Présidentielle en Guinée: Alpha Condé, portrait d’un animal politique

18 - Octobre - 2020

À 82 ans, l’actuel chef de l’État se présente à l’élection présidentielle de ce 18 octobre pour briguer un troisième mandat suite à l’adoption controversée d’une nouvelle Constitution en mars dernier. D'opposant historique aux présidents Sékou Touré puis Lansana Conté à président de la République de Guinée, retour sur le parcours d’un homme aux multiples facettes parfois contradictoires.

Lorsqu’il tient meeting, Alpha Condé se métamorphose. D’une voix rauque qui semble venue des tréfonds, il harangue la foule, arpente l’estrade tel un félin, grimace et mimique comme un comédien. « Dans ces moments-là, il est sur une autre planète, je n’essaie même pas de lui parler », confie un proche collaborateur.


Né le 4 mars 1938 dans la région de la Basse Côte, ce Malinké d’origine, éduqué au collège des pères, part en France dès l'âge de 15 ans pour suivre ses études. Au lycée Turgot à Paris, il tisse des liens d’amitié qui dureront toute sa vie, notamment avec Bernard Kouchner. À la Sorbonne, mais aussi à Sciences-Po, Condé côtoie Jean-Pierre Chevènement, André Santini, Pierre-André Wiltzer, Michèle Alliot-Marie et surtout l'africaniste Albert Bourgi qui restera l’un de ses plus fidèles compagnons. Le banquier d’affaires Jean-Paul Dessertine se rappelle « un garçon très élégant, et un brin séducteur. Le portrait type de l’étudiant africain révolutionnaire à l’époque ! »


Alpha Condé traîne une sulfureuse réputation de « gauchiste » à la « mauvaise influence » sur les étudiants africains qu’il prend sous son aile et guide dans les couloirs de la cité universitaire. « Il disait souvent : " Quand je serai président ", il y croyait dur comme fer, nous un peu moins, mais finalement c’est lui qui avait raison », constate Edmond Jouve, alors professeur à la Sorbonne.


 


Il milite au SNESUP (Syndicat national de l'enseignement supérieur) et à la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France dont il devient président, puis coordinateur des groupes nationaux à l’époque où l’organisation se déchire en luttes fratricides qui opposent les orthodoxes pro-Moscou aux partisans de la Chine ou de l’Albanie dont il fait partie.


 


D’abord favorable à Sékou Touré, qui vient de proclamer l’indépendance après le « non » historique au référendum de 1958, il s’en éloigne trois ans plus tard au vu du tournant autoritaire que prend le régime qui le condamnera à mort par contumace en 1970.


 


« Lorsqu’il a sonné à ma porte pour me montrer l’article sur sa condamnation, j’ai tout fait pour que son contrat d’assistant soit renouvelé », se souvient Edmond Jouve. Au milieu des années 1970, Alpha Condé entre à la société de négoce Sucres et Denrées, mais ne perd pas de vue la politique. Il voyage dans toute l’Afrique de l’Ouest et pose les bases de ce qui deviendra son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG).


Un « sentimental »


Organisés en cellules cloisonnées pour plus de sécurité, les militants de la première heure se souviennent des tracts transportés dans des paquets de lessive pour traverser la frontière ivoirienne. Mais aussi de la répression, des sévices et de la prison. L’héritage est encore présent au sein du RPG, où le cloisonnement et la centralisation restent forts : le parti n’a officiellement plus de président depuis qu’Alpha Condé a accédé à la magistrature suprême.


Il rentre au pays en 1991 et se présente à l’élection présidentielle en 1993, puis en 1998, mais il est arrêté peu avant la proclamation des résultats et condamné à cinq ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État au terme d’une « guérilla judiciaire » dont son ami, l’avocat Me Boukounta Diallo, se souvient avec émotion.


Gracié trois ans plus tard, « il sort de prison endurci et renforcé dans sa détermination, estime un proche.  Il peut donner l’impression d’être impulsif et brutal, mais il est sentimental. Il peut avoir de la maladresse ou de l’irascibilité, ce sont des comportements qu’il n’a jamais su maîtriser mais ce n’est pas de la méchanceté. »


En 2010, « l'opposant historique » n'a jamais été membre d'aucun gouvernement et s’en sert pour présenter une image de candidat neuf aux « mains propres ».


« J'ai hérité d'un pays, mais pas d'un État », dit-il pour expliquer l'ampleur de la tâche. Dix ans plus tard, Alpha Condé se targue d’avoir mis au pas l’armée, construit des barrages hydroélectriques qui devraient démultiplier la production énergétique du pays et révisé les contrats miniers. Mais la population ne ressent pas les retombées de la forte croissance, portée uniquement par l’exportation de bauxite.


Au milieu des années 2010, la Guinée a pris le pari d’approvisionner l’industrie chinoise après que l’Indonésie a interdit la vente du minerai brut pour encourager la transformation locale et que la Malaisie a décidé d’en suspendre sa production, car trop polluante.


Ainsi, le pays termine pour la première fois un programme économique et financier avec le FMI. Malgré cela, il stagne toujours en queue de peloton des indicateurs de développement.


