AU SÉNÉGAL, "UNE DÉTÉRIORATION INQUIÉTANTE" DES DROITS HUMAINS
Des dizaines de morts, des milliers de blessés, et des centaines d’arrestations arbitraires : depuis trois ans le Sénégal traverse une grave crise politique rythmée par plusieurs épisodes de violences meurtrières et dont le dernier en date a fait 4 morts et des centaines de blessés. A la veille de la présidentielle, Ousmane Diallo, expert d’Amnesty international, dresse un bilan inquiétant sur le respect des droits humains dans le pays et enjoint les futures autorités à entamer une profonde réforme du maintien de l’ordre.
Nous avons constaté une détérioration très inquiétante de la situation des droits humains. Il y a eu près de 60 morts liées aux manifestations, des milliers de blessées et des centaines d’arrestations arbitraires. Il y a eu aussi beaucoup d’autres violations comme des attaques contre la presse, les journalistes et des coupures intempestives d’Internet.
La situation au Sénégal est dramatique. Elle s’est notamment dégradée dans le cadre d’un contexte politique tendu marqué par l’opposition entre Ousmane Sonko et son parti - aujourd’hui dissous – le Pastef et le pouvoir en place en plus d’être ponctuée par plusieurs affaires judiciaires. Il y a eu une véritable logique de répression par le pouvoir contre un groupe issu de l’opposition politique.
A partir de 2021, on a pu voir des changements. Par exemple, dès qu’il y avait des manifestations, des tirs par balle entraînaient souvent des morts, ce qui n’était pas forcément le cas avant 2021. Cela montre la nouvelle logique du maintien de l’ordre : très militarisée et très violente.
On note une montée en puissance des forces de défense et de sécurité (FDS) ces trois dernières années au Sénégal à travers les lois d’orientation et de programmation militaire. Il y a un usage d'armes létales et à létalité réduite. Il y a des armes à feux, des véhicules blindés, sans oublier les équipements de protection des forces de défense et de sécurité qui sont très militarisés avec des casques, des genouillères, épaulettes etc…
Quels que soient les besoins d'équipements des forces de la défense et de sécurité pour répondre à ces menaces-là, ce surarmement ne doit pas servir un usage disproportionné de la force contre les manifestants. Ce sur-déploiement et ce surarmement se sont manifestés dans la répression contre les manifestants.
Le seul fait pour l’État sénégalais de voter une loi d’amnistie est un affront à la justice, la vérité et une garantie de l’impunité pour les forces de défense et de sécurité.
Les autorités avaient parlé de « forces occultes », de « forces spéciales d’infiltration », tous ces narratifs politiques sont aujourd’hui jetés à la poubelle. Maintenant, on parle de loi d’amnistie pour « l’apaisement » et « la réconciliation nationale », on parle de « dialogue » comme un « moyen de gouvernance », ce sont des narratifs qui visent à légitimer cette loi d’amnistie.
Les nouvelles autorités devront abroger cette loi d’amnistie pour lutter contre l’impunité et éviter la répétition de ce qu’il s’est passé.
Il faut enquêter, établir les responsabilités, et mener les réformes nécessaires pour que cela ne se reproduise pas.
Il faut aussi veiller à penser à un mécanisme de réparation pour les victimes.
Il faut réviser les textes régissant le maintien de l’ordre notamment les conditions dans lesquelles les forces de défense et de sécurité peuvent faire usage d’armes à feu. Les textes datent des années 60 et 70, ils sont dépassés notamment au regard de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international pour les droits civils et politiques. Il faut les mettre à jour.
Il faut s’assurer par exemple que tous les agents chargés du maintien de l’ordre portent des uniformes qui permettant de les distinguer et qu’ils n’aient pas de nervis (ndlr, hommes de main, mercenaires) qui agissent à leurs côtés en civil, ce qui a été très fréquent ces trois dernières années.
Plus de détails sur le site d'Amnesty international