Affaire Sonko : mille et une questions autour de l’identité des «nervis»

04 - Mars - 2021

Dans la définition, un nervi s’apparente à homme de main, un tueur. Dans l’histoire politique sénégalaise, ceux qui se cachent derrière ce mot, ont fini par s’arroger le droit de violenter la population en toute illégalité. Souvent cachés derrière des masques, casquettes, lunettes ou capuches et armés de bâtons, gourdins ou même machettes, ils circulent de préférence en véhicules pick-up et sortent à chaque événement politique.

La longue marche de Ousmane Sonko hier, vers le tribunal, a encore été un prétexte pour eux de terroriser, pêle-mêle, militants, habitants, élèves, frondeurs au nez et à la barbe des forces assermentées. De nombreuses photos et vidéos rapportées par les journalistes ont exposé leur violence dans diverses artères de la capitale, de préférence dans les zones où les manifestants étaient agglutinés. Le temps d’un frémissement démocratique, une trentaine de «nervis» embarqués dans au moins trois véhicules, gourdins à la main, se sont octroyé le droit de «casser du manifestant», quitte à s’en prendre à des personnes qui semblent n’avoir rien demandé.

Sur l’une des vidéos mise en ligne sur le site de Senego, un homme en civil, casquette noire, tient au collet deux garçons en sac-à-dos, et finit par balancer une gifle à l’un. Autour de lui, une voiture pick-up blanche transporte d’autres hommes armés de bâtons. Dans le film, aucun élément distinctif ne permet de savoir si ces hommes qui s’adonnent impunément à ces violences, sont des forces de sécurité et de défense. Sur les autres images, c’est le même flou autour de l’identité de ces nervis. Il faut consulter une autre vidéo, mise en ligne sur la plateforme Facebook Senegal 90, pour entendre une voix féminine demander leur identité. «Nous sommes Fox Rivers et nous sommes du côté de Macky Sall, on n’acceptera pas que le pays soit saccagé», entend-on l’un répondre.

Difficile d’authentifier ces dires comme il sera difficile de certifier cette liste des «engagés». Une feuille de recrutement où 30 noms écrits à l’encre et répartis en dizaine pour 3 pick-up, reçoivent 15 000 FCFA la journée. Cette liste, attribuée au directeur du Coud, a alimenté toute la journée d’hier la théorie des nervis recrutés par le pouvoir. Poussant Maguette Sène à publier un démenti sur Facebook. «Je suis sidéré et choqué d’apprendre que mon nom a été cité dans une opération de recrutement de nervis (…) Je tiens à informer l’opinion que ni mon éducation, ni mon parcours ne me permettent aucunement d’être l’auteur d’actes aussi graves pour la stabilité de notre cher pays», a déclaré le directeur du Coud qui a aussi annoncé une plainte.

De la même manière, le ministère de l’Education nationale a dû aussi sur sa page Facebook, apporter des précisions sur l’une des voitures qui transportent ces «nervis» et qui porte le logo de l’institution. «Le ministère précise que ce véhicule sur cette photo a été réquisitionné et mobilisé dans le cadre de la lutte contre les inondations et transporte des agents du service d’hygiène», a signé Mohamed Moustapha Diagne, porte-parole du ministère de l’Education nationale.

Seulement, cette version peut être mise à mal par quelques éléments d’analyse. D’abord en recherche inversée, il n’existe aucune occurrence de cette image sur Internet. Ensuite, les personnes à l’arrière du pick-up blanc, qui ne sont pas habillées de la tenue reconnaissable des services d’hygiène, portent des masques. «Ce qui prouve que ce n’est pas une image très ancienne et qu’elle date au moins de la période Covid-19», analyse Cheikh Fall, coordinateur du réseau des Africtivistes. Enfin, en croisant les photos et vidéos de l’évènement, on peut facilement établir une correspondance d’identité à partir des bonnets, casquettes et masques que portent les mêmes hommes sur le pick-up et sur le terrain en train de s’en prendre aux citoyens.

Avec L’Observateur

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