Affaire Lamine Diack : Les incroyables découvertes des juges

05 - Octobre - 2019

Le 13 janvier 2020, Lamine Diack sera jugé à Paris pour corruption passive et blanchiment de capitaux. Pourtant, l’ancien patron de l’Iaaf aura bataillé ferme pour éviter ce procès. Sa demande en annulation de la procédure rejetée par la Chambre d’instruction de Paris (l’équivalent de la Cour d’appel), Lamine Diack avait introduit un recours devant la Cour de cassation qui l’a débouté. L’arrêt rendu dans ce sens et que Libération a obtenu, en même temps que l’ordonnance de renvoi des magistrats en charge de l’instruction, met la lumière sur les découvertes des juges ayant renvoyé Lamine Diack et Cie en correctionnelle. De même que le rôle central dans cette affaire de Tracfin, le service anti-blanchiment de Bercy.

Le 13 janvier 2020, Lamine Diack, Habib Cissé (ancien conseiller juridique de l’Iaaf suspendu à vie) et Gabriel Dolé, ancien médecin- qui a opté pour le plaider-coupable d’après nos informations- , seront jugés à Paris pour corruption passive, complicité du même délit et blanchiment de capitaux. L’ancien patron de l’Iaaf, retenu en France depuis sa mise en examen ayant suivi son interpellation à l’hôtel Sheraton de Roissy, le 3 novembre 2016, aura tout fait pour éviter cette issue.

Selon les documents obtenus par nos soins, Lamine Diack avait demandé l’annulation de la procédure devant la Chambre d’instruction (équivalent de la Cour d’appel) de Paris. Mais l’instance d’appel avait opposé un niet catégorique à l’ancien président de l’Iaaf qui s’était alors retourné vers la Cour de cassation.

Révélations sur le bras de fer devant la Cour de cassation.

Face aux juges, les avocats de Lamine Diack ont dénoncé ce qu’ils appellent une «violation ». Selon eux, Lamine Diack était détenteur, lors de son interpellation, d’un passeport diplomatique de la République du Sénégal : «Alors que l'immunité diplomatique, relevant de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, confiée par un État à l'un de ses ressortissants auquel il a délivré un passeport diplomatique opposable ne peut faire l'objet d'une contestation par les autorités d'un État étranger sans interrogation préalable de l'État de délivrance ; qu'en se reconnaissant néanmoins un pouvoir direct d'appréciation sans égard pour la position des autorités sénégalaises qui n'ont pas été préalablement interrogées à cette fin, la chambre de l'instruction a derechef excédé ses pouvoirs en violation de l'ordre public international ; alors que les faits pour lesquels le requérant a été mis en examen étant situés durant sa période officielle d'activité qu'il venait seulement de quitter quelques mois plus tôt, tandis qu'il s'était rendu en France ès qualités d'ancien président de l'Iaaf pour y faire une conférence à l'invitation du Comité national olympique et sportif, le passeport diplomatique de Lamine Diack, lors des actes coercitifs réalisés en France sur sa personne, n'encourait manifestement aucune caducité au regard des dispositions de l'article 39 al. 2 de la Convention de Vienne ; que sur ce point également, l'Etat de délivrance n'a pas été consulté par les autorités françaises ; qu'ainsi, l'excès de pouvoir reproché à la chambre de l'instruction s'est encore doublé d'une violation de la Convention susvisée et des règles et principes gouvernant l'ordre public international », assènent les avocats.

Pour le Quai d’Orsay, Lamine Diack n’est pas un diplomate.

Un argument que ne partage pas la Cour de cassation qui estime que la Chambre d’instruction a dit le droit: «Attendu que pour écarter l'exception tirée de l'immunité qui résulterait de la détention par Lamine Diack d'un passeport diplomatique à lui délivré par la République du Sénégal en sa qualité de président de l'Iaaf, l'arrêt relève notamment que si, au moment de son interpellation le 1er novembre 2015, Lamine Diack était détenteur d'un passeport diplomatique délivré par la République sénégalaise en sa qualité de président de la Fédération internationale d'athlétisme (Iaaf), il n'exerce plus cette fonction depuis le mois d'août 2015 et ne fait état d'aucune fonction qu'il occuperait ou mission qu'il remplirait au service de l'Etat sénégalais depuis au moins l'année 1999, ce dont il résulte que l'intéressé ne saurait bénéficier de l'immunité conférée par la coutume internationale aux organes et entités qui constituent l'émanation d'un Etat ainsi qu'à leurs agents en raison d'actes qui relèvent de la souveraineté de l'Etat concerné ; que les juges ajoutent que, pour sa part, le ministère des Affaires étrangères (françaises) a fait savoir que Lamine Diack ne faisait l'objet en France d'aucune protection diplomatique particulière ; qu'ils énoncent enfin que la détention d'un passeport diplomatique ne suffit pas, en soi, à entraîner une immunité absolue de juridiction, ni à conférer le statut d'agent diplomatique au sens de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, et que, si la validité du passeport n'est pas remise en cause, ses effets relèvent de l'appréciation souveraine de l'autorité judiciaire à laquelle il est opposé dans le respect de la coutume internationale ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction, qui n'était pas tenue d'interroger les autorités sénégalaises, qui n'ont de plus pas fait valoir que le demandeur aurait bénéficié d'un statut diplomatique, après que l'ambassadeur du Sénégal en France eut été informé du placement en garde à vue de l'intéressé, a justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ».

