"Perte de richesse et endettement": l'économie africaine dans la tourmente

14 - Avril - 2020

Ben Yahya Sy, politologue spécialisé en communication et diplomatie économique s’inquiète de voir l’économie africaine sombrer. Le manque de coopération entre les pays entrave l’efficacité du continent.

Depuis le début de la crise sanitaire, le continent africain a longtemps été épargné. Aujourd’hui, le virus gagne du terrain. On décompte 790 décès pour 14 570 cas. Les enjeux économiques sont énormes. Les économies africaines, très peu développées, risquent d’être particulièrement fragilisées.

Quelles sont les conséquences du Covid-19 pour les économies du continent ?

L’Afrique subsaharienne est entrée en récession. C’est la première depuis 25 ans. Selon un document de Banque mondiale, sa croissance a été touchée de plein fouet par la pandémie. Elle devrait se rétracter entre 2019 à 2020 en passant de 2.4 % à moins 5.1 %.

L’Afrique fait également face à un ralentissement des exportations en direction de la Chine. Beaucoup de matières premières produites en Afrique sont vendues sur le marché chinois. Cependant, l’économie chinoise tourne au ralenti depuis la crise. Conséquences : il y a eu des répercussions sur les achats de matières premières. Les pays producteurs en sont énormément affectés. La Chine a toujours importé d’Afrique, du bois, du pétrole et des produits agricoles. Un impact par exemple sur les pays producteurs de pétrole comme le Nigeria, l’Angola, l’Algérie, le Gabon et le Congo, a été remarqué. Même situation pour le fer, avec une perte de valeur de 8%, le nickel, le cuivre, l’huile de palme et le café. Ces produits africains s’entassent en attendant la réouverture du marché chinois.

L’Afrique doit fabriquer les produits finis ou industrialisés sur place avec leurs matières premières. Aujourd’hui, les économies de la plupart des pays africains sont dépendantes de ces matières premières exportées vers la Chine. À chaque fois que l’économie chinoise éternue, c’est toute l’économie africaine qui tousse.

Dans beaucoup de pays, l’activité touristique est également à l’arrêt total. L’exemple du Sénégal est criant. Tous les touristes français qui étaient entre le nord du Sénégal, avec le parc national des oiseaux du Djoudj, et le sud, au niveau du cap Skirring, ont été rapatriés en France. En général, tous les parcs nationaux de chaque pays n’accueillent plus de touriste. On constate un énorme ralentissement des économies africaines et une perte de richesse considérable.

Les entreprises africaines vont-elles tenir le choc ?

Tout va dépendre des plans d’action qui seront menés au niveau local. En Afrique, nous n’avons pas de multinationale à l’image de l’Occident. Les conséquences seront dévastatrices pour les PME qui commençaient à émerger. Faute de trésorerie, une majorité va devoir mettre la clé sous le paillasson.

Pour ce qui est du secteur informel, il constitue dans certains pays, 70 à 80 % du socle économique. Il faut absolument que ce secteur ne sombre pas. Il tient l’économie de beaucoup de pays.

Enfin, le problème sera moindre pour le secteur formel. Les Etats vont mettre en place des plans d’urgence pour les aider. Ces sociétés vont s’en sortir avec moins de dommages que le secteur informel.

Les ministres des Finances du continent ont annoncé un plan de relance de 100 milliards de dollars. Estimez-vous cela suffisant par rapport à ce qu’ont injecté l’Europe et les Etats-Unis ?

Cela ne sera jamais suffisant. L’Afrique n’a pas les sous qui lui sont propres. Le plan permettra néanmoins de relancer la machine économique sur le plan continental. Le constat qui a été fait, est qu’une pandémie demande beaucoup de moyens pour la combattre. Malheureusement, les Etats africains ne les ont pas.

Parallèlement, nous allons être obligés de négocier avec l’Union européenne, la Banque européenne et le Fonds monétaire international (FMI). Des sommes d’argent ont été accordées sous forme de prêts. Le FMI et la Banque mondiale, dans le cadre de l’action de 1 000 milliards, ont injecté de l’argent dans les économies africaines. L’Afrique va s’endetter une nouvelle fois, et, chaque pays va tout devoir rembourser. Cette accumulation d’intérêt supplémentaire va constituer un nouveau fardeau et impactera l’économie africaine qui sortait à peine la tête de l’eau.

D’où l’importance de l’appel du président du Sénégal, Macky Sall. Il demande l’annulation de la dette et des intérêts.

L’annulation ou le gel de la dette de pays africains est-ce réellement la bonne solution ?

C’est envisageable dans la mesure où ces pays en ont besoin. Cependant, avec le gel, on diffère simplement le mal. Quand est-ce que l’Afrique va sortir de ce bourbier, c’est la grande interrogation.

Comment se déroule la coopération sur le continent africain ?

Il n’y a pas eu de coopération. Chacun essaye de trouver des solutions de son côté. La grande difficulté a été le confinement total de la population : impossible dans les villes africaines. La coopération inter-régionale et interétatique n’a pas joué.

Il faut une plus grande coopération entre les pays africains. Une interaction entre les économies doit être créée. Avec elle, l’Afrique aura plus de poids et pourra faire face au choc économique.

En Afrique, aucun mécanisme d’entraide qui aurait pu amortir la crise existe. On a constaté qu’au niveau de l’Union européenne, la Banque centrale européenne a dégagé des fonds afin de soutenir les économies. Au niveau de l’Afrique de l’Ouest, il y a la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). En Afrique centrale, c’est au niveau de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Mais, ces organisations n’ont pas, ou peu de moyens.

C’est hier seulement que la Commission économique africaine, sous la tutelle de l’Union africaine, a mis en place une Task-Force [force opératoire] afin de préparer l’après-pandémie.

Chaque pays a essayé en fonction de ses possibilités de mobiliser des fonds. On l’a vu au Sénégal avec la mobilisation de 1 000 milliards de francs CFA [1,5 milliard d’euros] afin de subvenir aux besoins immédiats.

Les grandes fortunes africaines ont également participé. Ces gens ont des moyens. Ils n’hésitent pas à venir en aide aux Etats en cas de besoin. Mais chacun s’est cantonné dans son propre pays.

iscpa

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