PROPOS DE MERCREDI :Le temps de « défaidherber » les esprits

17 - Juin - 2020

Plusieurs personnalités saint-louisiennes ont demandé ces derniers jours le retrait de la statue du général Faidherbe et le baptême du pont éponyme du nom du célèbre artiste et homme de culture Alioune Badara Diagne Golbert. Cette requête s’inscrit dans une actualité internationale marquée par le déboulonnage des statues dédiées à des personnalités esclavagistes ou colonialistes. Une université belge a décidé de retirer une statue du fameux Léopold II à la demande d’une étudiante d’origine congolaise. Tout un symbole.
La réclamation des Saint-Louisiens va certainement buter sur l’obstination du président français. Dans son discours à la nation de dimanche dernier, Macron a en effet formellement exclu une telle perspective. « La République, a-t-il martelé, n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle ne déboulonnera pas de statues ». Ni à Lille ni à Saint-Louis, pourrait-on ajouter.
Le vif intérêt pour ce monument de l’ancienne capitale du Sénégal témoigne de l’arrivée d’une nouvelle génération sensible aux thèmes de l’anticolonialisme et du panafricanisme, contrairement à leurs prédécesseurs immédiats dont certains ont pu proclamer publiquement, sans coup férir, que « Faidherbe est le véritable père de la nation sénégalaise ». Un peu comme certains de leurs grands-pères avaient cru comiquement que « nos ancêtres étaient des Gaulois avec des cheveux blonds et des yeux bleus ».
Ces jeunes contestataires renouent avec la tradition des « cinquante-huitards » et des « soixante-huitards » dont les combats ont été freinés par l’impact démobilisateur de l’assassinat de Thomas Sankara en 1987 et de la chute du mur de Berlin en 1989.
Il aura fallu l’émergence des réseaux sociaux pour voir de jeunes historiens porter à la connaissance du public que l’épopée sanglante et incendiaire du général Faidherbe véhiculait une idéologie raciste anti noire, non pas le racisme privé d’un aventurier mais un racisme d’État codifié par une directive officielle du ministère des Colonies. Ceci n’exonère pas la responsabilité personnelle de Faidherbe puisque certains administrateurs coloniaux dont Maurice Delafosse ont, à travers de nombreux écrits, dénoncé ce racisme comme une manifestation d’ignorance pure et simple.
Ces rappels sont importants car ils dénudent le racisme comme une construction intellectuelle, une idéologie politique chargée d’alimenter la guerre psychologique contre des populations à asservir et exploiter. La théorie d’une « race supérieure » a pour principale fonction d’inhiber la volonté des « races inférieures », de leur injecter le mépris de soi et la résignation. Tant que les rapports économiques inéquitables et le franc CFA seront perpétués, le racisme d’État et ses icônes comme la statue de Faidherbe seront entretenus. Voilà certainement pourquoi la France officielle reste davantage attachée à ses reliques coloniales que ses voisins belge et anglais.
L’édifice de la place Faidherbe mérite le déboulonnage, en dépit de l’énervement de quelques nostalgiques. Ce serait un symbole, un message puissant contre la haine et pour le respect mutuel. Mais seulement un symbole, dont la portée serait largement anecdotique. Oui, il faut déboulonner la statue de Faidherbe mais il faut aussi « défaidherber » nos structures politiques et économiques et surtout nos esprits.
La revendication des Saint-Louisiens montre les progrès de ce « défaidherbage » dans l’esprit de la jeunesse sénégalaise et africaine. Les années d’ajustement structurel et la dévaluation du CFA ont donné naissance à une nouvelle génération moins inhibée par la méconnaissance et la mésestime de soi inculquées par l’école néocoloniale à leurs devanciers : une génération vaccinée contre les fausses promesses de l’« aide », de la « coopération » ou du « partenariat ».
Le « défaidherbage » des esprits est activé par exemple quand, face à la crise de la Covid-19, les créanciers publics occidentaux assurent moins que le service minimum devant l’exigence universelle de l’annulation de la dette monstrueuse des pays pauvres, et africains en particulier.
Il l’est aussi devant le chantage éhonté de certaines agences de notation dont les décisions récentes de « revue pour dégradation » visent à imposer l’affectation des maigres ressources de nos États à un remboursement prioritaire de créanciers privés illégitimes, à la place du sauvetage de la vie des millions d’Africains menacés par le coronavirus et les risques sanitaires et alimentaires subséquents.
Le « défaidherbage » des esprits, c’est aussi la valorisation de soi. C’est la vigilance vis-à-vis des discours convenus sur les États et dirigeants africains qui, certes, ne sont pas parfaits ni même convenables mais qui ne sont pas pires que ceux qu’on veut prendre en exemple. C’est se libérer de toute idée d’une « spécificité scandaleuse » de l’Afrique entretenue par les plumitifs de la guerre psychologique et gobée par certains des nôtres sans examen critique. C’est comprendre qu’en matière de corruption comme de pauvreté, la différence entre l’Afrique et le reste du monde est seulement une différence d’échelle et non de nature.
Le « défaidherbage » des esprits postule également le refus de la passivité et de l’attentisme ainsi que le culte du sens de l’initiative et de l’esprit offensif.
Il serait dommage que la nouvelle génération, se trompant de combat et d’adversaire, soit piégée dans un radicalisme de façade qui désunit, désarme et démobilise plus qu’il ne sert la cause commune. Ce « radicalisme de bouche » est certainement fascinant mais son résultat est de disperser les forces africaines, au grand bonheur des puissances dominatrices.
La Chine devient la première puissance mondiale parce que ses dirigeants ont, en son temps, compris le message du président Mao leur recommandant de mettre l’accent sur leur cohésion face à la domination étrangère (« contradiction principale ») plutôt que sur leurs dissensions internes (« contradictions secondaires »). Autrement dit, comprendre que « ce qui nous unit est plus important que ce qui nous divise ».
A défaut de saisir la portée de ce message, nos « radicaux de bouche » feront, sans le vouloir, le jeu de leurs adversaires. Ce n’est pas le chemin menant à la réalisation de leurs idéaux de renaissance et de puissance de l’Afrique.

17/06/2020
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien député
Secrétaire général du Mps/Selal

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