Arachide: des producteurs contestent les 1.800.000 tonnes du ministre de l’Agriculture, Dr Moussa Baldé
Le gouvernement, particulièrement le ministre de l’agriculture et de l’équipement rural, fanfaronne à propos d’une production record — du moins exceptionnelle — de 1.800.000 tonnes d’arachide cette saison. Une production qui sauverait d’ailleurs notre pays de la récession puisqu’elle permettrait au Sénégal de réaliser une légère croissance. Hélas, ce chiffre dont se gargarisent les autorités ne reflèterait pas la réalité selon des acteurs de la filière arachidière qui parlent d’ « intox ». a preuve, disent-ils, si tel était le cas la Sonacos n’éprouverait pas autant de difficultés à atteindre ses prévisions de collecte de graines. Ce quelle que soit la quantité achetée par les Chinois. il s’y ajoute, selon nos interlocuteurs, que les récoltes de l’année précédente ont été très faibles en quantité et n’étaient pas de très bonne qualité du fait de la longue pause pluviométrique qui était survenue. a preuve, disent-ils, l’Etat, faute de semences, avait remis de l’argent liquide aux paysans pour se procurer des semences. C’est en particulier ce manque de semences, ajouté à la longue pause pluviométrique, qui explique la faible production de 2019. et en 2020, même si le chef de l’Etat, pour booster la filière, a porté le financement des intrants de 40 à 60 milliards de francs, la récolte a été abondante, certes, mais sans atteindre les 1.800.000 tonnes dont se vante le Gouvernement !
Ils sont nombreux, parmi les acteurs de la filière arachidière, à balayer d’un revers de main les estimations des autorités faisant état d’un million huit cent mille tonnes d’arachide produites cette saison. Seulement voilà, il se trouve que l’arbre des spéculations sur le prix au producteur a caché la forêt des doutes qui planent sur les chiffres avancés par les autorités et relatifs à la production de cette saison. En effet, selon des paysans du Bassin arachidier, la production de cette saison se situerait bien en-deçà de ce qu’avance fièrement le gouvernement.
Les organisations paysannes contactées ont toutes expliqué que les autorités ont cherché à endormir les acteurs de la filière arachidière mais, en réalité, « elles savent que la production de cette année n’a pas été à la hauteur des attentes ». Pour en avoir le cœur net, nous avons interrogé certains responsables d’organisations paysannes. Ainsi, d’après le président de « Aar Souniou Momél », c’est l’évidence est que « le régime en place a commencé, 10 jours après le lancement officiel de la campagne de commercialisation, à créer les conditions de permettre à la Sonacos de se rattraper dans la collecte ».
Selon Bassirou Ba, c’est cela qui expliquerait le blocus dans l’expédition des chinoises vers la Chine. Un blocus — favorisé par la réactivation d’une taxe sur l’exportation de l’arachide — qui a pour effet de contraindre certains producteurs à céder leurs graines au prix fixé par la Sonacos. Ce en l’absence des négociants chinois qui n’ont plus de magasin de stockage du fait de la fermeture des frontières pour cause de pandémie. Bref, selon nos interlocuteurs, « les autorités, conscientes de l’insuffisance de la production arachidière, cherchent des astuces pour permettre à l’huilier national d’avoir des graines puisque ce dernier n’est pas le plus offrant ».
Comme l’Association des agriculteurs du Bassin arachidier, Bassirou Ba estime que le chiffre de 1.800.000 tonnes d’arachide, c’est de l’intox. Pour le secrétaire général de l’Association des agriculteurs du bassin arachidier, Cheikh Tidiane Cissé, « la preuve évidente de la falsification des chiffres est que, lors de la campagne de distribution de semences de la saison précédente, les autorités, faute de semences, ont préféré donner de l’argent liquide aux paysans pour qu’ils s’en procurent ». Très sur de ce qu’il avance, le Sg de cette organisation paysanne indique que, par ce procédé, la présente saison (celle en cours) est ratée car, selon lui, beaucoup de paysans n’ont pas eu accès aux semences devenues une denrée rare.
