SENEGAL : LES FAILLES DU MODELE DEMOCRATIQUE

11 - Mars - 2019

Malgré la nette victoire de Macky Sall à la présidentielle du 24 février, il est prématuré de faire de Dakar une vitrine de la démocratie en Afrique, estime Christophe Châtelot, journaliste au « Monde Afrique ».

Analyse. Le Conseil constitutionnel du Sénégal a validé, mardi 5 mars, la large victoire de Macky Sall à l’élection présidentielle du 24 février. Ce n’est pas une surprise. Cela confirme les résultats annoncés précédemment par la Commission nationale de recensement des votes (CNRV). Ce succès électoral est intervenu à l’issue d’un vote jugé « transparent, crédible et paisible » par les observateurs. Le pays démontre à nouveau sa capacité à organiser des élections.
C’est une bonne nouvelle pour le Sénégal et pour l’Afrique en général, surtout en cette « période de sécheresse démocratique », comme la qualifie l’historien sénégalais et diplomate onusien expérimenté Abdoulaye Bathily. Alors, le Sénégal, une démocratie exemplaire sur le continent africain ? La conclusion est sans doute un peu rapide, tant le système politique local affiche des imperfections.

Sur un plan comptable, la victoire de Macky Sall est incontestable. Le président sortant – élu pour un nouveau mandat ramené de sept à cinq ans depuis la modification constitutionnelle de 2016 – a en effet obtenu 58,27 % des suffrages exprimés. Grâce à un bilan respectable et une campagne de terrain innovante, proche des gens, Macky Sall a ainsi atteint son objectif, ce fameux « coup KO » évitant un second tour aventureux face à un front uni contre lui.
Son score est d’autant plus remarquable que les électeurs se sont fortement mobilisés – 66,23 % de participation, soit douze points de plus qu’en 2012 –, malgré l’appel au boycott d’un ancien président vieillissant et revanchard, Abdoulaye Wade. Macky Sall distance Idrissa Seck (20,51 %), ancien premier ministre, que l’on disait politiquement moribond. Le député antisystème Ousmane Sonko affiche un score inattendu (15,67 %) pour un nouveau venu sur la scène sénégalaise, mais, au niveau national, la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) l’emporte dans douze des quatorze régions.
Tentations autoritaires
Dans un communiqué commun, les perdants ont toutefois rejeté « fermement et sans aucune réserve ces résultats ». Pourtant, ils ont renoncé à déposer des recours devant le Conseil constitutionnel. Pourquoi se priver de cette arme légale si « la confiscation » du vote est si évidente ? Sans doute parce que les preuves manquaient. D’ailleurs, leurs partisans n’ont pas pris les rues d’assaut comme ils l’auraient probablement fait, si l’opposition avait été outrageusement volée.

Pour mémoire, l’opinion publique et l’opposition coalisée s’étaient massivement mobilisées en 2012 contre la candidature d’Abdoulaye Wade. Celui-ci avait tripatouillé la Constitution grâce à la connivence du Conseil constitutionnel et la passivité de l’Assemblée nationale, contrôlée par l’exécutif pour briguer un troisième mandat auquel il n’avait pas droit initialement. Cette manœuvre lui avait été fatale. Elle conduisit à sa défaite à la présidentielle, battu par Macky Sall, son ancien premier ministre, érigé en champion de l’alternance bien qu’issu du même sérail.
Cet épisode montre qu’il existe des remparts contre les tentations autoritaires des dirigeants sénégalais. Mais il souligne également que les pratiques arbitraires jalonnent l’histoire de cette démocratie pas aussi exemplaire que cela, y compris durant le « règne » (1960-1980) du président et icône Léopold Sédar Senghor.
Lutte « grossièrement inéquitable »
La dernière élection ne fut pas non plus irréprochable. Loin de là. Ainsi, les deux principaux concurrents potentiels de Macky Sall n’ont pas eu le droit de se présenter. Khalifa Sall, populaire maire de Dakar, déchu depuis, a été condamné, en 2018, à cinq ans de prison pour « escroquerie portant sur les deniers publics ». Quant à Karim Wade, le fils de l’ancien président, condamné pour « détournement de fonds », il vit au Qatar depuis qu’il a bénéficié d’une grâce présidentielle en 2016 et n’est plus inscrit sur les listes électorales.
Il ne s’agit pas de juger du bien-fondé des accusations portées contre eux. Mais « au Sénégal comme ailleurs se pose la question du rôle de la justice dans les procès d’opposants. Cela fragilise le système démocratique », estimait Abdoulaye Bathily dans un entretien publié le 31 décembre 2018 sur le site de l’hebdomadaire Jeune Afrique. « Lorsque des gens soupçonnés de malversations sont contre vous, ils tombent sous le coup de la loi, mais lorsqu’ils sont avec vous, vous les épargnez, ajoutait-il. C’est la première fois que l’on fait écarter par la justice des candidats à la présidentielle. » Et la vitrine démocratique du pays perd subitement de son éclat.
D’autant qu’au regard des moyens financiers et matériels déployés par le pouvoir en amont du scrutin et durant la campagne électorale, la lutte fut « grossièrement inéquitable », analyse Etienne Smith dans un article publié lundi 4 mars sur le site de The Conversation. Il s’agit là d’une faiblesse récurrente du système politique local. L’auteur énumère les pistes pour y remédier : mandat présidentiel non-renouvelable, financement officiel et encadré des partis politiques, interdiction d’activités politiques pour les hauts fonctionnaires et responsables d’établissements publics, amélioration du statut et professionnalisation de la presse, responsabilisation des députés, neutralité du ministère de l’intérieur… « Tant que ces réformes ne seront pas mises en place, […] les élections ne gagneront pas en légitimité », estime ce maître de conférences à Sciences Po Bordeaux. Macky Sall dispose maintenant de cinq ans pour que ce « modèle démocratique sénégalais », avantageusement décrit au regard des abus répétés d’autres pays du continent, devienne une réalité.

Lemonde

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