Affaire diffamation sur la gestion du Prodac opposant Ousmane Sonko à Mame Mbaye Niang : la Cour des comptes a-t-elle posé l’acte 1 vers la réouverture ?
Dans son rapport définitif du contrôle de la gestion 2018-2021 du Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac), la Cour des comptes a fait état d’une mission de vérification du contrat liant l’Etat du Sénégal à l’entreprise israélienne Green 2000, réalisatrice des Domaines agricoles communautaires (Dac) de la première phase, une mission conduite en 2017 par l’Inspection générale des Finances (IGF). Cette révélation remet en question la thèse de l’absence du rapport de l’Inspection générale des finances sur le Prodac à l’origine de la condamnation de Ousmane Sonko.
Va-t-on tout droit vers une réouverture ou révision du procès en diffamation opposant l’ancien ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, à l’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko et dont la condamnation à six mois avec sursis et 200 millions de dommages et intérêts est à l’origine de l’invalidation de la candidature de ce dernier à la dernière élection présidentielle du 24 mars dernier ? En effet, l’article 251 (Loi n° 2014-28 du 03/11/14) du Code de procédure pénale dispose au sujet de cette éventualité que « Le président, si l’instruction lui semble incomplète ou si des éléments nouveaux ont été révélés depuis sa clôture, peut ordonner tous actes d’information qu’il estime utiles ». Or, dans son rapport définitif du contrôle de la gestion du Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac) 2018-2021, la Cour des comptes semble soulever des éléments nouveaux concernant cette affaire qui, à son temps, avait provoqué de graves tensions politiques et occasionner de pertes en vies humaines et d’importants dégâts matériaux.
Dans ce document réalisé en octobre 2023 et publié le 30 avril dernier, la Chambre des Affaires administratives de la Cour des comptes a fait état d’une mission de vérification du contrat liant l’Etat du Sénégal à l’entreprise israélienne Green 2000, réalisatrice des Domaines agricoles communautaires (Dac) de la première phase, une mission conduite en 2017 par l’Inspection générale des Finances (IGF). « Le PRODAC n’a pas fait l’objet de contrôle de la Cour depuis sa création. Cependant, en 2017, l’Inspection générale des Finances (IGF) a procédé à la vérification du contrat liant l’Etat du Sénégal à l’entreprise israélienne Green 2000, réalisatrice des DAC de la première phase », a notamment fait remarquer Mme Takia Nafissatou Fall CARVALHO, conseiller référendaire, désignée rapporteur aux fins d’instruire la mission d’audit de la gestion 2018 à 2021 du Prodac et ses collègues au point 06 de la page 12 dudit rapport dont l’intitulé est : Contrôles antérieurs.
Loin de s’en tenir-là, les rédacteurs de ce rapport de la Cour des comptes déplorent également le non-respect de la procédure d’appel d’offre dans le cadre de l’exécution de cette première phase du Prodac confiée à l’entreprise israélienne Green 2000, à travers un marché clé en main, par entente directe et souscrit le 28 août 2015 entre Monsieur Daniel Pinhassi, agissant pour le compte de Monsieur Rafael Dayan, Directeur général, et Monsieur Mame Mbaye Niang, Ministre de la Jeunesse, de l’Emploi et de la Construction citoyenne.
Il faut dire que cette précision apportée par la Cour des comptes concernant cette mission de « vérification du contrat liant l’Etat du Sénégal à l’entreprise israélienne Green 2000, réalisatrice des DAC de la première phase » effectuée en 2017 par l’Inspection générale des Finances (IGF) remet en question tout ce qui a été dit à l’époque sur cette affaire. L’ancien ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, a toujours réfuté l’existence d’un quelconque rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) ou de l’Inspection générale des finances (Igf) qui aurait épinglé sa gestion dans le cadre du Programme des domaines agricoles communautaire (Prodac).
Quand l’ancien ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, Amadou Ba, confirmait l’existence d’un rapport de l’Igf !
