PRÉSIDENTIELLE EN GUINÉE-BISSAU: LES RAISONS DE LA CHUTE DU PAIGC

03 - Janvier - 2020

Après la proclamation des résultats du deuxième tour de la présidentielle donnant vainqueur Umaro Sissoco Embalo, beaucoup d'observateurs se posent demandent aujourd'hui comment le PAIGC, ce parti historique dont le destin était étroitement lié avec celui de la nation bissau-guinéenne a perdu cette élection. Ce parti qui a conduit la lutte armée pour la libération nationale du pays du colonisateur portugais avec le soutien de tout le peuple bissau-guinéen. Cela a fait qu'aux yeux de la quasi-totalité des Bissau-guinéens, la Guinée-Bissau, c'est le PAIGC et vice-versa. Jusqu'à un temps récent, le vrai Bissau-guinéen, c'est celui-là qui a pris part à la lutte de libération nationale. C'est pourquoi les vétérans du PAIGC avaient plus de considération que les professeurs d'université ou autres cadres du pays au sein de la population. Et les dirigeants du PAIGC ont toujours profité de cette estime pour régner à la tête du pays, mais souvent, avec des pratiques peu orthodoxes. Beaucoup d'officiers parmi les vétérans de la guerre de libération sont toujours en activités, refusant d'aller à la retraite. La corruption et la malversation sont érigées en règle. Ministres, gouverneurs, préfets, agents de la fonction publique,... chacun travaille pour sa poche d'abord avant de penser au trésor public. Les ministres passent plus de temps à l'étranger pour gonfler leurs primes. C'est une exception de trouver un ministre dans ce bureau à Bissau. Conséquences: le trésor du pays est tout le temps vide, les fonctionnaires restent des mois voir des années parfois sans salaires. Et de l'autre côté, pas d'infrastructures sociales de base adéquates à l'intérieur du pays, les populations partent se soigner dans les grandes villes et pour les cas graves ils vont à l'étranger. Les enseignants sont toujours en grève, dans les écoles faute de salaires ou de plan de carrière. Le pays est frappé de plein fouet par le chômage, alors que les caciques du pouvoir passent sous les yeux des populations, tous les jours, avec de grosses cylindrées et habitent dans des villas cossues. À cela, il faut ajouter le trafic de drogue qui est devenu endémique en Guinée-Bissau depuis près de deux décennies et implique souvent des gens du pouvoir ou de l'armée. Des officiers de l'armée sont devenus des milliardaires avec la drogue. On se souvient que l'ancien chef de la marine nationale Bubo Na Tchuto avait même fait l'objet d'arrêt pour trafic de drogue par les Américains qui l'ont jugé et condamné pour quatre ans ferme de prison, il y a un peu plus de cinq ans. En quelque sorte, les leaders du PAIGC avaient fini par croire que la Guinée-Bissau, c'est eux et personne d'autre, profitant de leur statut de libérateur du pays. Mais, cette situation a commencé à changer, les jeunes du pays nés dans la période post-indépendance qui n'ont pas vécu donc la guerre de libération nationale n'ont pas la même philosophie que leurs parents. Surtout qu'aujourd'hui cette jeunesse se forme, de plus en plus, à l'étranger et est donc très au fait de ce qui se passe dans les autres pays.
Pour ces jeunes, avant tout c'est l'intérêt supérieur de la patrie et, à leurs yeux, le PAIGC est devenu un paria pour l'émergence du pays. D'où leur volonté de se départir des caciques de ce parti pour apporter de nouvelles orientations au niveau du sommet de l'Etat.
Le président sortant, José Mario Vaz, l'avait vite compris cela et avait même entamé des réformes dés son élection en 2014 notamment pour assainir la gestion des finances publiques, mais les mesures qu'il avait prises dans ce sens seront n'auront pas la bénédiction de certains membres du gouvernement et même de l'administration. C'est pourquoi, il avait pris la décision de limoger le premier ministre Domingos Simoës Preira qui, lui-même, n'était pas chaud pour l'application de ces mesures. C'est là qu'est née la crise politique que le pays a traversée durant ces cinq dernières années. Et c'est aussi, peut-être, cette crise qui a emporté d'une part le PAIGC. En témoin, lui qui était majoritaire à l'Assemblée nationale en 2014 avec 57 députés parmi les 102 que compte l'hémicycle, s'est retrouvé avec 40% seulement lors des dernières législatives. Il lui a fallu des alliances avec d'autres formations pour avoir une majorité qui lui permet de former un gouvernement. Il a encore obtenu les mêmes 40% au premier tour de cette présidentielle, ce qui veut dire il ne progresse plus.
Avec l'élection de Embalo, il ne faut pas écarter l'idée de voir, ces alliances volées en éclats, car en Guinée-Bissau les députés changent de couleurs comme des caméléons en fonction des offres qui leur sont faites. En témoin, au fort temps de la crise entre le président José Mario Vaz et Domingos Preira, une quinzaine de députés du PAIGC avaient changé de camp pour rejoindre l'opposition, rendant ainsi celui-ci minoritaire. C'est ce groupe des 15 qui a fondé le Madem qui a porté Embalo au pouvoir.
L'autre raison qui peut expliquer la chute du PAIGC peut être liée au vote ethnico-religieux. En fait, à l'image de beaucoup de pays africains, la politique est teintée de relents ethniques ou religieux en Guinée-Bissau. C'est ce qui a fait, par exemple, que José Mario Vaz a pu devenir président de la république. Il a été investi par le PAIGC en 2014 pour faire éclater l'électorat balante l'ethnie qui est l'ethnie majoritaire en Guinée-Bissau et qui était très favorable à Nuno Nabiam du PRS qui pourrait l'emporter si le PAIGC investissait Domingos Simoës Preira ou quelqu'un d'autre qui sont d'une autre ethnie. C'est pour cette raison que Vaz a toujours était considéré comme un président par défaut.
La religion a aussi joué un rôle important pour l'élection de Embalo qui appartient à la communauté peule musulmane qui est très importante en Guinée-Bissau et notamment dans la zone du Gabou et de Bafata. Cette communauté a fortement voté pour lui pour lui manifester son soutien mais aussi pour solder ses comptes avec Domingos qui interdisait l'appel des muezzins dans certains quartiers de Bissau, la capitale, à certaines heures, quand il était chef du gouvernement.

Mamadou Alpha Diallo (infos15.com)

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