Une Justice pour les politiques (Par Yoro DIA)

10 - Octobre - 2019

Notre démocratie ne pourra pas faire de bond qualitatif aussi longtemps que nous en serons à une judiciarisation des conflits politiques qui se termine toujours par un arrangement auquel les juges donnent un emballage judiciaire
Cet automne, la France est marquée par les «sanglots longs» des violons des partisans de la France insoumise de Mélenchon qui joue la partition de l’acharnement et du procès politique qui vise à liquider leur leader avec des juges aux ordres et des medias complaisants. N’eut été le froid parisien et la leucoderme des acteurs, on aurait dit le Sénégal. De l’autre côté de la Manche, le Premier ministre Britannique Boris Johnson, qui se prend pour Churchill sans en avoir le talent et le sens de l’histoire, a cru devoir congédier le plus vieux Parlement au monde avant que les juges ne le rappellent à l’ordre. Là aussi, on se serait cru au Sénégal, où l’Exécutif a toujours domestiqué le Législatif. Un Premier ministre de Grande Bretagne, la plus vieille démocratie au monde, qui croit que pour des raisons politiciennes, il peut suspendre le Parlement, et en France, patrie de la Révolution française, l’on accuse les juges d’écrire sous la dictée de l’Exécutif, montre que sous tous les cieux, les hommes politiques ont les mêmes réflexes. C’est pourquoi la République et la démocratie ne survivent que grâce à des institutions fortes.

Si les institutions américaines n’étaient pas fortes, l’ouragan Trump les aurait balayées depuis longtemps. La différence entre ces pays de grande démocratie et le Sénégal qui reste une grande démocratie est que les juges sont à l’abri de tout soupçon, car s’étant battus pour que le temps de la justice ne soit pas celui de la politique. Quand Fillon a été mis en examen, personne n’a pensé à un coup tordu judiciaire pour l’empêcher de se présenter. Il en est de même aujourd’hui pour les gesticulations de Mélenchon et de ses partisans. Personne ne pense que le juge qui l’a convoqué pour s’être opposé à une perquisition a un agenda politique. D’ailleurs, les sondages montrent que plus de 60% des Français condamnent le comportement de Mélenchon, car ils ne peuvent pas comprendre qu’un élu puisse s’opposer à l’application de la loi.

Cette distance, cette «neutralité axiologique» de l’institution judiciaire est le chaînon manquant de notre système démocratique, où toutes les décisions de justice concernant les politiques sont automatiquement frappées d’une suspicion légitime. Ce qui fait qu’il y a une justice pour les citoyens et une autre pour les politiques. Ce privilège de juridiction pour les politiques va finir par créer une zone de non-droit pour les politiciens, car chaque fois qu’ils seront inquiétés, ils vont crier au complot politique et seront pris au sérieux à cause de la judiciarisation des conflits politiques qui ronge l’âme de notre démocratie. Il faut éviter des extrémités : la judiciarisation des conflits politiques et une justice particulière pour les politiques, pour ne pas dire une zone de non-droit. Cette judiciarisation des conflits politiques ne fait que décrédibiliser la justice qui, faut-il le rappeler, est le seul service de l’Etat qui porte le nom d’une vertu. Tout le Sénégal se réjouit de l’apaisement politique avec les retrouvailles Macky Sall-Abdoulaye Wade et la libération de Khalifa. En bon disciple de Nietzche, j’ai envie de sortir le «marteau» pour m’attaquer au système. L’apaisement, c’est très bien, mais notre démocratie ne pourra pas faire de bond qualitatif aussi longtemps que nous en serons à une judiciarisation des conflits politiques qui se termine toujours par un arrangement politique auquel les juges donnent un emballage judiciaire.

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

28 - Juin - 2024

EN CAS DE CARENCE DE L’ASSEMBLEE, D’ICI LE 15 JUILLET 2024, JE TIENDRAI MA DECLARATION DE POLITIQUE GENERALE DEVANT UNE ASSEMBLEE CONSTITUEE DU PEUPLE SENEGALAIS SOUVERAIN (OUSMANE SONKO)

J’ai bien reçu votre interpellation, à propos de la déclaration de politique générale du Premier Ministre, qui appelle de ma part les réponses et...

28 - Juin - 2024

QUI EST REELLEMENT JORDAN BARDELLA, PRESIDENT DU RASSEMBLEMENT NATIONAL ?

Le parcours de Jordan Bardella, qui est passé de décrocheur universitaire à celui de Premier ministre potentiel, en a étonné plus d'un, témoignant d'une...

28 - Juin - 2024

Législatives 2024 : le camp présidentiel pressé de se positionner sur des consignes de vote au second tour

Des rebondissements, des doutes, de la stratégie : c'est ce qu'il se trame en coulisse, dans les dernières heures de la campagne officielle avant le premier tour des élections...

28 - Juin - 2024

Après le débat Joe Biden-Donald Trump, les démocrates parlent ouvertement de remplacer leur candidat

Il y a encore quelques jours, l’hypothèse semblait relever de la politique-fiction, et la plupart des sources dans la presse, prudentes, s’exprimaient sous couvert...

27 - Juin - 2024

MARCHÉS PUBLICS, RECRUTEMENTS… : SONKO VEUT METTRE DE L’ORDRE

Le Premier ministre, Ousmane Sonko, a interpellé les membres du gouvernement dans une circulaire confidentielle dont Enquête détient copie. Dans ledit document datant du 19...