PARCOURS, ENGAGEMENT, CRITIQUE CONTRE MACKY SALL : SEYBANI SOUGOU SE LIVRE

29 - Août - 2022

Son nom résonne beaucoup dans la presse nationale du fait de ses nombreuses publications. Seybani Sougou, juriste sénégalais établi en France, suit de très près l’actualité nationale. L’expert en marché public retrace son parcours, les raisons de son engagement, dans cet entretien avec Senego. Il explique ses critiques contre le régime, principalement contre l’institution présidentielle, incarnée par Macky Sall. Notre interlocuteur, qui se dit affilié à la société civile, ne partage pas l’inéligibilité de Khalifa Sall et de Karim Wade à la présidentielle de 2024. Quant à Ousmane Sonko, il le considère comme l’étoile montante, figure de proue de l’opposition, qui doit toutefois revoir sa communication.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis un citoyen Franco-sénégalais. Né au Sénégal, où j’ai entamé mon cursus scolaire, j’ai fait le choix de poursuivre mes études supérieures en France. ’Durant ma vie estudiantine, j’ai été Chef du Contingent sénégalais, et à ce titre, je représentais les intérêts de l’Etat du Sénégal à la MEEAO (Maison des Etudiants des Etats de l’Afrique de l’Ouest), à Paris, dans le 12e arrondissement, une copropriété de sept Etats de l’époque (Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal), Mon action a permis d’éviter à de nombreux étudiants sénégalais de devenir SDF (sans domicile fixe) à Paris, certains ayant pu bénéficier du quota de chambres réservées pour le Sénégal. Des professeurs de l’Université Cheikh Anta Diop de passage à Paris, dans le cadre de travaux et de recherches ont été logés temporairement à la résidence des États de l’Afrique de l’Ouest. J’ai toujours été animé par la défense des droits de mes concitoyens et de l’intérêt général. Au niveau professionnel, je suis Juriste (Droit Public), Expert Marchés publics dans une Institution Publique, et Consultant.

Dans vos contributions, vous critiquez souvent le président Macky Sall et son gouvernement, pourquoi ce choix ?

Je suis profondément attaché à la démocratie, à l’administration de la justice et à l’État de droit. La défense du principe de l’intérêt général est ma boussole, guide constamment ma démarche, et transcende la personne de Macky Sall. En vérité, la personne de Macky Sall n’est ni une obsession, ni un sujet de focalisation. C’est la fonction de Chef de l’Etat qu’il incarne qui m’importe. Il y a chez l’homme un défaut d’incarnation de la fonction présidentielle, et une impréparation à exercer la charge suprême. A la place d’une gouvernance sobre et vertueuse promise en 2012, nous avons affaire à un régime liberticide qui porte atteinte aux libertés individuelles et collectives. Le népotisme et la prévarication ont été érigés en véritable système de fonctionnement. Ces dérives d’une extrémité gravité interpellent tout citoyen. J’estime que c’est un impératif de contribuer à restaurer l’état de droit au Sénégal, réduit à sa plus simple expression par Macky Sall, depuis son accession à la magistrature suprême.

Que pensez-vous des nombreuses critiques de Sénégalais, notamment de l’opposition, contre l’institution judiciaire ?

C’est un constat : le climat de défiance à l’égard de l’institution judiciaire a atteint des sommets. Jamais la justice sénégalaise n’a été autant vilipendée, décrédibilisée et vouée aux gémonies sous Macky Sall. Les multiples condamnations de l’Etat du Sénégal, notamment par le Comité des Nations Unies aux droits de l’homme suite à la détention arbitraire Karim Wade et l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO du 29 juin 2018 dans l’affaire Khalifa Sall ont porté un coup à l’image de la justice sénégalaise et considérablement entaché sa crédibilité sur la scène régionale et internationale. Les dernières décisions du Conseil Constitutionnel, en particulier celle qui admet qu’une liste de candidats peut faire l’objet d’un saucissonnage et d’un découpage en 2 listes séparées créent une insécurité juridique sans précédent. L’indignation de centaines d’universitaires, de juristes et de constitutionnalistes est salutaire et constitue un réel motif d’espoir car le Sénégal est en train de sombrer dans une anarchie judiciaire qui, si l’on n’y prend garde, risque de conduire le pays au chaos.

Avez-vous des contacts avec des leaders de l’opposition ? Etes-vous affilié à un parti politique ?

Je suis membre de la société civile et ne suis affilié à aucun parti politique. Par ailleurs, je jouis d’une liberté et d’une totale indépendance d’esprit. Cela dit, comme tout citoyen, j’ai des opinions claires, tranchées, et parfaitement assumées par rapport au régime de Macky Sall. Pour répondre clairement et directement à votre question, je ne suis à la solde d’aucun leader politique.

Que pensez-vous d’une candidature de Karim Wade et de Khalifa Sall à la présidentielle de 2024 ?