Surtout que, selon lui, l’argent remis aux agriculteurs n’a pas été utilisé à bon escient du fait du manque de graines. Toutes ces considérations font dire à Cheikh Tidiane Cissé que la production de cette année est faible contrairement à ce que nos autorités plastronnent. Le président de l’Association des agriculteurs du Bassin arachidier insiste sur la faible qualité des graines causée par la mauvaise qualité des semences de l’année dernière. Des semences qui ne peuvent donc pas permettre d’atteindre une production record, à l’en croire.
Dans le même registre, Abdoulaye Thiam du Syndicat national des cultivateurs et maraichers du Sénégal met l’accent sur la faiblesse des superficies de terres exploitées par les paysans qui s’étaient pourtant préparés à une bonne récolte annoncée par une bonne pluviométrie mais hélas, regrette-il, « non seulement les semences étaient insuffisantes mais encore le peu qui était disponible était distribué tardivement ». Sa conclusion coule de source, dès lors : « dire que le Sénégal a obtenu un million 800 mille tonnes d’arachide cette saison est une hérésie ».
Vers un déficit de semences pour la prochaine saison.
Au regard de cette situation, les acteurs de la filière arachidière, notamment les paysans, parlent d’un échec programmé de la prochaine campagne arachidière du fait d’un déficit de semences qui risquerait, si les autorités ne trouvent pas de solution entretemps, de se traduire par une baisse des récoltes. vers un échec. D’après tous nos interlocuteurs, la production étant insuffisante cette année — contrairement à ce que soutient le gouvernement —, « cette situation aura des conséquences sur la disponibilité des semences pour la saison qui se profile à l’horizon ».
En d’autres termes, « il n y aura pas assez de graines pu nous permettre d’emblaver toutes les superficies disponibles. » D’autre part, il est dit que le Sénégal ne doit ouvrir ses portes aux acheteurs étrangers que si la production nationale dépasse le million de tonnes d’arachide. Or, selon nos interlocuteurs, « la réalité du terrain démontre que les chiffres avancés sur la production sont « faux », ce qui va naturellement occasionner un déficit énorme de graines destinées aux semences ».
L’industrie locale va naturellement faire les frais de ce déficit. En effet, ses besoins s’élèvent à environ « 650.000 à 700.000 tonnes environ de graines coques, là ou les petites installations régionales espèrent 75 mille tonnes de graines sans compter la consommation des ménages qui avoisine les 400mille tonnes et les besoins en semences estimés à 125 mille tonnes, soit un cumul des besoins nationaux d’un million trois cent mille tonnes ». Alors que notre production ne pouvait pas couvrir nos besoins, voilà que nos autorités ouvrent la porte aux acheteurs étrangers! Ce qui revient évidemment à tuer l’industrie nationale.
« Où sont les véritables bénéficiaires des 60 milliards de subvention dégagés par l’Etat ? »
Au vu de tout ce qui précède, il est permis de se demander où sont passés les 60 milliards de nos francs injectés par le président de la République en guise de subvention destinée au monde rural. En effet, le président Macky Sall a revu à la hausse l’enveloppe habituelle de 40 milliards pour la porter à 60 milliards, pandémie oblige. Question ! Comment ces milliards ont-ils été dépensés pour que les ruraux se trouvent dans cette « précarité agricole » ?
Autrement dit, ces fonds n’existent-ils que sur le papier ou ont-ils été détournés de leurs objectifs ? En tout état de cause, le ministère de l’agriculture a la lourde charge d’éclairer la lanterne des Sénégalais sur cette enveloppe qui, judicieusement utilisée, suffirait largement pour faire renouer le secteur de l’agriculture avec la prospérité.
Pour en revenir à la collecte de la Sonacos, certains prévisionnistes estiment qu’en réalité, si « les fonds avaient été injectés dans le monde paysan, l’huilier national serait en mesure de créer 30.000 emplois directs et indirects, et réceptionner 70.000 tonnes à la date d’aujourd’hui, si toute fois cette production de un million huit cent mille tonnes existait ». Mais puisque c’est le ministre de l’Agriculture qui l’assure…
Le Témoin