«Aucune loi ne peut garantir l’indépendance d’un juge s’il ne veut pas l’être !»

26 - Juillet - 2019

SALY - L’ancien vice-président du Conseil constitutionnel, Pr Babacar Kanté, est revenu, hier, lors du séminaire avec les média, sur la relation entre nomination et indépendance des juges. Aucune loi ne garantit l’indépendance du juge s’il ne veut pas l’être, soutient-il. lors du séminaire avec les journalistes, l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel, Babacar Kanté, a évoqué la question de l’indépendance tant décriée des magistrats. « C’est dans la manière dont, sur le plan institutionnel, la juridiction a été formatée qu’on essaie de donner des garanties à l’institution. Il en est ainsi de la composition. Sur la composition, à entendre certains, on a l’impression que, dès lors qu’on est nommé par le président de la République, on n’est pas indépendant», a-t-il dit d’emblée. Prenant exemple sur son propre cas, il balaye ces assertions. « D’abord, ce n’est pas vrai. Et j’en suis un exemple vivant. Je peux vous jurer que je n’ai jamais rencontré le président de la République Abdoulaye Wade avant ma nomination. Il ne me connait pas je ne le connais pas. J’ai fait 6 ans je ne jamais reçu un appel téléphonique d’aucune autorité politique de ce pays. Et pourtant, il n’y avait que mes anciens étudiants qui étaient autour du président », assure Pr Kanté. a l’en croire, les juges du Conseil constitutionnel sont d’autant plus indépendants qu’ailleurs, des juges ont des relations avec des politiques sans que ces derniers n’interfèrent dans leurs décisions. « Ça m’étonne beaucoup. Je pose toujours la question de savoir qui ignorait les relations entre Mitterrand et Robert Badinter ? C’était des amis intimes. Il en est de même pour Pierre Mazeaud et Jacques Chirac. Pour autant, personne ne doutait de l’indépendance de ces magistrats. Comment se fait-il que, dans notre pays, quand vous êtes nommés vous ne pouvez pas être indépendant ? C’est un problème culturel qu’il faut régler», estime l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel. avant de donner des exemples : « Cette nomination n’est pas de nature à affecter l’indépendance des membres. Prenons le cas de la France, où le président de la République, celui de l’Assemblée nationale tout comme le président du Sénat nomment trois membres. Qu’advient-il s’ils sont tous de la même mouvance politique ? Aux Etats-Unis, c’est le président qui nomme tous les membres. La seule différence entre les USA et nous, c’est que, chez nous, quand vous êtes nommés on va essayer de voir si au lycée vous avez été membre du Ps ou du Pds ? Est-ce que le cousin de la sœur de la tante de votre grand n’a pas de lien avec le président de la République ? Aux Etats-Unis la seule question est de savoir si le juge nommé est conservateur ou progressiste ? Autrement dit est-ce que sur les lois sur l’homosexualité, l’avortement, il va voter pour ou contre ? ». La nomination, pas un facteur qui puisse jouer sur l’indépendance ou non Par ailleurs, Pr Babacar Kanté explique que la nomination n’est pas un facteur qui puisse jouer sur l’indépendance ou non. « Chez les anglophones, quand vous leur posez la question de l’indépendance, celui qui nomme importe peu. Celui qui est important, c’est celui qui élabore le budget. Quels sont les pouvoirs du président de la juridiction ? Ce qui garantit, c’est le statut des membres » explique le Pr Kanté. il estime que l’avantage du système sénégalais c’est que, contrairement à d’autres, les membres sont renouvelés partiellement et non entièrement. tout le monde chantait le Bénin comme un exemple de démocratie. aujourd’hui, tout le monde s’inquiète parce que la mandature qui était là est partie, c’est une nouvelle équipe qui arrive, et qui est en train de changer totalement la jurisprudence qui était le socle de la démocratie de ce pays, informe-t-il. « Il y aussi les incompatibilités qui permettent d’assurer la garantie, pour éviter les conflits d’intérêts. Les seuls membres du Conseil constitutionnel qui peuvent mener des activités parallèles, ce sont les professeurs d’universités. Ensuite, dès lors que vous êtes nommés membres, vous êtes indéboulonnables sauf cas exceptionnel. Et même là, ce sont les membres du Conseil eux-mêmes qui peuvent se réunir pour mettre un terme à votre mandat», renseigne le professeur de Droit. « La faiblesse des systèmes africains ce n’est pas de déclarer X élu, et non Y élu. C’est fondamentalement que les individus ne peuvent pas saisir directement le Conseil constitutionnel. Celui-ci ne peut être saisi que par cinq autorités en matière de contentieux constitutionnel. Il s’agit du PR, du PM, l’Assemblée nationale, 1/10 des députés et parfois le ministre. En plus, il y a la Cour d’appel et la Cour suprême en cas d’exception d’inconstitutionnalité », a-til énuméré. D’après le Pr Babacar Kanté, la performance du système doit être évaluée de ce point de vue. est-ce que les individus peuvent réclamer leurs droits reconnus par la Constitution devant le Conseil Constitutionnel ?, questionne-t-il. « Lorsque le Conseil est saisi, la première question qu’il se pose est celle de la compétence. Le Conseil se demande d’abord s’il est compétent ? Ensuite, est-ce que le recours remplit les conditions de forme et de délai ? Et c’est seulement après qu’ il se prononce sur le fond. Donc c’est une obligation pour le Conseil. C’est d’ordre public. C’est la première question qui se pose. Avant d’entrer dans le fond, À savoir est ce que l’acte est conforme ou non ? Je voudrais en revenir à l’indépendance du juge. En réalité, l’indépendance des juges est une indépendance fondée sur son éthique, sa morale, ses vertus, ses qualités personnelles. Aucune loi ne peut garantir l’indépendance d’un juge quand il ne veut pas l’être» conclu le Pr Babacar Kanté, ancien vice-président du Conseil constitutionnel.

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