Ces migrants peu qualifiés qui font tourner l’économie britannique
Big Fernand a ouvert ses portes il y a un an et demi dans le centre de Londres, à deux pas du British Museum. Ce restaurant français spécialisé dans le hamburger emploie une douzaine d’employés, actuellement tous étrangers.
Alors que le premier ministre Theresa May a assuré vouloir mettre fin à la liberté de mouvement des travailleurs européens, son responsable Mathieu Durand admet que « cela compliquerait notre organisation, car nous employons au minimum 60 % de Français, qui ont l’avantage de connaître les produits que nous vendons ». Serait-ce parce que seuls les étrangers acceptent les salaires et horaires proposés ? « Difficile à dire », répond-il.
Les difficultés que poserait la fermeture des frontières
Un aperçu dans les restaurants, bars et épiceries de la capitale permet d’imaginer la révolution à laquelle s’attend le secteur des services avec le Brexit. La majorité de leurs employés sont des étrangers peu ou pas qualifiés.
Un statut peu envié depuis que la ministre de l’intérieur Amber Rudd en a fait sa nouvelle cible. Elle a récemment assuré vouloir « réduire l’immigration nette tout en s’assurant que nous attirons les plus intelligents et les meilleurs ».
La forte implication du gouvernement sur cette thématique depuis le référendum du 23 juin explique sans doute la frilosité généralisée des employeurs à aborder un sujet devenu sensible. Exemple caractéristique, le patron des boulangeries Paul pour le Royaume-Uni s’était longuement exprimé courant juillet sur les difficultés considérables que poserait la fermeture des frontières pour l’embauche d’employés.
Contacté mi-novembre, il n’a pas répondu à nos demandes. Peut-être par crainte de se retrouver dans le collimateur des autorités après que des ministres avaient exprimé il y a un mois et demi leur volonté d’obliger « les entreprises à clarifier la part de leur main-d’œuvre internationale ».
Cette mise au pilori risque de remettre en cause les avantages dont ont bénéficié au cours de ces douze dernières années les employeurs britanniques. « Les migrants d’Europe de l’est ont transformé l’économie britannique après leur arrivée massive à partir de 2004 », assure Douglas McWilliams, le président du Centre de recherche des affaires et du commerce, un laboratoire d’idées très en vue. « Ils ont accru la main-d’œuvre de 2 %, ce qui a permis de maintenir bas les coûts du travail en raison de la concurrence qu’ils représentaient. Résultat, l’économie est repartie de l’avant pendant cinq ans, alors qu’elle commençait à perdre de son allant. »
Un rapport publié en 2014 par le Comité consultatif sur la migration souligne la perception extrêmement positive des employeurs à l’égard des 578 000 migrants sous qualifiés venus d’Europe de l’est.
Basée à Southampton, la société de recrutement ADS est impliquée dans les trois secteurs friands de ces travailleurs (l’agriculture, l’agroalimentaire et l’hôtellerie-restauration). Elle avoue recommander surtout des Polonais parce que « le type de travail que nos entreprises fournissent – temporaire avec des heures de travail imprévisibles et peu compatibles avec la vie sociale – est très peu attrayant pour les travailleurs britanniques ».
Cette disponibilité tous azimuts n’est pas la seule raison de leur bonne réputation. « La principale motivation pour l’embauche des étrangers est le manque de qualification de base des Britanniques », clame Seamus Nevin de l’Institut des directeurs, la plate-forme des petites et moyennes entreprises. L’étude du comité consultatif sur la migration confirme ce constat : « Les postulants britanniques ne disposent pas des bases requises en mathématiques et en écriture. »
Lacroix