Couvre-feu-Covid-19: les vendeuses de «Ndoggu» ont le blues

28 - Avril - 2020

​Les années se succèdent, mais ne se ressemblent guère. Pour celle-ci, la communauté chrétienne et musulmane ont vécu un carême exceptionnel avec l’instauration du couvre-feu pour barrer la route à la propagation de la Covid-19. Une situation singulière pour la communauté musulmane du Sénégal qui a entamé le ramadan depuis le samedi dernier. Cette période bénie du ramadan a donc un parfum particulier avec la présence de la pandémie du coronavirus qui a donné un coup d’arrêt à presque toutes les activités économiques du pays. Créant ainsi le désarroi dans le secteur de l’informel, et singulièrement dans la vente du repas de rupture ou du début du jeûne. Une situation qui plonge beaucoup de ménages dans le désarroi.

Sur une ruelle passante des quartiers des Hlm, la dame Oumy Nd tient sa table où sont exposés différents produits. elle guette désespérément ses clients qui avaient l’habitude de prendre leur petit déjeuner dans un petit coin aménagé à quelques pas de la devanture de la maison. « Avant le ramadan, même si j’étais obligée de tirer les rideaux dans la soirée pour me conformer au couvre-feu, je m’en sortais un peu. Mais après deux journées, je me rends compte que j’ai perdu une partie de ma clientèle », se désole la dame, les traits un peu tirés. sa table qui était le point de convergence du secteur de l’informel durant les ramadans, se trouve aujourd’hui complètement dégarnie. « Les ouvriers, qui ont leurs garages dans le quartiers et ses alentours, venaient couper le jeûne avant de rallier la banlieue. Avec le couvre –feu, beaucoup d’entre eux préfèrent aujourd’hui rentrer tôt », explique la dame qui cache mal sa désolation. La famille Mbaye qui tient également une table de fortune et qui tire ses revenus de ce petit commerce vit mal cette situation. « Vous voyez, il n’y a presque pas beaucoup de clients. L’année dernière, on était débordé et il était impossible de satisfaire le monde fou qui s’agglutinait autour de notre table. Cette année, le client se fait désirer » dit le père de famille qui dit avoir la hantise de lendemains très difficiles.

Ce, dès lors que c’est avec le produit de ce commerce qu’il entretient sa famille. La situation est la même en banlieue dakaroise. ndèye sène tient une petite cantine à côté d’une pharmacie à l’unité 12 de Keur Massar. en ce mois de ramadan, les habitudes changent. de ce fait, dès 17heures, elle expose ses produits. «Je prie qu’Allah, le Miséricorde, nous protège contre le coronavirus. Parce que tout est bloqué dans ce pays. Je ne peux que vendre ces quelques kilos de pain. J’ai juste préparé une petite quantité pour ne pas devoir gaspiller mon argent » explique la bonne dame qui juge que le couvre-feu de 20 H à 06 H du matin constitue un réel frein pour le développement de leurs activités. « Je suis obligée de plier bagages très tôt à cause du couvre- feu. Nous partageons le souci des autorités. La maladie est hyper contagieuse et fait des ravages » explique la jeune commerçante.

Chauffeurs et apprentis rentrent tôt Plus loin de la table de cette dame, juste devant la boulangerie « Jaune » de Keur Massar, une autre femme propose les mêmes mets. contrairement à celles des autres, sa table reçoit du monde. Gentiment, elle recommande à ses clients à respecter les règles de la distanciation. « L’année dernière, je vendais jusqu’à 22 H. Après la rupture, les clients se pressaient encore. Surtout ceux qui ne prenaient pas le repas de l’aube. Mais aujourd’hui, tout cela est impossible », se désole notre interlocutrice qui avoue que malgré l’affluence de la clientèle, ses gains ne lui permettent plus d’entretenir la famille comme avant.