Pourtant, cette position du ministre Mame Mbaye Niang est très vite remise en question par l’ancien Premier ministre alors ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, Amadou Ba. En effet, répondant aux interpellations de certains députés sur cette question, le 30 juin 2018, lors du débat d’orientation budgétaire, Amadou Ba avait confirmé l’existence d’un rapport provisoire de l’Igf sur l’affaire Prodac. Mieux, il a précisé que le rapport définitif a été bouclé, mais, qu’il n’avait pas encore fait l’objet d’une exploitation. « Il y a eu une fuite sur le rapport provisoire, ça existe dans tous les États. C’est aussi vieux que le monde. Il est possible qu’il y ait des manquements au ministère des Finances, mais à la date d’aujourd’hui, les informations laissent penser que ce n’est pas au ministère des Finances», avait précisé Amadou Ba. Cette sortie du ministre, Amadou Ba, intervenait quelques jours après la démission du gouvernement de Mame Mbaye Niang suite à la fuite dans la presse du pré- rapport de l’Igf.
Dans un ouvrage intitulé «Lettre au peuple : Prodac, un festin de 36 milliards de francs CFA», le coordonnateur du Forum civil, la section sénégalaise de « Transparency international », Birahime Seck, avait révélé que l’Etat du Sénégal ne s’est pas engagé que sur 29 milliards, mais plutôt sur 36 milliards de francs Cfa, suivant une programmation de remboursement. La gestion du contrat liant le Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac) à l’entreprise Green 2000, signé par le ministre de la Jeunesse d’alors, Mame Mbaye Niang, ainsi que ceux liant les entreprises TIDA et 3M Universal au Prodac, est jugée «calamiteuse».
La direction de l’Igf désavoue son ancien patron Amadou Ba et Sonko en niant l’inexistence du rapport sur le Prodac
Cependant, malgré cette précision du ministre Amadou Ba qui était par ailleurs patron et premier destinataire des rapports de l’Inspection générale d’Etat, ce document sur le Prodac restera par la suite introuvable dans les carcans du ministère de l’Économie, des Finances et du Plan après l’éclatement de la procédure judiciaire opposant Mame Mbaye Niang à Ousmane Sonko peu après son départ à la tête de ce département ministériel. Saisie d’une plainte contre Ousmane Sonko, leader de Pastef pour « diffamation » déposée par Mame Mbaye Niang, l’ancien Procureur de la République, Amady Diouf, qui occupe aujourd’hui le poste de président de la Cour d’appel de Dakar, avait pris le soin de corser le dossier en y ajoutant des infractions « d’injures » et de « faux et usage de faux dans un document administratif » avant de le transmettre à la Brigade des affaires générales (Bag) pour enquête.
Dans leur livraison du 17 février 2023 dernier, nos confrères du journal du groupe Futurs médias « L’Observateur », faisant écho de l’état d’avancement des investigations de la Brigade des affaires générales dans cette affaire, a révélé que le coordonnateur de l’Igf a fait savoir dans une note envoyée le 22 décembre 2022 aux enquêteurs de la Bag « qu’il n’existe pas de rapport Prodac ». «Il n’existe pas de rapport Prodac. Il s’est agi d’une enquête portant sur le contrat clé en main relatif aux études et aménagement hydro-agricole des Dac de Sefa, Itato, Keur Samba Kane et Keur Momar Sarr, conclu entre le Prodac et Green 2000, dont le rapport n’a pas été approuvé », avaient renseigné nos confrères concernant la réquisition adressée par les enquêteurs de la Bag au coordonnateur pour solliciter le rapport du Prodac 2014-2019.
Jugé après plusieurs reports sur fond de tensions au niveau du Palais de justice à Dakar et des manifestations de la rue qui ont occasionné d’imposants dégâts matériels mais aussi de pertes en vies humaines, Ousmane Sonko qui n’avait pas fait le déplacement au tribunal a été condamné le jeudi 30 mars 2023 à une peine de deux (2) mois de prison avec sursis assortie de 200 millions de FCFA de dommages et intérêts. En appel où son jugement s’est fait en mode fast rack (moins d’un mois après le premier verdict), sa peine a été corsée en passant de 2 à 6 mois avec sursis le rendant ainsi inéligible à la dernière présidentielle assortie de 200 millions de FCFA de dommages et intérêts.