ce qu’il faut retenir du rapport commandé par Macron sur la restitution du patrimoine africain

21 - Novembre - 2018

Révélé par la presse trois jours avant sa publication officielle, le rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain, dirigé par Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, détaille très concrètement la méthode, le planning et les œuvres concernées par la restitution. Décryptage.

C’est un texte épais (232 pages), pointu, radical, et qui fait déjà frémir le milieu de l’art français. Censé être rendu public vendredi 23 novembre, le rapport « sur la restitution du patrimoine africain », commandé par Emmanuel Macron à l’historienne d’art Bénédicte Savoy et à l’intellectuel sénégalais Felwine Sarr, a fuité dès mardi dans la presse française. L’hebdomadaire Le Point parle d’un texte « explosif ». Le quotidien Libération fait sa couverture sur « L’heure du retour » des œuvres spoliées, tandis que Le Monde Afrique analyse le « défi historique » de la restitution.

Le rapport a été rendu presque un an jour pour jour après la promesse historique faite par le président français le 28 novembre 2017 à Ouagadougou. Devant des centaines d’étudiants, sous l’œil approbateur de son homologue Roch Marc Christian Kaboré, Macron avait enthousiasmé son auditoire en déclarant : « Je veux que d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. » Beaucoup d’experts et de galeristes, à Paris, parlaient alors d’une promesse intenable.

Mais en mars 2018, le projet se précise. Lors de la visite de Patrice Talon à l’Elysée, le chef de l’État français en profite pour annoncer la création d’une mission « de réflexion et de consultation » pour la restitution du patrimoine culturel africain à l’Afrique, et que celle-ci rendra un rapport officiel. Si ce dernier ne répond pas à toutes les questions que pose la restitution, il dessine assez précisément les contours d’un retour au pays des œuvres spoliées. Revue de détails.

Quels objets sont-ils concernés ?
Dans leurs recommandations, les auteurs du rapport préconisent «la restitution rapide» des objets prélevés en Afrique par la force ou « présumés acquis dans des conditions inéquitables ». Rentrent dans cette définition les objets saisis « lors d’affrontements militaires », ceux acquis « par des personnels militaires ou administratifs actifs sur le continent pendant la période coloniale (1885-1960) ou par leurs descendants ». Idem pour les pièces récupérées « lors de missions scientifiques antérieures à 1960 ». Les objets « oubliés » – c’est-à-dire qui avaient été prêtés par des institutions africaines à certains musées pour des expositions ou des campagnes de restauration mais n’ont jamais été rendus – sont aussi concernés.

Quand seront-ils restitués ?
Bénédicte Savoy et Felwine Sarr proposent de restituer en trois étapes le patrimoine culturel africain présent sur le sol français.

La première, qui s’étend de novembre 2018 à novembre 2019, permettra de remettre aux États africains concernés « des inventaires d’œuvres issues de leur territoire (selon les frontières actuelles) et conservées actuellement dans les collections publiques françaises ».

Une deuxième, du printemps 2019 à novembre 2022, et qui se découpe en quatre volets distincts, « doit conduire à la mise en ligne en libre accès, ou à la restitution bien ordonnée, d’ici cinq ans, du matériel iconographique, cinématographique et sonore concernant les sociétés africaines »Enfin la troisième et dernière étape commencera à partir de novembre 2022. Pour les auteurs, le processus de restitution ne doit pas être limité dans le temps. « Il faut éviter de donner l’impression que la fenêtre historique qui s’est ouverte lors du discours de Ouagadougou risque de se refermer très vite », écrivent-ils.

Juridiquement, comment cette restitution sera-t-elle possible ?
Aujourd’hui, ces biens, inaliénables, ne peuvent légalement quitter les collections françaises. Les auteurs proposent donc d’amender le code du patrimoine qui protège les collections des musées français. Ils recommandent d’ajouter un nouvel article, en ces termes, au texte existant : « Un accord bilatéral de coopération culturelle conclu entre l’État français et un État africain peut prévoir la restitution de biens culturels, et notamment d’objets des collections de musées, transférés hors de leur territoire d’origine pendant la période coloniale française ».

Combien tout cela va-t-il coûter ?
« Le retour des œuvres nécessite en tout état de cause un budget dédié aux frais de transport et d’assurance », relève le rapport. Les auteurs proposent des pistes de financement tant du côté européen qu’africain. Ils évoquent un montage financier possible avec l’Agence française de développement (AFD) et le fonds européen découlant du partenariat Union européenne/Union africaine.

Mais aucune information n’est dévoilée sur le budget de ce projet. « Il ne faut pas passer sous silence le coût de gestion des commissions bilatérales d’experts qui devra être pris en compte », notent-ils. À titre d’exemple, « le retour de 96 objets du musée du quai Branly-Jacques Chirac destinés au musée Théodore-Monod d’art africain à Dakar a coûté 42 000 euros pour les frais d’emballage, de convoyage et de fret aérien, hors assurance. Le coût de l’assurance s’élevait à 200 euros », précise le rapport.

À qui restituer ces objets ?
C’est l’autre grande crainte des détracteurs. Avant d’envisager tout retour, certains spécialistes des arts africains, comme le galeriste Bernard Dulon, préconisent la création de structures pérennes où conserver les œuvres.

Savoy et Sarr tiennent à les rassurer : « Les procédures de restitution seront engagées dans une relation d’État à État. » Les biens de l’État seraient donc rendus à l’État demandeur. Si les objets ne sont pas conservés dans les collections publiques, à charge pour ce dernier de le rendre à sa communauté ou propriétaire initial.

Le pays d’origine sera seul habilité à présenter une demande de restitution. La requête sera ensuite soumise à l’État français, et à lui seul. « Ce qui n’empêche pas en amont des coopérations directes entre musées et universités », nuance le texte.

Auteur : Jeune Afrique

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