AFFAIRE DES 90 HA NOVATECH : QUAND MEÏSSA NGOM SE VICTIMISE

03 - Juillet - 2020


J’ai lu avec intérêt hier, M. Damel Meïssa Ngom, patron de Novatech, donner sa version, sur Dakaractu, par rapport aux 90ha qui lui sont attribués à Sindia. Malheureusement et c’est de bonne guerre, Monsieur Ngom a plus fait dans la victimisation que dans l’explication convaincante, alors que d’énormes zones d’ombre sont à éclaircir sur ce dossier. Dans la délibération, il est clairement indiqué que les terres attribuées se trouvent à Sindia, le village chef-lieu de la commune éponyme. Mieux les coordonnées du site sur le plan les situent après la sortie du village de Sindia, vers le village voisin de Bandia.
Ce qui est encore corroboré par les termes du rapport de présentation du décret (2016-997) ; il est clairement indiqué : «son aménagement nécessite une prise en compte des servitudes prévues dans le cadre du schéma directeur de l’urbanisation de la zone, notamment les voies de 60 mètres d’emprise par la desserte vers Thiès…».
Ces voies partent de Sindia à Thiès, en passant par Bandia, à des kilomètres et totalement à l’opposé des terres qu’il occupe. Donc dans tous les documents, on ne parle que de Sindia. Alors, que Meissa Deguène Ngom nous explique comment il s’est retrouvé à kiniabour, un autre village distant de Sindia de près de 5 km. Comment des terres attribuées à Sindia sont occupées à Kiniabour?
Depuis quand des terres se déplacent d’un village à un autre ? Chaque village a son registre. Si dans l’acte de délibération et tous les autres documents on a mis Sindia, c’est parce que les terres qui lui sont attribuées se situent dans le périmètre villageois de Sindia. Si elles se trouvaient à l’origine dans le périmètre du village de Kiniabour, c’est le nom du village de Kiniabour, qui a son propre registre, qui allait figurer dans tous les documents. La preuve, pour l’attribution de 300 ha à la Sedima qui font l’actualité ces derniers jours, il y a dans les documents, le nom du village de Djilakh où se trouvent les terres.
Quid de la validité des documents ?
Il est vrai que M. Ngom dit avoir une délibération du Conseils rural. Mais comment celle-ci a été faite ? D’après plusieurs conseillers de l’époque, dont même un membre du cabinet de l’ancien Pcr, le Conseil rural de Sindia ne s’est jamais réuni pour délibérer sur ces 90h. Et ils n’ont jamais pris part à une telle délibération.
C’est l’ancien Pcr qui a lui-même pris un acte administratif à la place de la réunion du conseil municipal. Selon ce membre du cabinet de l’ancien Pcr, s’il n’y a pas eu de réunion du Conseil rural, c’est parce que dans ce dossier comme dans plusieurs autres, l’Etat ne leur a pas laissé le choix. Comment et pourquoi ? Même s’il existerait un Pv et une liste de présence d’une prétendue délibération, les conseillers à qui nous avons parlé sont formels : Une telle réunion de délibération n’a jamais eu lieu.
Mieux, nous doutons fortement de la validité du décret d’attribution. A moins que les services gouvernementaux et de la présidence ne soient plus un exemple de rigueur. En effet, comment un décret peut faire tout le circuit nécessaire, avec toutes les vérifications, lectures et relectures requises, et garder toujours une erreur aussi grossière de date. «Délibération n°03/CRS du 13 juin 2013, approuvée par le sous-préfet le 12 juillet 2012». Comment la validation du sous-préfet peut précéder la délibération qu’il doit approuver?
Curieusement, quand Mr Ngom est venu prendre possession du site, les villageois lui ont exigé le décret d’attribution qu’il n’a pas pu présenter sur le moment. Alors que la logique voudrait qu’il se présente avec toutes les pièces justificatives, notamment le décret d’attribution. Il a fallu un bon moment, pour qu’un conseiller connu pour ses agissements sur le foncier, se mettent à distribuer des copies du document dans le village, comme quelqu’un en campagne électoral.
Non, vous n’avez pas mis en valeur une forêt, vous avez détruit une forêt qui avait déjà une valeur inestimable
Vous réfutez toute idée de spoliation, parce que vous avez reçu des terres non cultivées ou non cultivables. «Moi là où je suis à Sindia, c’était une forêt de ronces, il a fallu que j’aille aux eaux et forêts pour acheter le droit de coupe. On m’avait facturé 100 millions de francs CFA que j’ai négocié pour obtenir une réduction. La première fois que j’ai pénétré dans ces terres c’était sur un tracteur parce que le périmètre était impraticable. J’ai mis en valeur une forêt».
Ces propos à eux seuls montrent combien Monsieur est ignorant des réalités de la vie rurale, et de l’économie rurale en particulier. Cette forêt dont vous parlez comme d’un néant était un véritable poumon économique. Vous ne l’avez pas mise en valeur. Elle avait déjà une valeur inestimable pour la population.
Cette forêt donnait aux villageois des ressources alimentaires et commercialisables (gibiers, kinkéliba, fruits de baobab, plante médicinales, jujubes, kèl, bois mort et beaucoup d’autres produits) que les villageois utilisaient pour leur consommation propre et pour la commercialisation. Cette forêt contribuait grandement à l’autosuffisance alimentaire et à faire gagner de l’argent, par la vente de certains produits. Cette forêt était une réserve fourragère importante, pour les troupeaux et autres animaux domestiques, notamment pendant la saison sèche. Aujourd’hui, les troupeaux n’ayant plus accès à cet espace, éleveurs et agriculteurs se disputent le peu d’espace restant, avec des conflits de plus en plus fréquents. Et que dire du rôle écologique de cette forêt ? Alors, si vous enlevez aux populations toutes ces ressources forestières, sans même discuter auparavant avec elles, et voir ensemble comment il serait possible de faire une exploitation profitable à tous, même si ce n’est pas une spoliation, comme vous le dites, le résultat reste le même.
M. Ngom se plaint d’avoir «assez souffert de cette affaire-là». Et vous pensez que les populations qui avaient développé une véritable économie autour de cette forêt ne souffrent pas de sa disparition?
Et si vous n’y gagnez «pas un radis» pour le moment, alors que vous avez «dépensé beaucoup d’argent», c’est la faute aux villageois ? En bon homme d’affaires, vous devriez être le premier à savoir qu’il y a une bonne part de risque dans tout investissement. Surtout s’il y a un contentieux ou des malentendus entre les parties prenantes.

