Souleymane Cissé: il y a "un mépris" envers le cinéma africain

17 - Mai - 2023

Une «censure» et du «mépris» empêchent la diffusion des films africains dans le monde, estime auprès de l'AFP le réalisateur malien Souleymane Cissé, 83 ans, l'un des pères du 7e art sur ce continent, qui n'a raflé à ce jour qu'une seule palme d'or.

LE FIGARO. - En mai 1987, vous receviez le prix du jury pour votre film Yeelen . Trente-six ans plus tard, vous êtes à nouveau primé à Cannes avec le Carrosse d'Or, décerné mercredi à la Quinzaine des cinéastes . Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?

Souleymane CISSÉ - Je remercie les confrères de m'avoir choisi. Ce prix m'incite à faire de nouveaux films, à me réinventer et changer de vision. Si le cinéma social reste mon ADN, j'ai envie d'explorer d'autres genres comme le fantastique. J'ai toujours eu envie de faire des films fantastiques mais l'occasion ne s'est jamais présentée à moi. J'espère aussi que, grâce à ce prix, des projets chers à mon cœur, qui dorment dans des armoires, vont se réveiller, parmi lesquels plusieurs documentaires.

On vous décrit souvent comme le grand-père du cinéma africain, un des pionniers. Quel regard portez-vous sur celui-ci ?

Grand-père ? Je ne sais pas trop. J'ai l'impression que ceux qui disent cela n'ont pas compris mes œuvres. Tous les films que j'ai réalisés sont encore d'actualité. Mon premier long-métrage La Jeune Fille, qui va être diffusé mercredi à la Quinzaine, parle de viol et je pense que c'est un film très sensible, qui ne meurt pas dans le temps. Sur la nouvelle génération, j'ai toujours été et je resterai optimiste. Ce que nous n'avons pas pu réaliser, eux le feront. Le fait qu'il y ait deux films africains en compétition cette année est un bon signe. Nous avons des problèmes au Mali et au Niger parce que malheureusement, depuis 50 ans, nos dirigeants ne veulent pas comprendre l'importance du cinéma. Dans les autres pays, le cinéma se développe bien. Au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Ghana et au Nigeria, il y a une grande vitalité. Ce qui est un peu dommage pour moi, c'est que nos films sont privés de la chance d'être vus par les spectateurs européens et américains.

Quel est le problème ?

Pour moi, c'est d'abord un problème de distributeur. Tant qu'ils ne porteront pas d'intérêt pour nos films, rien ne changera. On a beau produire, faire tout ce qu'on veut, tant que le public européen, américain ou chinois, n'aura pas accès à nos films, on n'avancera pas. Et je suis sûr que cette censure au niveau de la distribution va finir par se briser. Quand je dis censure, c'est qu'on empêche la sortie des films africains dans les grandes salles, ces salles populaires. Je prends le cas de la France par exemple. Très peu de films africains sont distribués correctement dans les salles de cinéma du pays, alors même que le public a toujours été au rendez-vous du cinéma. C'est beaucoup de mépris. On ne veut tout simplement pas mettre à la même hauteur des cinéastes d'Afrique et ceux de l'Occident. Or, le cinéma, c'est justement aller à la rencontre de l'autre. Ça fait 50 ans qu'on essaye de faire des films de qualité mais on le voit sur les écrans. Moi, j'ai eu la chance de voir mes films distribués correctement. Mais les autres ? Priver le public de tels films, c'est nourrir une forme d'incompréhension sur l'Afrique. Et quand l'incompréhension s'installe, les rapports entre les pays deviennent compliqués. C'est un combo perdant-perdant.

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