A PROPOS DE L’AFFAIRE ALIOUNE SALL (PAR MOMAR SOKHNA DIOP)

07 - Juin - 2019

L’affaire Alioune SALL relance le débat sur la corruption et la gouvernance d’État qui est loin d’être sobre et vertueuse au Sénégal. Tous les jours, nos concitoyens s’indignent de découvrir des scandales souvent impunis. Mais de quoi s’agit-il ?
La BBC, société de production anglaise réalise un reportage et accuse ouvertement Alioune Sall de corruption. En effet, le maire de Guédiawaye, à la tête de la caisse de dépôt et consignation, frère du chef de l’Etat Macky Sall aurait touché des pots-de-vin à l’occasion de l’attribution de deux champs pétroliers en 2012. Les sommes sont estimées à environ 10 milliards de dollars, une affaire qui secoue tout le Sénégal.
Si les faits sont avérés, nous considérerons cette affaire comme un acte de corruption qui vient tout simplement compléter le millefeuille de scandales déjà enregistrés au Sénégal notamment depuis 2000, année à laquelle s’était réalisée la première alternance politique.
Concernant la gestion du pétrole et du gaz découverts aux larges des côtes sénégalaises des alertes ont été lancées notamment par Ousmane Sonko. En effet, dans son ouvrage « Pétrole et gaz au Sénégal, chronique d’une spoliation » l’Auteur dénonçait la corruption qui s’organisait mais mettait également en garde sur la nécessité de transparence dans la gestion des ressources minières du Sénégal. Il n’a pas été écouté pour des raisons de politique politicienne.
Dans mes ouvrages intitulés « Quelles alternatives pour l’Afrique ?, « Sénégal, diagnostic, d’un pays candidat à l’émergence » j’attire notre attention sur la gouvernance d’État devenue un des problèmes qui empêchent l’émergence des pays africains. En effet, je constate le fait qu’en Afrique s’instaurent davantage des régimes présidentiels et autoritaires qui organisent autour du chef de l’État, de sa famille et de ses amis en tant que prête-noms, un gaspillage pour ne pas dire un pillage des ressources des pays. L’exercice du pouvoir est devenu une source intarissable d’enrichissement illicite que les professionnels de la politique savent exploiter sans limite. Les postes politiques sont souvent attribués pour récompenser des amis mais aussi dans le but de favoriser la concussion et la corruption devenues endémiques. A titre de mémoire, nous nous contentons de rappeler les scandes cités par Abdou Latif Coulibaly et qui ont notamment affecté l’ensemble du régime de l’Alternance de 2000.
Au-delà de ces constatations, nous pensons qu’il est nécessaire voire urgent de trouver des solutions et préserver le Sénégal qui reste, pour l’instant, l’un des pays rescapés les plus stables en Afrique subsaharienne.
Nous recommandons d’instaurer un régime avec une véritable séparation des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. C’est le seul moyen d’empêcher le chef de l’État d’’être l’alpha et l’oméga de toutes les décisions qui engagent la nation.
Il faut également revoir l’implication des familles des responsables politiques dans la gestion des affaires et des deniers publics. Nous ne sommes pas opposés au fait qu’un membre de la famille d’un responsable politique occupe un poste stratégique de direction dans une entreprise publique. Ce sont les modalités de recrutement qui posent un problème. Ils sont souvent recommandés ou nommés sans respect des exigences de la gestion des ressources humaines à savoir une adéquation entre l’emploi et le profil de la personne amenée à l’occuper. Il s’agira de faire en sorte que tout poste de direction soit soumis à candidature et que ce soit une commission indépendante non rattachée à la présidence de la République qui tranche, c’est-à-dire qui choisit le meilleur profil et qui se chargera par la suite du suivi et de l’évaluation du recruté.
Si une telle démarche était engagée en amont je pense qu’on aurait évité de mettre à la tête de la Sonacos, du CESE, du HCCT, du COUD, du port de Dakar, des Impôts et domaines… des personnes dont la gestion semble douteuse et dont les compétences managériales semblent inadéquates avec les besoins en gestion de telles institutions.
L’exploitation des ressources pétrolières et gazières est une affaire sérieuse qui nécessite des compétences et une gestion rigoureuse. Elle doit être rationnelle et transparente. Elle ne doit pas continuer à être souillée par des positions partisanes ou par des règlements de comptes. Le gouvernement a opté pour des contrats de recherche et de partage de la production (CRPP). C’est un choix dont nous prenons acte. Pour nous l’urgence c’est, d’une part que la justice fasse la lumière sur l’affaire Alioune Sall. La transparence est plus que jamais nécessaire.

D’autre part il s’avère urgent de mettre en place un organe de contrôle des quantités qui vont être extraites des sous-sols sénégalais. Très souvent, des pays pétroliers africains négligent cette étape qui leur prive d’importantes recettes. Enfin, il s’agit de préserver le Sénégal de la malédiction des ressources naturelles et des conflits qu’elles peuvent provoquer.

Malgré la situation difficile dans laquelle il se trouve, le Sénégal, pourra s’en sortir. Il s’agit d’un pays qui possède d’importantes ressources humaines, minières et naturelles. Le Sénégal n’est pas un pays pauvre. Il est au contraire un pays d’avenir. Il est stable et dispose de ressources sur lesquelles ses dirigeants pourraient s’appuyer pour construire un projet de société viable.

Afin d’inscrire le Sénégal sur la voie de l’émergence, il faut donc une nouvelle manière de gouverner. Il s’agit de bien gérer les ressources du pays en respectant les règles de l’efficacité et de l’efficience. Le Sénégal doit mobiliser les meilleurs pour piloter la nation. Cheikh Anta Diop nous rappelle que « notre rôle ne consiste nullement à fuir les problèmes, à les ignorer ou à occuper le devant de la scène, notamment médiatique, mais plutôt à poser correctement les questions de fond dont dépend notre survie ».

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