Ateliers de la pensée : échos de Dakar à Saint-Louis

03 - Novembre - 2016

La question du lieu a compté dans tous les débats : sortir de l'axe nord-sud, du face-à-face Afrique-Europe, décentraliser, circuler à l'intérieur du continent, dépasser les frontières, revenir sur l'intangibilité de celles établies par la colonisation et approuvées en 1963 par l'Union africaine et d'autres.

Mais les lieux matériels mêmes des débats ont compté symboliquement dans cette caravane, et l'on se souviendra des polémiques qu'a engendrées le premier : le fait que les travaux soient accueillis à l'Institut français de Dakar, d'abord dans l'auditorium à huis clos, puis pour la Nuit mémorable au Théâtre de verdure, en a fait parler plus d'un, à commencer par Célestin Monga interrogeant la « petite défaite » que serait cette réunion du gratin intellectuel de l'Afrique d'expression francophone venu décoloniser les savoirs dans l'espace de l'ex-colon, plus d'un demi-siècle après l'indépendance ! Une façon d'appeler aussi, compléta l'économiste, partout en Afrique à des lieux de débats endogènes. Calmant cette polémique, Souleymane Bachir Diagne a rappelé qu'il travailla un temps aux côtés d'Abdou Diouf à redéfinir la mission de l'Institut français comme « espace pour la présence sénégalaise et africaine, montrer la présence de l'Afrique au monde, montrer que le monde s'africanise en langue française » et il a rendu grâce à l'Institut, justement pour lui avoir fait découvrir le rap sénégalais. Achille Mbembe a dit qu'il s'y sentait chez lui selon l'éthique du passant à l'heure de la planétarisation et il fallait voir là, selon Felwine Sarr, une nouvelle collaboration, justement, entre anciens colonisés et anciens colons, c'est dire que la pensée glissantienne inspirait sur l'assemblée. Quoi qu'il en soit, à l'Institut, le public fut nombreux au rendez-vous !

« Penser africain » au Codesria

Le lendemain (29 octobre ), les ateliers investissaient, non loin de l'université Cheikh-Anta-Diop, les jardins d'une institution qui a ouvert ses portes en 1973 : le Codesria. Mamadou Diouf, Souleymane Bachir Diagne, Achille Mbembé, tous sont passés par cet épicentre continental de la pensée africaine, chargé de la promotion des sciences sociales et humaines en Afrique. « Retour à la maison », donc, où le secrétaire général Ebrima Sall accueillit la troupe pour « penser avec nos propres têtes nos propres réalités ». La matinée aux thèmes variés comptait avec la présence notable de deux chercheurs anglophones. Un passionnant exposé du chercheur camerounais Parfait Akana sur la violence du vocabulaire qui au Cameroun désigne la sexualité – « piéger le gibier », « tuer » – pour parler du rapport sexuel et autres expressions relevant de « meurtre sans cadavre » a ouvert ensuite la discussion sur la participation des femmes, pas seulement victimes, à cette situation qu'elles acceptent (Léonora Miano), violence largement véhiculée par le rap et majoritaire dans les villes. Hommes et femmes, tout le monde participe à ce qui, pour Mbembe, est le « signe du discours d'impuissance, la réserve pathologique dont a besoin tout régime de domination ».

L'impensé démographique

Deux autres thèmes ont marqué les débats du Codesria : d'abord, l'abolition des frontières coloniales, condition de sortie de la période de « glaciation coloniale » et de l'ouverture de l'Afrique à elle-même et aux autres, supposant un leader : or l'Afrique du Sud, a poursuivi Mbembe, n'a plus cette hégémonie… Ensuite, l'affrontement sur le terrain de l'économie entre Célestin Monga et le jeune Sénégalais Ndongo Samba Sylla, auteur de plusieurs ouvrages sur le CFA, le commerce équitable, chargé de programme et de recherche pour la Fondation Rosa Luxembourg (partenaire des Ateliers de la pensée) : le chercheur en économie (par ailleurs quatre fois champion du monde de scrabble francophone) a ciblé « l'impensé démographique » et a affirmé que le modèle de l'emploi salarié n'était pas celui de l'avenir où l'emploi informel devenait la norme, sans que la force de travail africaine y trouve son moyen de subsistance face à la technologie bannissant l'humain. Monga s'est efforcé de mettre un stop à ce « discours de la catastrophe » en montrant par un détour par l'Asie, mais aussi par des exemples africains (dont l'Éthiopie), que les emplois pouvaient revenir et que la force de travail africaine trouverait à se déployer autant que ce fut le cas pour celle de la Chine.

Seule solution : l'éducation. « Elle n'a pas de prix, c'est la seule chose qui peut vous sauver. » Mais l'idée qu'elle soit payante en Afrique, suggérée par l'économiste pour en renforcer la « valeur » symbolique, a déchaîné les foudres, y compris de la philosophe Hourya Bentouhami qui a considéré qu'« entériner la défaite des opprimés, c'est une défaite de la pensée ». Non loin des tables où les publications du Codesria étaient exposées, bien d'autres communications ont enrichi ce programme un peu « fourre-tout », telle la menace de la technologie sur l'imagination africaine (menace, il faut bien le dire, globale…).

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