PROJET DE LOI IMMIGRATION : POURQUOI ELISABETH BORNE "JOUE GROS" EN NEGOCIANT AVEC LA DROITE

17 - Décembre - 2023

La Première ministre a repris en main les négociations avec Les Républicains pour aboutir à un compromis sur le projet de loi immigration. Mais quelle que soit l'issue du texte, la question de son maintien à Matignon va se poser.
"Elle veut montrer à [Gérald] Darmanin qu'elle peut réussir là où il a échoué", observe un conseiller ministériel. Longtemps en première ligne sur le projet de loi immigration, le ministre de l'Intérieur a été contraint de laisser ce rôle à celle qu'il a cherché à remplacer il y a quelques mois : Elisabeth Borne. Après le vote d'une motion de rejet à l'Assemblée nationale, lundi 11 décembre, la Première ministre "a repris la main" dans les discussions avec la droite pour tenter de trouver un compromis, raconte le même conseiller.

Deux rendez-vous ont déjà eu lieu à Matignon avec les ténors des Républicains pour négocier pied à pied les 90 articles du projet de loi. Un troisième round est prévu dimanche, à 19 heures. La cheffe du gouvernement entend aboutir à un accord que pourra entériner la commission mixte paritaire (CMP) qui se réunit lundi, à 17 heures, avant que le Sénat et l'Assemblée nationale le votent mardi. Elisabeth Borne "joue gros", souffle un député de l'aile droite de la macronie. "La mission est compliquée, mais pas impossible, défend un conseiller de l'exécutif. Car Elisabeth Borne a en réalité "deux missions" : "trouver un accord avec LR et ne pas fracturer la majorité".

"Elle est très correcte", selon Bruno Retailleau
La locataire de Matignon a "été remise en selle par le fait que LR veuille négocier avec elle", souligne le politologue Bruno Cautrès. Dès le lendemain de l'adoption de la motion de rejet, le patron de LR, Eric Ciotti, avait affirmé sur Europe 1 être "ouvert à la discussion sur la suite de ce texte", mais "avec la Première ministre". Une manière d'écarter le ministre de l'Intérieur, avec qui les relations se sont considérablement tendues. "Darmanin est très affaibli, il l'a reconnu lui-même puisqu'il parle d'échec, Borne s'engage personnellement", soutient une députée LR auprès de France Télévisions.

Sur la forme, au moins, les discussions avec Elisabeth Borne "se passent bien", assure un conseiller de l'exécutif. "Elle a toujours eu de bons rapports avec LR, c'est une discussion à la fois politique et technique, ça avance bien. Et puis Elisabeth Borne adore la négociation et les tractations", décrit-il. Le patron des sénateurs LR confirme la cordialité des échanges : "Elle est très correcte. Mais la partie est compliquée avec sa majorité", estime Bruno Retailleau.

Dans le camp présidentiel, justement, ils sont plusieurs à saluer une cheffe du gouvernement qui monte au front. "Elle fait un excellent travail en ramenant tout le monde autour de la table et en proposant des compromis, c'est la logique de nos institutions sous la Ve République : la Première ministre est la cheffe de la majorité", applaudit le député Renaissance Paul Midy. "Elle se comporte vraiment en cheffe de gouvernement, c'est plutôt courageux", appuie un conseiller ministériel.

Reste que le défi est de taille. Faute de texte voté par l'Assemblée, c'est la version durcie et votée par le Sénat qui sert de base aux négociations entre l'exécutif et la droite. Or, pour une partie de la majorité (l'aile gauche de Renaissance et le MoDem) ce texte fait figure de repoussoir. Dans le camp d'en face, LR a prévenu : ils ne mêleront leurs voix à celles du camp présidentiel qu'à condition de reprendre l'intégralité de la version de la chambre haute. "Elisabeth Borne essaye de brancher les deux fils, c'est sûr que ça tangue des deux côtés", résume un conseiller ministériel.

"L'autorité de Matignon est érodée"
La Première ministre doit en plus composer avec certains membres du gouvernement qui cherchent à imposer leur ligne, à l'image de Bruno Le Maire ou Olivier Véran. Le ministre de l'Economie a appelé dans Le Figaro à "reprendre la version du Sénat" en vue de la commission mixte paritaire. Quant au porte-parole du gouvernement, il a souligné, jeudi soir, lors d'une réunion à Matignon, qu'il était difficile de faire confiance aux députés LR pour faire adopter des textes.

Ces prises de position n'ont pas plu à Elisabeth Borne, qui les a recadrés, selon une source au sein de l'exécutif, confirmant le récit fait par plusieurs médias, dont BFMTV. "Olivier Véran et Bruno Le Maire se sont fait taper dessus. Elle essaye de tenir le collectif gouvernemental, mais c'est trop tard. L'autorité de Matignon est érodée", estime un conseiller ministériel, rejoint par Bruno Cautrès : "Quand on est obligés de faire savoir qu'on est la cheffe, ça traduit le fait qu'il y a un souci."

"Elle lie son sort à celui du texte"
Les efforts d'Elisabeth Borne pour sortir le projet de loi immigration de l'ornière interviennent dans une période particulièrement délicate pour la Première ministre. Déjà donnée partante de Matignon cet été, elle se retrouve depuis quelques semaines au centre de rumeurs qui font d'elle la principale victime d'un possible remaniement après les fêtes de fin d'année. Elle tente donc de marquer des points avec ce projet de loi. "Elle lie son sort à celui du texte", estime un conseiller ministériel.

"Elisabeth Borne se sent en danger si jamais ça ne passe pas, ce qui n'était pas évident au début de l'examen du projet de loi."Un conseiller ministériel à franceinfo

En cas d'accord avec LR et de vote au Parlement, Elisabeth Borne conservera-t-elle sa place ? Pas forcément, car Emmanuel Macron pourrait précipiter son départ. "Le président de la République a envie de changer de Premier ministre à la rentrée, en janvier. Elle est un peu cramée, avance l'un des proches du chef de l'Etat. Ce qu'elle fait en ce moment peut la sauver, mais il n'est pas sûr que cela suffise. Au moins, elle sortirait par le haut."

"Fermer cette séquence le plus vite possible"
Aux yeux d'un de ses ministres, l'équation de la Première ministre est de toute façon impossible à résoudre. "Pile : il n'y a pas de texte et c'est un échec du gouvernement alors que 70% des Français sont pour. Face : il y a un texte, mais on sait déjà qu'il sera inspiré par la droite. Or Elisabeth Borne, c'est la gauche, c'est son ADN politique et celui de ses soutiens, ceux qui ont le plus poussé pour que ça soit elle à Matignon."

"En cas d'échec, elle devra endosser la responsabilité quoi qu'il arrive."Un ministre à France Télévisions

Au-delà de l'avenir personnel de la Première ministre, la majorité et l'exécutif pourraient entrer dans une phase de fortes turbulences dès les prochains jours. "S'il y a un échec, ça sera collectif et nous devrons tous nous remettre en question", prévient le député Renaissance Ludovic Mendes.

La crise pourrait se prolonger dans les prochaines semaines, voire les prochains mois. "On joue gros pour la suite du quinquennat, admet un député de la majorité. C'est notre capacité collective à réformer qui est en jeu", alors que le camp présidentiel ne dispose que d'une majorité relative à l'Assemblée nationale. "Il faut qu'on ferme cette séquence le plus vite possible, qu'il y ait une conclusion positive ou pas", insiste un autre parlementaire.

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Auteur : Posté le : 18/12/2023 à 19h18
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