SANDAGA, UN LIEU DE REFUGE AVEC BEAUCOUP DE CHALEUR HUMAINE

20 - Août - 2019

"Ce marché centenaire était un imposant bâtiment de trois niveaux, avec une structure particulière, largement calquée sur l’architecture soudano-sahélienne", se souvient l'écrivain Mamadou Samb.

Le marché Sandaga, avec ses couleurs et son architecture soudano-sahélienne évoquant l’habitat de la dynastie des Askia, était "un lieu de refuge" rempli de "chaleur humaine", se rappelle l’écrivain Mamadou Samb, dont les souvenirs d’enfance sont rythmés en partie par les activités commerciales de son père au sein de ce centre d’affaires dakarois.

"Ce marché centenaire était un imposant bâtiment de trois niveaux, avec une structure particulière, largement calquée sur l’architecture soudano-sahélienne", se souvient M. Samb, lorsqu’on lui parle du projet de rénovation consacré à ce centre commercial par le ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et du Cadre de vie.

L’écrivain sénégalais a vécu une enfance bercée en partie par cet important espace commercial situé en plein cœur de Dakar-Plateau, le quartier des affaires et de l’administration, siège de la quasi-totalité des institutions sénégalaises dont la présidence de la République et l’Assemblée nationale.

S’agissant du marché Sandaga, M. Samb se rappelle que c’est là qu’il venait aider son père, El Hadji Mor Samb, délégué des commerçants, à écouler ses marchandises.

"Les murs de couleur ocre et artistiquement sculptés du marché Sandaga étaient attrayants et se distinguaient nettement du paysage environnant. Ils ne laissaient personne indifférent", rappelle Mamadou Samb.

Selon ses souvenirs, en termes de couleur, le marché semblait n’avoir d’égal que les bâtiments du service de l’hygiène et de l’école élémentaire El Hadji-Malick-Sy, située en face la RTS, la Radiotélévision sénégalaise.

"UN LIEU DE REFUGE"

"Les gens n’allaient pas au marché Sandaga pour uniquement faire des achats. Le marché était, par moments, un lieu de refuge" pour de nombreux Dakarois, "des mendiants aux clochards en passant par des gens qui n’avaient pas de personnes avec lesquelles discuter", raconte M. Samb.

"Tout était disponible sur place, avec une organisation et une hiérarchisation toute particulière chez les vendeurs, les veilleurs de nuit et les agents de nettoiement", se rappelle-t-il, ajoutant que certains Dakarois se levaient le matin pour aller flâner à Sandaga, où elles étaient en contact avec cette "chaleur humaine" que l’espace marchand semblait être l’unique pourvoyeur.

Mamadou Samb se souvient également du "brassage culturel extraordinaire" qu’il y avait entre les Sénégalais, les Guinéens, les Maliens, les Dahoméens (du Dahomey, l’actuel Bénin), les Voltaïques (de la Haute-Volta, devenue Burkina Faso) et les ressortissants d’autres pays.

Ses souvenirs vont jusqu’au sous-sol du marché, où étaient stockées toutes sortes de marchandises.

Le rez-de-chaussée était réservé aux vendeurs des denrées alimentaires. Mais pas seulement. C’est là qu’il fallait se promener pour trouver des marchandises d’un genre un peu particulier, l’encens par exemple, selon M. Samb.

Le premier étage du marché, ainsi que le second, étaient destinés aux étals aménagés pour la viande et les légumes. C’est à ce niveau aussi que se trouvaient les restaurants et les gargotes dont les propriétaires cuisinaient à la maison pour ensuite vendre au marché. "C’est bien plus tard, dit-il, que l’on a commencé à cuisiner sur place, avec toutes les conséquences que cela engendre."

La terrasse du bâtiment commercial était le lieu de convergence des troupes de danse venues de plusieurs pays, se rappelle Mamadou Samb dont la mémoire prend aussi en compte l’espace réservé à la vente de papier à usage d’emballage, au rez-de-chaussée. Le plastique utilisé pour l’emballage n’existait pas encore à Sandaga, selon lui.

Le coin réservé à la vente de papier s’est par la suite mué en librairie et abritait un kiosque à journaux. C’était aussi le lieu de convergence des hommes et femmes qui savaient lire, qui étaient friands de vieux journaux étrangers. "On se présentait devant les étals pour fouiller dans le tas et choisir des revues et des livres dont les prix n’étaient jamais fixes", rappelle Mamadou Samb.

Selon ses souvenirs, les lecteurs avaient aussi la possibilité de lire des journaux sur place, de les revendre ou de les troquer avec d’autres. L’auteur du roman ’’Le regard de l’aveugle" (2008) se souvient de ses séances de lecture à la lueur des lampadaires.

"ON ALLAIT À SANDAGA POUR APPRENDRE À VIVRE"

C’est là que Mamadou Samb se gavaient des aventures de "Blek le Roc et le petit trappeur", de "Zembla le roi de la forêt", de "Kid le cow-boy", d’"Astérix le Gaulois", etc. Des livres qui, dit-il, ont influé son cursus scolaire et académique, notamment sa candidature au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure (l’actuelle Faculté des sciences et techniques de l’éducation et de la formation, à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar), dans les années 1970.

"A cette époque-là, les parents ne laissaient pas les enfants aller flâner. Tous les mercredis soir, les samedis et les dimanches, on allait à Sandaga pour apprendre à vivre, à commercer et à communiquer avec les autres", se souvient le jeune écolier, qui assurait le secrétariat des commerçants du marché Sandaga, confié à son père.

Le lauréat du Grand prix des lycéens en 2011 estime que le marché Sandaga d’aujourd’hui n’a rien de celui qu’il a connu durant sa jeunesse. "Le marché a perdu son charme depuis longtemps", dit-il, se désolant de la "désorganisation" actuelle.

Il évoque également le coup de sifflet donné quotidiennement à 17 h 30 pour marquer la fin des activités commerciales et la fermeture du marché. Le signal sonore marquait en même temps l’arrivée des agents chargés de balayer et de nettoyer "à fond" le marché, selon M. Samb.

L’architecture de ce marché dont il connaissait les coins et recoins comme sa poche devrait être préservée, plaide-t-il. "Je pense que l’on doit garder l’architecture à l’identique, avec des outils modernes. Autrement, ce serait fade et sans l’esprit Sandaga", dit-il, s’opposant ainsi au "projet" présenté par les commerçants en vue de la rénovation du centre commercial.

"On va garder la même architecture du bâtiment principal, construire une esplanade, parce que Sandaga doit respirer. Et on va construire un centre commercial de cinq étages et enlever toutes les cantines", avait répondu le ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et du Cadre de vie, Abdou Karim Fofana. "Pourra-t-on reconstruire ce trésor extraordinaire que constituait Sandaga ?", se demande Mamadou Samb, sans cacher son pessimisme.

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