 


La politique dans le sang


« Même président, Alpha Condé continue de faire des discours d’opposant », juge un observateur. Ses cibles favorites sont ses deux principaux concurrents politiques, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, deux anciens Premiers ministres qu’il accuse d’avoir « mis le pays à terre » lorsqu’ils étaient aux affaires sous le régime militaire de Lansana Conté. Mais au fil des années, le chef de l’État a fait revenir auprès de lui nombre d’anciens cadres de la Seconde République. Parmi eux, son actuel Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, son conseiller spécial, Tibou Camara, ou le secrétaire général à la présidence, Kiridi Bangoura. Une ancienne garde qui cohabite avec de nouvelles têtes, plus jeunes, comme son chef de cabinet, Ibrahima Khalil Kaba, ou son chef du protocole, le très énergique et multitâche Mamadi Sinkoun Kaba.


Alpha Condé a la politique dans le sang. « Il y a consacré toute sa vie », fait remarquer l’analyste Kabinet Fofana. Même ses plus fervents adversaires reconnaissent ses talents de stratège. Il a su diviser l’opposition en lui tendant la main, faisant rentrer au gouvernement certains de ses plus fervents détracteurs comme Mouctar Diallo, actuel ministre de la Jeunesse ou encore Sidya Touré qui occupe pendant plus d’un an le poste de haut représentant du chef de l’État. Il sait jouer de la rivalité qui oppose Bah Oury à Cellou Dalein Diallo, les frères ennemis à la tête de l’UFDG. Accusé de jouer la carte ethnique, Alpha Condé s’en défend, invoquant ses compagnons de lutte peuls ou encore ses convictions panafricanistes.


Réélu dès le premier tour en 2015, le président promet de dédier son second mandat aux femmes et aux jeunes mais son gouvernement n’applique pas encore la parité introduite dans la nouvelle Constitution. Surnommé « Papa promesse » par ses détracteurs, Alpha Condé annonce, décide, ordonne : « Une tablette pour chaque étudiant », la « santé gratuite pour tous », « l’électricité, l’eau courante », « des emplois pour les jeunes » … Et s’exaspère de voir que l’exécution fait défaut.  La raison, selon ses proches ? Le chef de l’État est omniprésent et veut tout contrôler, au risque de tomber dans la micro-gestion. Il lui arrive d’appeler directement de simples citoyens pour s’enquérir de l’état de son pays.


« Alpha Condé se noie dans les détails »


En 2013, il prend personnellement en main la réponse à l’épidémie d'Ebola. Encore aujourd’hui, on l’entend commander les boîtes de sardines destinées à confectionner les sandwichs pour ses délégués de campagne ou les tee-shirts aux couleurs du parti. « Alpha Condé se noie dans les détails », regrette un proche. Il aime le contact ; en plein meeting, il descend de l’estrade et disparaît dans la foule, « ce qui rend folle sa garde rapprochée ». Le président va vite, très vite. Il vit à un rythme effréné sautant d’avions en hélicoptères pour inaugurer à tout va. Il prend néanmoins le temps d'éplucher la presse internationale ou parler de son parcours. Il connaît tous les secrets de la politique africaine et française et prend un plaisir visible à évoquer ses relations avec les grands de ce monde.


« Je serai le Mandela de l’Afrique de l’Ouest », proclamait-il au lendemain de son élection en 2010, en référence à son passé d’opposant emprisonné. Mais Mandela n’a fait qu’un mandat, rappellent ses opposants. Il est « la plus grande désillusion de l’histoire politique de notre pays », réagit le Front national de défense de la Constitution à l’annonce de sa candidature à un troisième mandat après l’adoption controversée d’une nouvelle Constitution. « Libérez Alpha Condé », chantait le reggaeman Tiken Jah Fakoly. Aujourd’hui, c’est son titre « Alpha devient fou » qui résonne dans les haut-parleurs lors des manifestations du FNDC.


Même ses amis de longue date peinent à évoquer ce « revirement ». Alpha Condé s’agace. « Est-ce que la Guinée est le seul pays où un président en exercice fait une nouvelle Constitution qui peut lui permettre de se représenter ? Pourquoi en fait-on un scandale ? » Il semble convaincu de ne pas avoir terminé son travail : « Nous n’avons eu que sept ans et demi avec l’épidémie Ebola », lance-t-il à ses militants. « La Sierra Leone et le Liberia aussi », lui répondent ses détracteurs.


 « Permettre une alternance est une sorte de capitulation »


« Il y a aussi une logique personnelle, c’est moi ou rien… Il trouve que permettre une alternance est une sorte de capitulation. Il estime que les premiers présidents sont morts au pouvoir, alors pourquoi pas lui ? », analyse Kabinet Fofana. « Il a peut-être raison mais l’hubris du pouvoir semble lui tourner la tête », estime un proche qui a vu « s’aggraver le tempérament autoritaire » de l’ancien « Mao » converti à la démocratie. La Chine, la Turquie et de la Russie sont aujourd’hui ses principaux alliés. « Mais Alpha n’a ni la brutalité ni la poigne d’un autocrate, il oscille sans basculer », ajoute-t-il.


« C’est extraordinaire que je sois considéré comme un dictateur », s’exclame-t-il dans une récente interview à RFI, avant de balayer d’un revers de main les rapports des ONG internationales qui documentent les violences des forces de sécurité et les dizaines de morts en marge des manifestations depuis 2010.


« Je veux que la jeunesse prenne le pouvoir ! », lance-t-il à ses militants. Mais à 82 ans, Alpha Condé reste plus déterminé que jamais à rempiler pour un troisième mandat et n’a fait émerger aucun dauphin potentiel.


RFI

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