OUSMANE SONKO "POURRAIT ETRE LE PROCHAIN CHEF D’ÉTAT DU SENEGAL", PENSE NICOLAS NORMAND, EX-AMBASSADEUR DE FRANCE A DAKAR
C’est l’opposant numéro un au président sénégalais Macky Sall. Ancien inspecteur des impôts, Ousmane Sonko veut briguer la présidence du Sénégal en 2024. Avec la reprise de son procès pour diffamation, jeudi, un climat de tension règne dans le pays.
Il est l'un des principaux visages de l’opposition. La voix de celles et ceux qui aspirent à un renouveau à la tête du Sénégal, dirigé depuis 2012 par Macky Sall. Ousmane Sonko, qui assume autant le costume-cravate que les baskets et la casquette, bénéficie d’un soutien important de la population sénégalaise.
Ousmane Sonko, 48 ans, est attendu jeudi 30 mars au tribunal de Dakar où il est poursuivi pour "diffamation, injures et faux" par le ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang. Déjà reporté à deux reprises, le procès a provoqué une vague de protestations populaires pour dénoncer une tentative d'affaiblir l’opposant en amont des élections. Une condamnation pourrait l’empêcher d'être candidat à l'élection présidentielle de février 2024.
De fonctionnaire du fisc à figure de premier plan
Pourtant, il a quelques années, il était inconnu de la scène politique sénégalaise. Ousmane Sonko est né en 1975 à Thiès, à 70 kilomètres à l’est de Dakar. Fils de parents fonctionnaires, il grandit en Casamance et part faire ses études supérieures à l'université Gaston-Berger de Saint-Louis, où il obtient sa maîtrise en droit public en 1999. Deux ans plus tard, il sort major de sa promotion à l’École nationale d’administration (ENA) du Sénégal et débute sa carrière comme inspecteur des impôts.
Après trois années passées dans l’administration, il crée le Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID). C’est en 2014 qu’il se lance en politique avec la création de son propre parti, le Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité).
En 2016, il est propulsé sur le devant de la scène lorsqu'il accuse l’État de fraudes fiscales et de corruption en s'appuyant sur son expérience en tant qu’inspecteur. Le fonctionnaire dénonce notamment des détournements de fonds publics ou des avantages fiscaux perçus de manière indue par des personnalités du pouvoir. Il publie "Pétrole et gaz au Sénégal – Chronique d’une spoliation" (éd. Fauves) dans lequel il dénonce la gestion des ressources naturelles du pays par le président et son entourage.
Il est alors est radié de la fonction publique pour "manquement au devoir de réserve "par un décret présidentiel. "C’est véritablement à cette époque qu’il devient une figure de première plan", relate Babacar Ndiaye, directeur des recherches et des publications du think tank Wathi, basé à Dakar.
Figure d’une jeunesse en quête de changement
Élu député en 2017, il se montre à l’aise sur les plateaux de télévision et souriant lors de rencontres avec les militants. Ousmane Sonko sait utiliser des phrases chocs, et s'oppose au récit officiel d’un Sénégal "sur la voie de l’émergence", promesse du président Macky Sall.
En 2019, il se lance dans la course à l’élection présidentielle. Son discours séduit la jeunesse. "Il s’adresses aux jeunes avec des propos en faveur de la souveraineté économique, du patriotisme, tout en critiquant la gouvernance de l’État", poursuit Babacar Ndiaye. "Il est arrivé avec un discours de changement et cela a rencontré une forme d’adhésion des jeunes. Et surtout, il n’est pas un "politicien". Mais ses détracteurs lui reprochent son manque d'expérience et ses discours fracassants.
Le 24 février 2019, il termine à la troisième place de la présidentielle avec 15,67 % des voix, derrière le président sortant Macky Sall et l'ancien Premier ministre Idrissa Seck.
Les affaires judiciaires, une "épée de Damoclès"
En février 2021, l'opposant est accusé de viols et de menaces de mort par Adji Sarr, une employée d'un salon de beauté. Il nie les faits et dénonce alors une manœuvre politique. Son arrestation provoque de violents affrontements entre ses soutiens et la police. La vague de contestations est d’une ampleur inédite pour ce pays de l’Afrique de l’Ouest réputé pour sa stabilité. Libéré sous contrôle judiciaire en mars 2021, Ousmane Sonko se dit victime "d'un complot d’État" initié par des proches du président Macky Sall.
