amazonie ou en Europe où la politique environnementale insiste sur la préservation des forêts. De l’autre côté, en zone désertique, les pluies sont rares ou quasi inexistantes. Or, si vous observez la carte de la végétation du Sénégal, vous verrez rapidement que l’avancée du désert concerne une bonne partie de la moitié nord du pays. Et c’est souvent cette partie qui attend les pluies pendant que la région sud, plus verte, est arrosée.
Nous devons donc reboiser massivement partout à travers le pays et pour cela il nous faut de l’eau. Un cercle vicieux me direz-vous ? Probablement mais il existe des solutions pour en sortir si nous en faisons une priorité.
Drainage des eaux des vallées fossiles, est-ce une alternative viable, existe-t-il d’autres solutions ?
Les pistes de réflexions sont nombreuses mais la question de la viabilité est cruciale pour les solutions à adopter. Les besoins de consommation en eau douce sont suffisamment grands pour que l’on puisse miser, à long terme, sur les réserves naturelles pour développer durablement notre agriculture.
Selon une étude récente, publiée par la Banque Mondiale, « dans la plupart des régions du monde, plus de 70 % de l'eau douce est utilisée pour l'agriculture. Pour nourrir une population mondiale comptant 9 milliards d'individus en 2050, il faudra augmenter la production agricole d'environ 50 % ce qui entraînera une hausse de 15 % des prélèvements de ressources en eau. » (TARIQ KHOKHAR, Banque Mondiale, 2017).
La nécessité d’augmenter la production agricole entrainera donc une hausse de l’exploitation des réserves naturelles en eau douce. Le réchauffement climatique a un impact important sur la diminution des capacités des grandes étendues d’eau. Et je citerai en exemple le Lac Tchad qui est passé d’une superficie, en 1963, d’environ 25 000 km2, à une superficie de 9000 km2 suite à la sécheresse de 1973. Depuis 2014, sa superficie en eau libre, varie entre 2000 km2 et 2500 Km2 (Lemoalle, J., 2015). C’est alarmant !
Si vous combinez donc hausse des températures, baisse de la pluviosité et avancée du désert, vous verrez que nous devrons prendre soin de nos réserves naturelles en eau douce dans les années à venir.
Le Sénégal doit fortement miser sur la désalinisation de l’eau de mer. Et cela doit se matérialiser à travers un projet pharaonique visant à faire de notre pays un eldorado.
Depuis 2001, j’ai proposé un projet de grande envergure de mise en place de cinq (5) grosses unités de désalinisation sur le long de l’axe Dakar – Stlouis. Ces 5 unités seraient espacées de 100 km et il est même possible de les éloigner à 2 km des côtes car dans ce projet, nous tenons compte de la préservation du littoral, du milieu halieutique avec un système de filtrage performant. Mais, l’élément le plus important, c’est la réduction considérable des couts de mise en œuvre avec une solution innovante qui permet aux unités d’être autonomes en électricité dès l’installation. Encore mieux, elles vont générer leur propre électricité et en fournir en abondance pour le Sénégal.
A partir de ces unités prendra naissance un vaste réseau d’irrigation qui couvrira toute la moitié nord du pays avec un maillage permettant d’alimenter en même temps les vallées fossiles.
D’un coup, nous produisons de l’électricité à volonté, de l’eau pour développer notre agriculture et élevage, mais aussi nous assurons les besoins en eau potable. Et c’est de l’énergie propre !
Dieu nous a gratifiés de la science et des technologies, de cerveau et de bras pour y parvenir, Il ne fera pas nos exercices à notre place. Est-il nécessaire de rappeler que Dubaï est construit en plein milieu du désert est c’est devenu maintenant un coin de paradis ? Quand le Japon manque de surface pour construire, ils créent des iles artificielles en plein milieu de la mer grâce à la maitrise de la technologie. Nous devons juste avoir la volonté et ne pas limiter nos ambitions.
Pourquoi cultive-t-on deux mois sur 12 ? Y a-t-il d’autres formes de cultures qu’on peut pratiquer sans la pluie ?
Ce n’est pas normal. Selon l’APIX, « L’Agriculture sénégalaise c’est principalement 98% de terres cultivées sous pluie, induisant une activité́ agricole fortement exposée aux aléas climatiques.».
Il est plus que nécessaire d’adapter notre agriculture pour contrecarrer les aléas du ciel et le manque d’eau. Nous devons développer et renforcer l’Agriculture intelligente qui permet d’augmenter jusqu’à 3 fois la productivité. Cela doit s'accompagner d’un soutien considérable au secteur de la recherche pour disposer de semences améliorées, résistantes à la sécheresse, mais également d’une bonne diffusion de l’information agro-météorologique et la maîtrise des technologies permettant une irrigation plus efficace.
En guise d’exemple, sept nouvelles variétés de sorgho et de mil à haut rendement, à maturation précoce et résistantes à la sécheresse ont été mises au point par le Programme de productivité agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO / WAAPP).
En attendant la mise en œuvre de solutions à grande échelle pouvant répondre à l’équation de l’eau de façon durable, les techniques de cultures sous serre (microclimat maitrisé) et d’irrigation goutte à goutte existent mais présentent l’inconvénient de nécessiter un investissement financier parfois lourd pour le paysan. La surface concernée est souvent très inférieure au potentiel de la culture à ciel ouvert. Par ailleurs, ces solutions impliquent aussi des efforts considérables de forages pour accéder aux nappes souterraines.
Toutes ces raisons nous interpellent sur l’urgente nécessité d’anticiper à travers un projet à échelle nationale de désalinisation et d’irrigation afin d’assurer un développement durable de notre agriculture. Nous pouvons espérer que les revenus issus de l’exploitation du pétrole et du gaz servent par exemple à financer ce genre de projet dans l’intérêt d’un Sénégal rayonnant, abondant et fertile 12 mois sur 12.

L’Observateur

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