Les révélations explosives de Tracfin, la Fédération marocaine éclaboussée…

Mais, dans le fond, que révèle l’ordonnance des juges qui ont renvoyé Lamine Diack, Me Habib Cissé et Gabriel Dolé devant le tribunal après quatre ans d’instruction ?
C’est le 3 novembre 2015 que Lamine Diack a été mis en examen des chefs de corruption passive et blanchiment de crime ou délit de corruption en bande organisée. À cette date, l'accusation ne se basait que sur le rapport de l’Agence mondiale antidopage (Ama). Mais le 7 novembre, Tracfin, le service anti-blanchiment de Bercy, transmet une note explosive aux magistrats. Dans le signalement, Tracfin indique que Habib Cissé a encaissé, sur ses comptes bancaires, des sommes perçues en espèces provenant de la Fédération russe d'athlétisme ainsi d'ailleurs que de la Fédération marocaine.

Les juges apprendront plus tard que Cissé a été imposé en novembre 2011 pour assurer la gestion et le suivi des affaires de passeports biologiques des athlètes (Pba) alors même que l'Iaaf disposait d'un service juridique. Pire, il s'est procuré auprès du service médical de l'Iaaf les listes des athlètes russes suspectés de dopage et s'est rendu à Moscou juste après que l'athlète russe Lilya Shobukhova a fait allusion à l'entremise d'un avocat dans les négociations tendant à régler une somme d'argent pour retarder les sanctions qui la visaient.

Le «protocole de Moscou » a été établi le 8 janvier 2013

D’après toujours les magistrats, c’est le 8 janvier 2013 qu'un accord avait été pris avec les autorités russes afin de ne pas poursuivre les six cas avérés de dopage. Ils pensent d’ailleurs que Khalil, fils de Lamine Diack, est susceptible d'être impliqué dans les faits comme ayant indiqué à la Fédération turque d'athlétisme qu'il pouvait faire en sorte, si de l'argent était versé de manière à atteindre les plus hauts responsables, que l'Iaaf ne fasse pas appel d'une décision ayant refusé de sanctionner une athlète turque dont le Pba était anormal.

Khalil Diack dans le volet turc du scandale présumé ?

L’autre fils, Papa Massata Diack, en charge à titre exclusif du marketing au sein de l'Iaaf, a été mis en cause, selon les magistrats, par un entraîneur russe comme ayant remporté le contrat sur les droits télévisuels du championnat d'athlétisme de Moscou de 2013 en échange de la «mise en sourdine » des cas de dopage russes. Ce témoignage a été étayé par les constatations de Tracfin selon lesquelles il a bénéficié de sommes payées pour son compte par une société, Black Tidings, qui est elle-même intervenue dans le remboursement de sommes à l'athlète russe Lilya Shobukhova. En effet, après avoir versé 569000 dollars, en plusieurs tranches via Alexey Melnikov, cette dernière a exigé d’être remboursé après avoir constaté que son «cas » n’avait pas été géré.

Selon Tracfin, le 5 août 2013, cinq jours avant le début des Mondiaux d’athlétisme à Moscou, Black Tidings a effectué trois transferts pour un montant total de 750 000 dollars, dont un virement de 100 000 dollars vers un compte de Ian Tan Tong Han- «ami » de Massata-, et un autre de 350 000 dollars vers Sporting Age Suarl, à Dakar. Pour les seules journées des 6 et 12 novembre 2013, 197 000 dollars ont été virés de Black Tidings vers Pamodzi Consulting, et 20 000 dollars de la société singapourienne vers un compte personnel de Papa Massata Diack. D’après toujours les renseignements financiers, Matlock Capital group, visé dans le cadre du volet brésilien du scandale de l’Iaaf, a viré 1,5 million de dollars à Massata Diack en plus d’une autre opération qui a atterri dans le compte du fils de l’ancien président de l’Iaaf logé à la Société générale de banque du Sénégal (Sgbs). Pour se couvrir d’ailleurs, la Sgbs, qui n’avait pas jugé utile de s’interroger sur l’origine de ces fonds, a fait tardivement un signalement à la Centif.

Un mail compromettant découvert dans l’ordinateur de Lamine Diack.

Par ailleurs, les juges révèlent qu'un courriel en date du 29 juillet 2013 de Papa Massata Diack à son père a été découvert dans l'ordinateur de ce dernier lors d’une perquisition au siège de l’Iaaf, à Monaco. Le mail évoque directement des négociations avec Valentin Balakhnichev pour la gestion des cas russes de dopage.

Pour les juges, les faits de corruption ont été commis à Paris, en Russie, en Turquie et au Sénégal

Déjà, lors de ses auditions en garde à vue, Lamine Diack avait admis que de concert avec Valentin Balakhnichev, ex-président de la Fédération russe d'athlétisme mais également trésorier de l'Iaaf, il avait accepté de retarder le processus de sanction des athlètes russes convaincus de dopage moyennant la participation financière de la Russie à ses actions en faveur de l'élection Présidentielle sénégalaise. L’ensemble de ces éléments, qui comprennent des preuves matérielles comme le courriel de son fils du 29 juillet 2013 ainsi que les constations de Tracfin, constituent de multiples indices graves et concordants en faveur de la possible commission par Lamine Diack des infractions de corruption passive et de blanchiment à « Paris, sur le territoire national et sur les territoires de la Fédération de Russie, de la Turquie, de Monaco et du Sénégal au préjudice de personnes morales de droit étranger » d'après les magistrats.

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