Démantèlement de 5 bases rebelles en Casamance: la longue histoire du Front Sud du Mfdc

17 - Février - 2021

​L’armée a indiqué, mardi 9 février, avoir pris trois « bases » des rebelles en Casamance (sud) et récupéré des armes lors d’une offensive lancée fin janvier avec le soutien de la Guinée-Bissau voisine. Depuis l’année dernière, un climat d’instabilité s’est réinstallé près de la frontière avec la Guinée-Bissau, dans les secteurs de Goudomp, d’Adéane et de BoutoupaCamarakunda. Ce après plusieurs années d’une relative accalmie qui avait commencé à faire oublier les années de braise où plusieurs localités de la zone avaient été détruites et des dizaines de personnes exécutées. La conséquence en avait été un exode massif des populations de la zone qui sont allées s’entasser à la périphérie de Ziguinchor ou en Gambie, si ce n’est en Guinée-Bissau.

Tout serait parti du retour amorcé par les habitants de certains de ces villages — comme Bissine — qui avaient été rayés de la carte. Des habitants qui vivaient en exil forcé depuis plus de deux décennies à cause justement de la violence et des mines. Ces populations qui vivent à l’étroit dans leurs localités d’accueil voulant reprendre une vie normale ont, dans leur écrasante majorité, décidé de retourner au bercail quel que soit le prix à payer pour pouvoir reprendre leurs activités agricoles. Leur slogan était ‘’vivre (à la maison, Ndlr) ou périr’’.

Ainsi, des premières vagues sont revenues dans les villages abandonnés, encouragées par la présence de quelques personnes dans d’autres villages environnants comme Niadhiou dont les populations sont revenues depuis des années et ont repris leurs activités d’antan. Mais, contrairement à ce que les revenants croyaient, les éléments du Mfdc avaient une autre perception de ce retour amorcé. En fait, ces derniers, considérant que ce retour allait les exposer, ont vite fait d’envoyer des signaux aux villageois pour leur signifier qu’ils ne sont pas les bienvenus. Par conséquent, ils devaient quitter la zone au risque d’y laisser leur vie.

Un regain de violences de part et d’autre

Et face à la détermination des populations, les indépendantistes lanceront une série d’exactions pour dissuader les plus récalcitrants. Ce qui a fait réagir l’armée qui tenait, elle aussi, à accompagner les exilés afin qu’ils puissent se réinstaller. D’où les premiers accrochages dans la zone l’an dernier. Et depuis ces premiers accrochages, la violence n’a cessé de monter crescendo dans toute cette partie de la Casamance. Une violence qui a fait de nombreuses victimes de part et d’autre.

On se rappelle par exemple de ce véhicule de l’armée qui avait sauté sur une mine l’année dernière sur la route de Bissine ou encore de la disparition des trois jeunes du village de Niadhiou (les corps de deux d’entre eux ont été récemment découverts par l’armée dans la forêt de Bilass tandis que le troisième est jusque-là introuvable). C’est sûrement cette exaction de trop qui a amené les militaires à lancer l’opération de ratissage qui vient de se dérouler dans cette zone.

Une opération qui, selon le commandement de la zone militaire sud (Ziguinchor), a permis de nettoyer plusieurs bastions des indépendantistes. Mais contrairement à ce que pense une certaine opinion, les combattants du Mfdc qui sont à l’origine de cette violence ne sont pas du camp de César Atoute Badiate, le chef de la faction de Kassolol (frontière sud-ouest de la Guinée-Bissau), considéré comme étant le chef suprême du front sud.

Tractations entre rebelles
Il s’agit plutôt des éléments de la faction de Sikoun, une localité située dans le département de Goudomp, plus au nord. Ce groupe d’indépendantistes est plus ou moins indépendants de César. D’ailleurs, cette faction avait été fondée pour être autonome. Elle procède de l’initiative de sages et de vieux combattants du Mfdc qui voulaient à tout prix ramener Ousmane Niantang Diatta dans le maquis, après que ce dernier avait choisi de retourner dans la vie civile à cause de nombreuses bisbilles qu’il avait eues avec le commandement, lors de l’intronisation de Salif Sadio comme chef du maquis en 1994.