Les villageois ont été mis devant le fait accompli

Vous précisez également que «c’est un projet qui a été expliqué aux autorités qui ont dit que cela pouvait être intéressant pour l’emploi des villages alentours». Ces autorités vous ont-elles dit si elles en avaient parlé ou non auparavant auxdits villageois ? Les villageois ont été mis devant le fait accompli. Comment peut-on leur faire adhérer à un projet, qui va sonner la fin de leur forêt qui leur donnait de multiples ressources, sans leur demander leur avis ? Même si vous avez essayé de faire du rattrapage après coup, et non sans jouer sur les divisions internes.
Vous évoquez le cas de votre voisin «un Espagnol qui lui a 110 ha et qui n’a aucun papier». Vous dites qu’il «n’a jamais été embêté» puisque vous supposez qu’il a «donné à gauche à droite des sous». Vous devriez allez au bout de votre logique, en citant ceux à qui il aurait donné de l’argent. Vous devriez expliquer aussi comment savez-vous qu’on donne de l’argent à gauche à droite. Et je suppose que vous, vous n’en avez pas donné !
Pour terminer, je précise juste que je ne vous dénie nullement votre droit, comme tous Sénégalais, de chercher à disposer de terres pour un usage ou un autre, mais si la démarche requise et les exigences ne sont pas respectées, à votre insu ou à votre connaissance, alors ne déniez pas aux villageois leur droit de contester, de protester et de réclamer leur droit.
Mbaye Thiandoum
Journaliste, fils de Kiniabour

 

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