Une nomination polémique

09 - Avril - 2019

Le remaniement ministériel du président Macky Sall fait jaser. Et c’est le chamboulement à la tête du secteur de l’enseignement supérieur qui enregistre le plus de commentaires. Etudiants, professeurs et citoyen lambda sont depuis hier partagés entre “surprise’’ et “déception’’, vu les profils du ministre sortant et de son successeur. L’ancien directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), Cheikh Oumar Hann, est loin de faire l’unanimité au sein du campus. Et pour cause, “sa mauvaise gestion du personnel’’ et le flot de critiques quant à l’exercice de ses fonctionsdepuis2014. “Il refuse la prise en charge sanitaire du personnel du centre. Les vacataires et autres temporaires sont mal payés’’, renseigne un agent du Coud. Les plus déçus par cette nomination ne sont autres que les étudiants.

Dans les jardins, devant les amphis, ils discutent de ce changement qui, selon eux, est mal pensé. “Cheikh Oumar Hann peine à résoudre le problème du logement sur le campus. Plusieurs chambres sont occupées par des étudiants qui ne le sont que de nom. Les étudiants membres de l’Apr font la loi avec son aval. Certains ont même des postes au Coud. Franchement, il a échoué en tant que directeur du Coud. Je me demande comment il va gérer un ministère’’, s’interroge Ousmane Diop, étudiant en Licence de droit public. Tout comme lui, beaucoup reprochent au maire de Ndioum d’avoir installé un climat de tension politique entre les étudiants, dès son arrivée sur le campus. Pour d’autres, Cheikh Oumar Hann n’a ni la trempe ni la poigne de Mary Teuw Niane pour diriger un secteur perpétuellement en zone de turbulences. “Il méritait de rester dans le gouvernement, vu toutes les réformes qu’il a apportées dans le but d’assainir l’enseignement supérieur. Sous son mandat, il y a eu morts d’étudiants certes, mais je pense que Mary Teuw Niane avait les compétences requises. Il évoluait dans un secteur qu’il maitrisait très bien. C’est dommage’’, se désole Cheikh Tidiane Sy, étudiant à la faculté des Lettres.

Le poids de leurs parcours

Ainsi, les pensionnaires du temple du savoir regrettent déjà celui dont ils demandaient la tête en mai 2018, suite à la mort de Fallou Sène, tout simplement parce que son successeur ne serait pas à la hauteur du chantier qui l’attend et que, malgré tout, Niane lui dame le pion en termes de compétence.

Toutefois, des avis divergents, il y en a. Certains pensent que Macky Sall veut passer de la bureaucratie aux affaires techniques. C’est le cas de Jules Sabaly, entrepreneur, qui pense “qu’il faut un technicien pour régler le problème des étudiants. Ils ont besoin d’une bonne formation axée sur les besoins du marché et non de chapitres qui datent de l’Antiquité qu’ils récitent à longueur de journée. Que leur a apporté le système Lmd ? C’est toujours des diplômes classiques. Un ministre ne doit pas forcément être un académicien’’. Pour lui, chaque Sénégalais devrait d’abord observer la méthode de travail du nouveau venu, avant toute critique.

Si Mary Teuw Niane s’est fait connaitre du grand public par ses compétences intellectuelles, sa culture de l’excellence des années 1990 à nos jours, l’instigateur des grandes réformes de l’enseignement supérieur cède sa place à Cheikh Oumar Hann dont le nom est inéluctablement rattaché à un rapport de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). En mars 2017, il a largement été cité dans un rapport évaluant sa gestion entre 2014 et 2015. L’office a révélé de graves irrégularités : cumul de fonctions, octroi de subventions irrégulières, fractionnement dans les commandes de marché, pratiques de détournement de deniers publics.