En fait, selon des sources bien au fait des choses, lors de l’intronisation de Salif Sadio par les combattants avec la bénédiction de certains responsables du bureau national du Mfdc comme Sanoun Bodian à la place de Léopold Sagna il y avait eu des tiraillements pour le poste de premier adjoint qui devait revenir légitimement à Niantang vu son rang. Pour rappel, Sadio avait été choisi pour remplacer Léopold Sagna parce que ce dernier avait commis le « crime » d’avoir accepté de rencontrer le président Abdou Diouf au palais présidentiel à Dakar en 1994.

Pour en revenir aux tiraillements qui avaient marqué la succession de Léopold, le père de Zakaria Goudiaby, aidé par une frange du maquis qui avait milité pour l’intronisation de Salif Sadio, avait exigé, en retour, que ce dernier nomme Zakaria comme premier adjoint. Ce qui, de facto, excluait Niantang de la position de numéro 2 de Salif. En fait Niantang et Zakaria Goudiaby sont non seulement originaires du même village de Tendouck (département de Bignona), mais encore sont d’une même famille. Et dans la tradition locale, les membres d’une même famille ne peuvent se retrouver dans un même commandement en cas de guerre.

Ainsi Niantang, qui avait considéré le choix de Zakaria à son détriment comme une trahison, avait pris armes et bagages pour se retirer dans le village bissau-guinéen de Érhamé où il pratiquait le métier de tradipraticien mais sans se faire oublier pour autant. Et notamment par les sages et vieux combattants qui estimaient que c’était un gâchis, vu toutes ses capacités mystiques, que Niantang, un des tout premiers combattants du Mfdc à avoir gagné le maquis en 1983, prenne du recul par rapport à la lutte pour l’indépendance.

Ainsi, des démarches secrètes avaient été engagées entre la Guinée-Bissau, Ziguinchor et Bignona pour le faire revenir dans le maquis. Un retour qu’il avait accepté en fin de compte mais en posant une condition : qu’on lui donne le commandement du front sud. Une exigence rejetée par César Badiate qui n’entendait pas céder son fauteuil. Et comme ces sages voulaient le faire revenir à tout prix dans le maquis, l’idée de créer une nouvelle faction fut adoptée et c’est ainsi que Niantang et ses fidèles sont allés s’installer à Sikoun, qui est une ancienne base qui existait depuis le règne de Salif Sadio, mais abandonnée quand ce dernier avait été contraint de migrer vers le nord (frontière gambienne) suite à sa déconvenue lors des affrontements contre les éléments de César Badiate soutenus par l’armée bissau-guinéenne, commandée à l’époque par le général Tagme Batistuta Na Way.

C’était en 2006. Ils seront rejoints, un peu plus tard, par des éléments qui ont déserté le camp de César, après la déroute subie face à l’armée sénégalaise dans le village de Baraf, situé à quelques kilomètres à l’ouest de Ziguinchor en 2009.

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Exit Niantang
Ces derniers reprochaient à César de les avoir livrés à l’ennemi car n’ayant pas répondu à leur appel au secours en envoyant des renforts, alors qu’ils étaient en mauvaise posture. Donc, cette faction évoluait en solo et se donnait le même statut que celle de César ou de Salif. Vers 2010, Niantang est tombé gravement malade mais n’avait aucun moyen de se soigner compte tenu de son isolement.

Des intermédiaires, avec la complicité de l’ex-secrétaire général du Mfdc, Ansoumana Badji, réussiront à convaincre le président Wade de faire quelque chose. Aussi, il quittera le maquis pour aller officiellement se faire soigner dans la ville bissau-guinéenne de Canthunku, mais en réalité il y avait un avion qui l’attendait à l’aéroport de Bissau pour l’acheminer à Dakar.

Face à la gravité de sa maladie, décision fut prise d’évacuer Niantang en Espagne où il avait été soigné. Seulement voilà, quand cette information parvint à ses combattants, ils décidèrent de le remplacer pour trahison. Et Ibrahim Kompasse Diatta, originaire du village de Thionck-Essyl, fut choisi pour le remplacer. Celui-ci était donc le patron de la base de Sikoun jusqu’à l’année dernière avant d’être désavoué par une bonne partie de ses hommes au motif qu’il rencontrait souvent des émissaires qui jouent le rôle d’intermédiaires entre le gouvernement et le Mfdc pour une paix définitive en Casamance.