S’agissant de Karim Wade et Khalifa Sall, la question est simple : un citoyen condamné par la justice peut-il être radié de manière automatique et perpétuelle des listes électorales ? L’absurdité de la question contient en elle-même la réponse : évidemment, la réponse est non. Prenons maintenant l’exemple de Khalifa Sall. Tout le débat sur son éligibilité en 2024 porte sur l’interprétation de l’article L.31 du code électoral. Pour savoir si Khalifa Sall est éligible à la présidentielle de 2024, il ne s’agit pas d’avoir une lecture littérale de l’article L.31 du Code électoral, mais d’en avoir une lecture dynamique (par une mise en perspective de l’article L.31 dudit code avec les principes fondamentaux de la Constitution, et la libre participation aux élections). L’article L.31 du code électoral qui prescrit la radiation automatique d’un condamné des listes électorales, sans décision expresse du juge résulte d’une interprétation fausse et totalement erronée. Le droit à l’éligibilité et la jouissance des droits civiques, civils et politiques s’apprécient, au regard de 3 textes : le code pénal, le code électoral, et la Constitution dont le Préambule proclame l’attachement du Sénégal aux instruments régionaux et internationaux qui font partie intégrante du droit positif national. En vertu de la hiérarchie des normes, les dispositions du code pénal et du code de procédure pénal doivent être conformes à la Charte suprême. Il est constant que Khalifa Sall n’a été privé ni de ses droits civiques (au regard de l’article 23 du code pénal, seule une condamnation à une peine d’emprisonnement criminelle, emporte la dégradation civique), encore moins de ses droits civils et de famille. Ni le jugement du Tribunal de Grande Instance de Dakar du 30 mars 2018, ni l’arrêt N°454 de la Cour d’appel de Dakar du 30 août 2018, ni l’arrêt N°001 de la Cour suprême du 03 janvier 2019 n’ont prononcé une privation des droits civils et politiques à son encontre.

Certains analystes estiment que Karim WADE et Khalifa Sall doivent bénéficier d’une amnistie, parce qu’ils seraient frappés d’une déchéance politique et électorale perpétuelle. Cette perception est juridiquement fausse. La radiation automatique et perpétuelle d’un citoyen des listes électorales n’existe dans aucun Etat de droit sérieux et est totalement contraire au principe d’individualisation des peines, tel que prescrit par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme. Le principe d’individualisation des peines signifie que l’incapacité d’exercer une fonction électorale ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il faut donc une décision expresse du juge pour prescrire l’inéligibilité et surtout en fixer la durée comme le prévoit l’article 34 du code pénal. L’article 34 du code pénal dispose que « Les tribunaux jugeant correctionnellement pourront, dans certains cas, interdire, en tout ou en partie, l’exercice de droits civiques, civils et de famille suivants : 1) de vote, 2) d’éligibilité. Lorsque Karim WADE a été condamné en 2015 à 6 ans d’emprisonnement, la CREI a écarté l’interdiction de l’exercice des droits civiques, civils et de famille prévus par l’article 34 du Code pénal. Nulle part, au niveau de l’article 34 du code pénal, il n’est écrit qu’une condamnation, par les juridictions supérieures à 5 ans entraîne la perte automatique des droits civiques, civils, et de famille.

L’article L.31 du Code électoral du Sénégal est inconstitutionnel car le PRÉAMBULE de la Constitution sénégalaise précise que le Peuple du Sénégal affirme son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité africaine, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948.

Du point de vue juridique, la condamnation de Karim Wade et de Khalifa Sall ne représente aucun obstacle s’ils décident de présenter leur candidature aux élections présidentielles de 2024.

Que pensez-vous du leadership incarné par Ousmane Sonko ?

Incontestablement, Ousmane SONKO représente actuellement l’étoile montante et une des figures de proue de l’opposition. Il a franchi un cap et su faire adhérer de nombreux Sénégalais et notamment une frange importante de la jeunesse à son projet de rupture. Son engagement dans la campagne des Législatives a porté ses fruits et a été décisif au niveau d’une bonne partie de l’électorat. Il a acquis un leadership indéniable mais doit néanmoins parfaire sa communication, afin d’élargir sa base électorale, et capter certains indécis, qui souhaitent fermer la parenthèse Macky Sall mais entendent être rassurés sur les contours de son projet de rupture. Il a encore quelques mois pour étoffer son projet et s’inspirer notamment des travaux de la CNRI (commission nationale de réforme des institutions) pour proposer des mesures fortes visant à renforcer l’état de droit et la démocratie. Il y a une marge de progression à ce niveau, car l’état de droit a été sérieusement malmené par le régime de Macky SALL Enfin, je lui recommanderais également de veiller à ses sorties pour étoffer sa stature d’homme d’état, d’éviter les polémiques inutiles avec certains membres de l’opposition et de continuer à agir pour renforcer et élargir l’alliance YEWWI-WALLU qui a été stratégique pour l’opposition lors des législatives du 31 juillet 2022. Cette formule qui s’est révélée payante doit être renforcée et élargie, même si pour les présidentielles, chaque coalition de l’opposition est libre de porter la candidature d’un des siens.

L’opposition ne doit pas se tromper d’objectif : Le choc des ambitions est certes légitime, mais ne doit pas contrecarrer le projet d’une troisième alternance tant souhaitée et attendue par une majorité de sénégalais.

senego

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