Ousmane Sonko, s'adresse aux journalistes après avoir été libéré de sa garde à vue à Dakar, au Sénégal, le lundi 8 mars 2021.
Cela n’empêche pas Ousmane Sonko de poursuivre son ascension en politique. En 2022, il est élu maire de Ziguinchor, après avoir constitué la coalition Yewwi Askan Wi – YAW, Libérons le peuple en langue ouolof – avec plusieurs membres de l’opposition, dont l'ancien maire de Dakar Khalifa Sall.
As des réseaux sociaux, Ousmane Sonko s'exprime très régulièrement en live sur sa page Facebook pour toucher une large frange de la population sénégalaise, rendant le reste de la classe politique et ses méthodes de communication ringardes. Loin du virtuel, Ousmane Sonko sait aussi galvaniser les foules.
Mehdi Ba, qui l’a interviewé à deux reprises pour Jeune Afrique au cours des dernières années, le décrit comme un "souverainiste de gauche". Le journaliste s’explique : "La tonalité de son discours politique est plutôt de gauche - même si la subdivision droite – gauche n'a pas cours au Sénégal - et à la fois souverainiste, puisqu'il met en avant les intérêts du Sénégal au niveau international et ceux du peuple au niveau national".
En août 2022, il se porte candidat pour la prochaine présidentielle en février 2024. Si Ousmane Sonko est en pleine ascension, il ne faut pas oublier "l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de sa tête en raison des deux affaires judiciaires qui le visent et pourraient, en cas de condamnation, entraîner son inéligibilité en 2024", rappelle Mehdi Ba.
"Il pourrait être le prochain chef d’État du Sénégal"
Si Ousmane Sonko est en capacité de se présenter à la présidentielle de 2024, "il pourrait être le prochain chef d’État du Sénégal", pense Nicolas Normand, ex-ambassadeur de France à Dakar. À condition que la jeunesse se rende aux urnes. Au-delà de sa contestation de la situation économique et sociale, Ousmane Sonko "exploite un ressentiment largement répandu, lequel a besoin de boucs émissaires étant le gouvernement sénégalais, et la France, principal partenaire économique", poursuit-il. En janvier, l’opposant avait fermement démenti un sentiment "anti-Français" sur France 24 : "Nous n'avons rien contre la France".
Ces dernières semaines, les partisans d'Ousmane Sonko sont descendus dans la rue à plusieurs reprises pour dénoncer un procès qu'ils décrivent comme une tentative du gouvernement du président Macky Sall d'affaiblir l'opposition en amont des élections. Des violences ont éclaté, le 16 mars, la police ayant fait usage de gaz lacrymogène contre ses partisans qui suivaient son véhicule jusqu'au tribunal. "Ces troubles font de la publicité à Sonko", assure Nicolas Normand. "Il exploite toutes les maladresses du pouvoir à son profit."
Suivant un appel à manifester, les supporters d'Ousmane Sonko se sont réunis mardi 29 mars dans le campus universitaire de Dakar. "On a assisté à un face-à-face entre les étudiants et les forces de l'ordre massivement déployés avec des jets de pierre contre des tirs de grenades lacrymogènes", témoigne la correspondante de France 24 sur place, Sarah Sakho. Selon Mehdi Ba de Jeune Afrique, Ousmane Sonko "est quelqu’un qui, depuis 2021 a testé les limites répressives du régime de Macky Sall. Parmi ses détracteurs, certains le taxent d’être un provocateur et d’aller trop loin. Et lui reprochent de chercher à atteindre le point de rupture au-delà duquel les choses pourraient devenir incontrôlables." La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a exprimé "sa vive préoccupation face à l’intensification de la répression contre des membres de l’opposition politique et des journalistes", appelant les autorités à "garantir le respect des droits humains et des libertés fondamentales". De quoi donner du poids à l’opposant Ousmane Sonko.
F24