De la recevabilité de la candidature de Monsieur Ousmane SONKO : La valeur juridique superfétatoire de l’Attestation de la Caisse des Dépôts et Consignations( par les professeurs Sidy Alpha Ndiaye et Salif Sané)
L’élection présidentielle, par le respect scrupuleux des règles électorales, participe à la consolidation de la paix sociale et unifie la nation autour du choix d’un leader légitime.
Le constituant sénégalais et le législateur, par le biais du Code électoral, ont érigé les conditions d’une élection libre, transparente, loyale et inclusive. Le processus électoral fait intervenir des organes habilités à jouer séparément des fonctions. Le Conseil constitutionnel apparaît en dernier ressort comme le gardien suprême de la l’intégrité du scrutin. En tant que garant du fonctionnement normal des institutions, le Conseil constitutionnel contrôle la validité des actes de candidature et des résultats issus du scrutin.
L’invalidation d’une candidature, en ce qu’elle prive un citoyen de son droit fondamental à participer à l’expression du suffrage universel et une masse d’électeurs d’un choix libre, doit répondre à une exigence de motivation. L’exigence de motivation transporte un objectif de compréhension et de découverte du raisonnement du juge. Elle renforce la légitimité dans le cadre d’une démocratie constitutionnelle. Dans sa décision du 12 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a semblé méconnaitre cette obligation de motivation qui est une garantie fondamentale des droits de la défense en occultant les causes de la non présence de l’Attestation délivrée par la Caisse des dépôts et Consignations dans le dossier de candidature de Monsieur Ousmane SONKO.
Or, aux termes de l’article 24 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel du Sénégal, « le Conseil constitutionnel rend, en toute matière, des décisions motivées ». En excipant l’absence de l’Attestation dans le dossier du candidat susmentionné, le Conseil constitutionnel reconnait, par ricochet, que celui-ci jouit de tous ses droits civils et politiques et que le défaut de présentation du modèle de fiches de parrainages, arbitrairement confisqué par la Direction Générale des Élections compte non tenu de deux décisions de justice immédiatement exécutoires, n’est pas un obstacle dirimant à la recevabilité de la candidature de Monsieur Ousmane SONKO. En ne convoquant ni l’inéligibilité du candidat ni la présence de l’archétype de la fiche, le Conseil constitutionnel construit un raisonnement visant à admettre la recevabilité de la candidature de Monsieur Ousmane SONKO. Il ne motive superficiellement l’irrecevabilité de la candidature que par le défaut de présentation d’une Attestation volontairement confisquée par l’Administration électorale. Confirmer cette jurisprudence acterait le décentrement des fonctions électorales du juge constitutionnel à la CDC qui, en fonction du bon vouloir de son directeur, déciderait des candidatures à l’élection présidentielle, de les retrancher, ou de chercher à les avantager.
Le directeur de la CDC serait en même temps juge électoral ! Il deviendrait de facto le 8ème juge constitutionnel par une exorbitance administrative inconsidérée. Et le Conseil constitutionnel, refusant la recherche de la causalité du manquement, accepterait que le comportement réfractaire de certains agents de l’Administration primerait sur la justice constitutionnelle. La fin de l’imperium du juge constitutionnel serait concomitante à l’exaltation, voulue par le Conseil constitutionnel, d’une Administration-juge. L’invalidation de la candidature d’un opposant ne vaut pas la peine de ruiner les fondations déjà évanescentes d’un État de droit.
L’argument de l’absence de l’Attestation de la CDC, fondement juridique de l’invalidation de la candidature de Monsieur Ousmane SONKO, ne résiste pas à la rigueur juridique. En l’espèce, une absence de motivation ou une motivation lacunaire et expéditive renseigne sur une décision non-fondée en Droit.
De 1993 à 2019, le Conseil constitutionnel du Sénégal a toujours procédé à la motivation suffisante sur la recevabilité ou le rejet des candidatures au regard de toutes les conditions posées par la Constitution et le Code électoral. En 1993, avec 9 candidats, le Conseil rendit 21 CONSIDERANTS. En 2000, il proposa 13 CONSIDERANTS avec 9 candidats. En 2007, il produisit 19 CONSIDERANTS avec 16 candidats. En 2012, avec 17 candidats, le Conseil fit 25 CONSIDERANTS. En 2019, avec la modification du code électoral pour insérer l’éligibilité dans les conditions pour être candidat, le Conseil constitutionnel écrivit 127 CONSIDERANTS pour 27 candidats. Des développements substantiels sur les candidatures de Messieurs Khalifa Ababacar SALL et Karim WADE marquèrent de leur empreinte la décision du 20 janvier 2019.
Pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, le Conseil constitutionnel ne consacre que 27 considérants pour répondre à la situation juridique de 93 candidats. La candidature de Monsieur Ousmane SONKO a été laconiquement écartée sur le fondement de l’incomplétude de son dossier alors même que la faute, assimilable à une défaillance administrative, est entièrement imputable à l’Administration. La jurisprudence constante du Conseil constitutionnel est de se prononcer sur la valeur juridique des pièces justificatives fournies par le candidat.
Le Conseil constitutionnel s’abstient de rechercher la cause du manquement de l’Attestation de la CDC et, ce faisant, refuse, contrairement à sa jurisprudence constante, de sanctionner le refus de l’Administration électorale de fournir la pièce demandée alors même qu’elle a délivré une quittance en bonne et due forme et que ledit chèque a été encaissé. Monsieur Ousmane SONKO dispose bien d’une quittance de dépôt du cautionnement requis. Dire que la quittance comporte une valeur juridique probatoire est un truisme. En effet, il s’agit d’un écrit remis au débiteur par lequel le créancier reconnaît avoir reçu le montant de sa créance. Partant, l’Attestation signée par le Directeur de la CDC vise uniquement la confirmation du versement. Elle n’a, per se, aucune valeur juridique si ce n’est la vocation minimale de confirmation administrative d’un versement dont la preuve est administrée au Conseil constitutionnel. Ce juridisme n’est pas de nature à priver un candidat de son droit au suffrage surtout lorsqu’il est avéré, par exploit d’huissier, que le manquement relève de la faute de l’Administration d’autant plus que toutes les « diligences utiles » furent accomplies par le candidat. Le Conseil constitutionnel n’ignore pas que l’Attestation accompagne simplement la quittance. La confirmation, l’Attestation, n’apporte rien à la règle, le dépôt d’une caution notamment. L’acte principal reste la quittance de la CDC.
L’Attestation ne constitue que l’accessoire. Elle doit suivre le principal. Au surplus, le refus de l’Administration de délivrer l’Attestation a fait l’objet d’un procès-verbal d’huissier. Ce dernier est un acte authentique disposant d’une importante force probante. Il fait foi jusqu'à inscription de faux. Lorsque le mandataire, sur le fondement d’une injonction de réintégration sur les listes électorales du candidat représenté, a commis toutes les diligences nécessaires auprès des autorités administratives compétentes, le Conseil constitutionnel doit rechercher l’imputabilité du manquement. Rien ne l’empêche de mettre en œuvre son pouvoir d’investigation qui lui permettrait de recueillir des informations précises sur le versement de la caution et l’origine du manquement sur le fondement de l’article L 125 du Code Electoral. Dans des faits similaires, le Conseil constitutionnel concluait à « une défaillance de l'administration pour laquelle (un) parti ne doit pas être pénalisé ». Pour le juge constitutionnel, « il y a lieu de constater que la preuve est établie que le cautionnement était disponible et a été présenté au Ministère de l’Intérieur avant l'heure légale de clôture » (Conseil Constitutionnel, Décision n°/E/3/98 du 15 avril 1998, affaire Insa SANGARE). Arborant les habits d’un juge constitutionnel, l’Administration électorale justifie illégalement son refus de délivrer l’Attestation par l’inéligibilité de Monsieur Ousmane SONKO à rebours de deux décisions de justice qui ont réaffirmé la qualité d’électeur du candidat lésé. Il est de droit constant que le fait du tiers est une cause exonératoire de responsabilité.
Il est important de rappeler que le candidat Ousmane SONKO garde toujours, en dépit de sa condamnation dans l’affaire Mame Mbaye NIANG, la totalité de ses droits civils et politiques. Aucun acte administratif de radiation, juridiquement contestable devant le Tribunal d’Instance, ne lui est, à ce jour, notifié. Une décision de radiation doit, en vertu de l’article L.40 du Code électoral, être motivée et notifiée à la personne concernée.
En définitive, le défaut d’une Attestation de cautionnement qui fait suite à un refus par l’Administration d’exécuter une décision de justice ne saurait constituer un motif de rejet d’une candidature. Accepter une telle forfaiture serait un précédent dangereux pour la démocratie et l’État de droit. Par l’absurde, un maire pourrait tout aussi bien refuser de remettre à un concurrent un extrait de son acte de naissance et le priver du droit de participer à des élections.
Il sera attendu du juge constitutionnel qu’il ne se dépossède pas de ses attributions de juge électoral au profit de l’Administration. La fin de la figure du juge-administrateur ne doit aucunement préfigurer l’aporie d’un administrateur-juge.
Prenons le Droit au sérieux !
Sidy Alpha NDIAYE, professeur agrégé de droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar et Salif SANE, Maitre de conférences de droit public, Université Gaston Berger de Saint-Louis .