Les dissidents sont alors allés créer un nouveau maquis autour d’un certain Adama Sané dont les origines seraient le village de Bagaya, très respecté dans la tradition locale. Selon beaucoup de sources, c’est ce groupe radical qui s’opposerait farouchement à tout retour des populations dans la zone citée. C’est ce groupe qui vient d’être chassé de Sikoun par l’armée. Quant à Kompasse, il se serait retiré pour fonder quelque part une nouvelle entité avec quelques combattants qui lui sont restés fidèles.

Quelle est l’attitude de César  et ses fidèles dans cette situation ? 
Pour l’instant, on dispose de peu d’informations à ce sujet. Tout ce que l’on sait c’est que Badiate ne porte pas Salif Sadio dans son coeur. Cette animosité entre le chef de la faction de Kassolol et M. Sadio dure depuis plus de deux décennies. À l’origine, en 1998, l’abbé Diamacoune, qui n’a jamais cautionné que Salif Sadio soit le chef du maquis, avait demandé à Léopold Sagna qui vivait tranquillement à Ziguinchor depuis des années après sa défenestration, de retourner dans le maquis pour reprendre le commandement des mains de Salif Sadio.

Hélas, quand Léopold est retourné dans la forêt, il avait été mis aux arrêts avec presque tous ses fidèles sur ordre de Salif Sadio et gardé dans un bunker avant d’être exécuté quelques jours plus tard. César Atoute Badiate avait été l’un de rares fidèles de Léopold à avoir échappé à ces exécutions qui s’étaient soldées par la mort de près de 30 responsables de la rébellion, tous proches de l’ancien chef d’état-major. César et certains de ses amis avaient trouvé refuge dans la localité bissau-guinéenne de Ingorre où un matin, ils avaient été attaqués par un commando envoyé par Salif Sadio.

César avait réussi à s’échapper mais avait reçu un violent coup au niveau de son œil gauche qu’il a failli perdre. N’ayant pas digéré cet affront, l’abbé Diamacoune avait trouvé une autre stratégie pour évincer Salif Sadio. C’est ainsi qu’en 2000, alors que les Sénégalais étaient pris dans le tourbillon du second tour de l’élection présidentielle entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, le prélat s’était rendu en Guinée-Bissau pour préparer la contre-offensive. Il fut aidé par le régime de Coumba Yalah qui avait mis toute la logistique nécessaire à la disposition des combattants du Mfdc chargés d’exécuter cette mission. Des combattants qui avaient à leur tête César Atoute Badiate qui est un neveu direct de l’abbé Diamacoune.

Cette expédition a eu lieu le 28 décembre à l’aube. César et ses fidèles, bien armés et venus par des pirogues motorisées, avaient lancé un assaut contre la base stratégique de Salif Sadio de Kassolol qu’ils réussiront à prendre après quelques heures d’affrontements. Les affrontements vont reprendre quelque temps après et dureront plusieurs semaines. Les combattants de César, soutenus par l’armée bissau-guinéenne, prendront toutes les petites bases de M. Sadio, éparpillées dans cette zone et obligeront ses quelques éléments qui avaient réussi à s’échapper à se replier à Baraka Manjoka, le quartier général de M. Sadio.

Après plusieurs années de répit, de nouveaux affrontements éclateront de nouveau entre les deux camps ennemis en 2006. Là encore, César a bénéficié d’un appui considérable de l’armée bissau-guinéenne qui avait envoyé des troupes au front. Un état-major sera installé à cet effet à Sao Domingos pour mieux s’approcher des bases de Salif. C’est dans ces conditions que ce dernier avait perdu toutes ses bases au sud et avait été contraint de rejoindre le nord où il avait des postes avancés qui étaient sous le commandement de Vieux Faye, Zakaria Goudiaby et Alansana Guorgui Djiba.

C’est depuis cet épisode que Salif Sadio et César sont des ennemis jurés. D’ailleurs, pour montrer son animosité à l’égard de Badiate, Salif avait détruit toutes les bases du Front Nord fidèles à Badiate. Pour l’instant, seule la faction de Diakaye (front nord) commandée actuellement par un certain Fatoma Coly a officiellement exprimé son soutien aux éléments chassés de Sikoun par l’Armée. Ce qui laisse croire que Adama Sané et ses fidèles sont en train de se rapprocher de César car ce dernier — et non Salif Sadio — est reconnu par les éléments de Diakaye comme étant le vrai chef du maquis. 
Le Témoin 

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