En outre, les enquêteurs de l’Ofnac ont souligné avoir mis la main sur des “indices graves et concordantes de faux et usage de faux’’. La presse d’alors avait même prévu son emprisonnement, surtout que Nafi Ngom Keita, Chef de l’Ofnac, exigeait qu’il soit relevé de ses fonctions de directeur du Coud et que des décisions fermes soient prises pour qu’il n’ait plus à charge un organe public. Le dossier, bien que remis à l’autorité judiciaire, n’a fait l’objet d’aucune poursuite et l’intéressé n’a point cessé de clamer son innocence. Il sera une deuxième fois rattrapé, un mois plus tard, par de nouvelles accusations, cette fois-ci de l’Autorité de régulation des marchés publics qui a constaté une cession illégale de marché à des prestataires privés quant à la restauration sur le campus. Ce fait aurait privé les étudiants de repas, l’année suivante, n’eût été l’indulgence de l’Armp

“Comment peut-on gérer des étudiants avec de telles accusations sur le dos ?’’

Bref, ce cumul de malversations avérées fait tache sur son Cv qui, pour certains professeurs de l’Ucad, pose un problème d’éthique. “Comment peut-on gérer des étudiants avec de telles accusations sur le dos ?’’, s’étonne l’un d’eux qui a préféré garder l’anonymat. Pour ce dernier, Cheikh Oumar Hann est bien loin de la grandeur de Mamadou Seck, Président de l’Assemblée nationale de 2008 à 2012, qui a eu à démissionner en raison de ses démêlés avec la justice. Il reviendra plus tard à son poste, après avoir été blanchi par une enquête. Niane et son successeur sont de purs produits de l’université sénégalaise et sont tous deux scientifiques et docteurs dans leur domaine d’études.

Le premier est mathématicien, le second ingénieur en sciences physiques option génie des procédés. S’ils partagent aussi des années d’enseignement universitaire, leurs parcours cependant diffèrent. Le ministre sortant a consacré toute son énergie à l’enseignement supérieur et à la recherche. De plus, l’ancien recteur de l’université de Saint-Louis a profondément réformé le système universitaire, non sans se heurter à des représailles et à des bavures. Son successeur, lui, a plutôt occupé des postes techniques : directeur général de l’Agence sénégalaise pour l’innovation technologie, conseiller technique au ministère des Mines, de l’Industrie et de l’Artisanat, ministre conseiller du président Abdoulaye Wade. Pourtant, aujourd’hui, à l’heure du bilan, Niane tire son épingle du jeu, contrairement à Hann. Qui sait ? C’est sûrement ce profil technique que recherche le président Macky Sall. Sauf que, pour l’heure, les multiples affaires dans lesquelles il est impliqué lui ont fait perdre toute crédibilité.

Enquête

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

06 - Mars - 2024

PRÉSIDENTIELLE : LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL REJETTE LA DATE DU DIALOGUE ET MAINTIENT LES 19 CANDIDATS VALIDÉS

Ce serait finalement l’information du jour à la place du projet de loi d’amnistie. « Le Conseil déchire le consensus de Diamniadio », barre à sa Une...

06 - Mars - 2024

EXAMEN EN PROCÉDURE D’URGENCE DU PROJET DE LOI PORTANT AMNISTIE : LE «PARDON» DE MACKY AU DÉFI DE LA JUSTICE DES VICTIMES !

Le projet de loi n°05/2024 portant amnistie sera examiné aujourd’hui par l’Assemblée nationale. Proposée par le chef de l’Etat, pour « apaiser le...

06 - Mars - 2024

LA RÉPLIQUE SALÉE DES DÉPUTÉS DE L’EX-PASTEF AU PDS

Ce mardi, certaines ont rapporté que lors de l’examen du projet de loi sur l’amnistie en travaux de Commission, les députés membres de Pastef ont voté...

06 - Mars - 2024

Le FRAPP rejette fermement le projet de loi d’amnistie proposé par Macky Sall et appelle tous les députés à…

Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP) a lancé un message fort à l’endroit des députés, convoqués, ce...

06 - Mars - 2024

DE L’INAPPLICABILITE DE L’ARTICLE 36 ALINEA 2 DE LA CONSTITUTION DU SENEGAL AU CAS OU LE MANDAT DU PRESIDENT EN FONCTION PRENDRAIT FIN ALORS QUE SON SUCCESSEUR N’EST PAS ENCORE ELU (PAR KAAW SADIO CISSE)

Contrairement à sa tradition électorale, les élections présidentielles prévues le 25 février 2024 ont été reportées sine die par le...