Des milliards pour l’éducation seront plus efficaces que des armes

06 - Octobre - 2016

LE CERCLE Résoudre le problème des centaines de millions d’enfants non scolarisés sera beaucoup plus efficace à terme pour notre sécurité que la course aux armements dans laquelle se lance à nouveau le monde.

Le déséquilibre entre les sommes que les Etats-Unis consacrent à l’éducation mondiale et celles consacrées directement ou indirectement à la défense est vertigineux : 1 milliard par an pour l’éducation, 900 milliards de dollars pour la défense. Ces 900 milliards incluent le budget du Pentagone (600 milliards de dollars), celui de la CIA et des autres agences de renseignement (60 milliards), celui consacré à la sécurité intérieure (50 milliards), à l’armement nucléaire hors Pentagone (30 milliards) et aux anciens combattants (160 milliards).

Quel homme politique ou responsable politique américain peut raisonnablement croire que des dépenses de défense 900 fois plus élevées que celles consacrées à l’éducation mondiale permettent d’assurer la sécurité nationale ? Les Etats-Unis ne sont pas les seuls dans leur cas. L’Arabie saoudite, l’Iran et Israël gaspillent des sommes colossales dans l’accélération de la course aux armements au Moyen-Orient. La Chine et la Russie augmentent à toute vitesse leurs dépenses militaires, malgré des urgences sur le plan intérieur. Les grandes puissances se lancent dans une nouvelle course aux armements alors que nous aurions besoin d’une course pacifique à l’éducation et au développement durable

Avec des centaines de millions d’enfants non scolarisés dans le monde ou ne disposant que d’enseignants sous-qualifiés, un manque d’ordinateurs, des classes surchargées et l’absence d’électricité, de nombreuses parties du monde vont être confrontées à des instabilités considérables, au chômage et à la pauvreté.

Plusieurs rapports internationaux récents, notamment deux d’entre eux publiés en septembre (celui de l’UNESCO et celui de la Commission internationale sur le financement de l’éducation mondiale présidée par l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown), évaluent à 4 milliards de dollars seulement l’aide à l’éducation primaire et secondaire au niveau mondial alors que les besoins s’élèvent à 40 milliards. Seule cette multiplication par 10 du financement permettrait aux pays pauvres d’assurer une éducation primaire et secondaire à toute leur jeunesse. C’est pourquoi dès cette année, les Etats-Unis et les autres pays riches devraient créer le FME et le financer par une diminution des dépenses militaires.

Soutenir la création du FME

Si Hillary Clinton, la probable prochaine présidente américaine, croit sincèrement à la paix et au développement durable, elle doit annoncer son intention de soutenir la création du FME, à l’image du président George W. Bush qui a été en 2001 le premier chef d’Etat à soutenir la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Elle devrait appeler la Chine et d’autres pays à se joindre à ce projet multilatéral. L’alternative – continuer à consacrer des sommes énormes à la défense plutôt qu’à l’éducation mondiale – condamnerait les Etats-Unis au statut de puissance impériale en déclin cramponnée tragiquement à ses centaines de bases militaires à travers le monde, à ses dizaines de milliards de vente d’armes annuelles et à des guerres incessantes.

En l’absence du FME, les pays pauvres n’auront pas les moyens d’éduquer leur jeunesse, de même qu’ils n’ont pu financer la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avant la création du Fonds mondial.

Voici en quelques chiffres le défi budgétaire tel qu’il se présente : la scolarisation d’un enfant dans les pays pauvres s’élève au moins à 250 dollars par an, mais ces pays ne peuvent y consacrer en moyenne que 90 dollars. Le manque s’élève donc à 160 dollars par enfant pour quelques 240 millions d’enfants, soit environ 40 milliards de dollars par an.

Les conséquences de l’insuffisance de financement de l’éducation sont tragiques. Les enfants quittent l’école très tôt, souvent sans savoir lire ou écrire. Ils rejoignent alors souvent des gangs, des trafiquants de drogue ou même des groupes jihadistes. Les filles se marient et très jeunes ont des enfants. Les taux de fertilité restent élevés et il est peu probable que les enfants de ces mères (et pères) pauvres et peu éduqués échappent à la pauvreté.

Instabilité politique

Une scolarisation insuffisante ou inexistante qui ne permet pas d’accéder à un emploi correctement rémunéré débouche sur l’instabilité politique, l’émigration de masse, aux drogues, au trafic d’êtres humains et aux conflits ethniques.

Certains critiques disent qu’un fond pour l’éducation sera gaspillé. Mais ils proclamaient exactement la même chose au sujet de la lutte contre les maladies en 2000 lorsque j’ai proposé d’augmenter le financement de la santé publique. Pourtant 16 ans plus tard la santé a été améliorée et le Fonds mondial est un grand succès.

Pour parvenir à un résultat similaire dans l’éducation, les Etats-Unis et d’autres pays devraient collaborer à la création d’un fonds unique auquel les pays pauvres soumettront des propositions d’actions. Une commission technique non politique sélectionnerait alors celles qui seront financées. Le FME contrôlerait et évaluerait leur application.

Le temps est venu d’adopter une stratégie plus raisonnable, humaine et professionnelle en réduisant les dépenses consacrées aux guerres, aux coups d’Etat et à l’armement. L’éducation de la jeunesse est le chemin le plus sûr – le seul chemin – qui conduise à un développement mondial durable.

Jeffrey D. Sachs est directeur de l’institut de la Terre à l’université Columbia. Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate, 2016.

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