Sénégal : « Ce coup de force s’inscrit dans notre histoire françafricaine »

07 - Février - 2024

Benjamin König ( Humanité.fr)- Coauteur d’un ouvrage récent sur l’histoire électorale des pays de la Françafrique, Ndongo Samba Sylla analyse ce qui se joue derrière le coup de force de Macky Sall, dans un pays considéré hâtivement comme « le bon élève démocratique » de l’Afrique.

Après l’annonce du report de l’élection présidentielle, prévue le 25 février, par le président sortant, l’Assemblée nationale a voté, ce lundi, le scrutin au 15 décembre prochain après que les gendarmes ont forcé les députés de l’opposition à sortir de l’Hémicycle. Ce « coup d’État », comme le nomment les Sénégalais, survient alors que la coalition du président sortant pouvait être battue. Pour l’économiste et auteur Ndongo Samba Sylla, ces événements s’inscrivent dans l’histoire de l’impérialisme électoral.

Quelle est la situation à Dakar et au Sénégal depuis l’annonce, le 2 février, du report de l’élection ?

Les Sénégalais sont scandalisés, les gens ordinaires et je pense aussi l’écrasante majorité des intellectuels et mouvements de la société civile. Ils voient cela comme un affront. Beaucoup de personnalités ont réagi. Universitaires et intellectuels ont publié des lettres ouvertes pour crier au scandale, au coup d’État constitutionnel, même si je n’utilise pas ce concept – je dirai simplement coup d’État civil.

Une manifestation a été dispersée, dimanche, un autre rassemblement également, ce lundi, devant l’Assemblée nationale : est-ce une mobilisation importante, et quelle est la nature de la répression ?

La campagne officielle devait débuter le 3 février : les gens sont venus et certains leaders ont été arrêtés. Dans certains quartiers, les jeunes ont bloqué les rues, mais cela reste « contrôlé », ce n’est pas ce qu’on avait vu en juin 2023 ou mars 2021. Les autorités ont coupé l’Internet mobile. Pour l’instant, c’est relativement calme. Les Sénégalais donnent souvent une chance au processus institutionnel. Cependant, ils sont très choqués.

Vous consacrez dans votre livre un chapitre au cas du Sénégal : en quoi la crise actuelle trouve-t-elle ses racines dans la période récente, notamment les cinq dernières années ?

Notre démarche est celle d’une contre-histoire face aux récits officiels. Le Sénégal est souvent présenté comme la « vitrine démocratique », mais en réalité, l’histoire longue montre que ce n’est pas le cas. Dans ce chapitre, nous avons introduit le concept « d’eugénisme électoral », qui signifie qui a le droit d’être électeur, d’être candidat ou non. Derrière la façade démocratique, ces pratiques se sont développées sous Macky Sall.

C’est d’ailleurs une tendance dans de nombreux pays d’Afrique francophone. Comme ils disent que nous sommes en démocratie, il faut un semblant de compétition, en choisissant les adversaires. Mais si ceux-ci sont en position de créer une véritable alternance, il faut trouver des procédures judiciaires pour les éliminer.

L’autre moyen est de dissuader les électeurs, les empêcher de s’inscrire ou de voter dans des régions entières qui sont considérées comme des soutiens à l’opposition, par exemple dans la région administrative de Dakar, ou dans celle du Fouta.

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

15 - Mai - 2023

Ziguinchor: Le domicile de Sonko barricadé par des jeunes patriotes depuis plusieurs jours pour s'opposer à son éventuelle arrestation

Sur les réseaux sociaux, une vidéo montrant l'arrivée d'une dizaine de véhicules de la gendarmes a provoqué la mobilisation des militants de Pastef qui doutaient...

15 - Mai - 2023

Processus de paix en Casamance : La faction nord de Diakaye du Mfdc a déposé les armes

En Casamance, des centaines de combattants du Mfdc affiliés à la faction du Diakaye ont déposé les armes. La cérémonie de dépôt des armes...

14 - Mai - 2023

APR FRANCE: TAILLE XXL

Casquette vissée sur la tête, tee-shirt à l’effigie du président Macky Sall, les militants de l’APR, brandissant des drapelets aux couleurs nationales et des...

14 - Mai - 2023

APR FRANCE : LES CONSEILS DE SOKHNA AWA DIOP MBACKE AUX RESPONSABLES DE LA DSE

S’il y a une militante, qui a la légitimité d’écrire l’histoire de l’APR/France, c’est bien Sokhna Awa Diop Mbacké. Elle avait...

14 - Mai - 2023

FRANCE: LE F24 BRANDIT SON ARME DE DISSUASION MASSIVE CONTRE LE TROISIEME MANDAT

Pour sa première sortie publique, le mouvement citoyen F24 a convaincu plus d’un sur sa capacité de mobilisation, arme de dissuasion massive contre le troisième mandat....