Tout en se remettant à Dieu, elle dit prier pour un retour à la vie normale. de l’autre côté de la rue de cette partie de la populeuse commune de Keur Massar, se trouve un garage de véhicules dit « super ». Une jeune fille de teint clair se faufile entre les véhicules pour proposer ses produits. Les traits tirés, elle juge la situation très difficile pour les petits commerces.« Franchement, si ça ne tenait qu’à moi, je rangerais la marmite pour attendre des jours meilleurs. A vrai dire, rien ne marche. Mes clients sont à majorité composés de chauffeurs et d’apprentis. Avant même la rupture, la majorité rentre. Les années précédentes, ils « coupaient » tous le jeûne ici. Mais avec la situation de la pandémie, ceux qui habitent loin, préfèrent rentrer » dit –elle, l’air désabusé. Thilo Sow qui s’active dans le même coin préfère préparer une quantité raisonnable. Mais elle juge comme les autres la situation insupportable. « Ce n’est vraiment pas le rush comme l’année dernière. Déjà, bien avant même le ramadan, les clients se faisaient rares à cause du couvre-feu et surtout de la pandémie », confie la dame de forte corpulence. Ce que confirme cet habitué de ces restaurants de fortune. En effet , à en croire ce jeune ouvrier, beaucoup de personnes ont perdu l’habitude de manger dans la rue avec le développement de la pandémie. « Les gens ont vraiment peur. Au-delà du couvre-feu et de l’ensemble des règles prises pour lutter contre la propagation de la pandémie de la covid-19., les sénégalais sont en train de changer de comportements. Ils sont maintenant convaincus que le coronavirus tue. De ce fait, nul ne veut être la prochaine cible de la covid-19. Par conséquent, les gens achètent de moins en moins la nourriture de la rue », tente comme explication notre interlocuteur qui avoue avoir arrêté de manger dans la rue à cause de la propagation du virus. ce que semble bien avoir compris cette jeune fille que l’on croirait sortie d’une école de marketing.

« Bien avant le ramadan, j’avais remarqué ce changement. Maintenant, j’ai adopté une autre stratégie avec la formule du repas à domicile. Je cuisine pour mes clients habituels. Et avec le soutien de mon jeune frère, je leur fais livrer leurs commandes avant l’heure du couvre-feu. Certes, les gains ne sont pas les mêmes qu’avant, mais ça me permet de tenir » confie notre interlocutrice.

Pendant que certains se désolent de la situation, la dame Aby Diop semble tirer son épingle du jeu. en effet, elle avoue ne pas sentir un coup de frein dans ses activités. Les « fataya » qu’elle propose s’écoulant comme de petits pains.

Désarroi dans certaines familles

Cependant dans leur écrasante majorité ces dames qui s’activent dans ce secteur de l’alimentation disent prier pour la fin de la pandémie. celle-ci les mettant dans le désarroi. « C’est avec ce petit commerce que j’entretiens ma famille. Avant le ramadan, c’était très difficile. Je proposais à mes clients deux repas. Aujourd’hui, je me contente d’un seul que je peine à écouler à cause du couvre- feu » , se plaint la jeune restauratrice dont ses clients sont constitués d’ouvriers du secteur de l’informel , lesquels désertent leurs lieux de travail dès 18 heures. Ce que confirme ce menuisier métallique. « J’avais l’habitude de couper le jeûne chez ma restauratrice attitrée. On pouvait y rester jusqu’à 21 heures avant de rentrer. Ce n’est plus le cas. A cause du couvre-feu, je préfère rentrer tôt ainsi que tous mes collègues », confie le jeune ouvrier dans une chemise qui a connu de jours meilleurs.

Ces jeunes sont aussi confrontés à d’autres difficultés. en effet beaucoup d’entre eux se passent du repas de l’aube. « Je n’ai pas pris le repas de l’aube depuis le début du ramadan. D’habitude, je retrouvais la vendeuse du coin de notre quartier. Ce qui n’est plus possible », fait savoir ce jeune mécanicien spécialiste de la réparation de motos. des familles se trouvent également dans une situation intenable. avec la crise beaucoup peinaient à cuisiner. de ce fait, elles se restauraient dans la rue. « On se débrouille, mais ce n’est pas facile. Ne pouvant pas nourrir toute la famille, les enfants sont notre priorité. Les adultes pourront toujours se débrouiller pour trouver de quoi manger», explique cette mère de famille.

La situation exceptionnelle de ce ramadan avec l’instauration du couvre- feu a ainsi réussi à plonger beaucoup de familles dans la précarité et d’autres dans d’insoutenables difficultés autant dire que beaucoup de ménages tentent de survivre.

Le Témoin

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