Etre Sénégalais n’est-ce pas déjà une bonne excuse ? (Par Jean Marie François Biagui)

24 - Juin - 2019

Le système. Ah ! le système. « Le système, d’après Jean d’Ormesson, c’est ce monde que nous avons tricoté tous ensemble et où nous sommes condamnés à vivre avant de faire comme les autres et de nous en aller pour de bon. »

Or, les Sénégalais ont leur système. Ils sont dans leur système, le leur propre.

En effet, tout le monde le sait et le voit, les Sénégalais sont en prison. Ils sont dans une prison à ciel ouvert, tout enchainés qu’ils sont par le complexe du coup d’Etat et de l’insurrection. Et ils acceptent leur condition.

C’est au Sénégal où l’on crée et où l’on chante les plus beaux hymnes à la liberté. « N’importe quel tyran est capable de faire chanter à ses esclaves des hymnes à la liberté », suggérait jadis Jeanne Hersch.

L’histoire du Sénégal, même revisitée par le professeur Iba Der Thiam, n’en recèle aucun. Senghor n’était pas un tyran. Diouf non plus. Wade non plus. Macky Sall n’en est pas un non plus. C’est que les Sénégalais ne sont pas des esclaves, mais des prisonniers qui aiment leur condition.

C’est au Sénégal, aussi, où la démocratie s’accommode fort bien d’une guerre, le conflit en Casamance, depuis près de 37 ans. Les Sénégalais s’y sont habitués. Ils s’y complaisent. Car le système fonctionne, comme aucun autre système dans le monde.

Tenez, on peut être un indépendantiste corse, ou néocalédonien, ou encore guadeloupéen, en France. On peut également être un indépendantiste québécois au Canada. Mieux, les Sénégalais sont parmi les tout premiers à reconnaître aux Sahraouis du Maroc leur droit à l’autodétermination. Mais, au Sénégal, on ne peut pas être un indépendantiste casamançais. Car c’est un délit, voire un crime.

A la vérité, les Sénégalais ont des problèmes avec le vrai ou le réel.

Quand, dans la Genèse, Caïn tue son frère Abel, l’auteur du livre saint admet que le premier a bien commis un crime, mais il se gardera bien volontiers d’affirmer qu’avec l’assassinat d’Abel, c’est ¼ de l’humanité qui est éliminé, en fait un crime contre l’humanité, le 1er d’une longue liste.

Suggérez une telle lecture de ce passage de la Genèse aux Sénégalais. Mais suggérez-leur, aussi, que vous y voyez ou entendez plutôt une métaphore, qui préfigure déjà, par exemple, l’élimination politique d’un Karim Wade, ou d’un Khalifa Sall, par leur frère, un certain Macky Sall ; et qu’ainsi leur élimination politique est un crime politique, qui plus est contre l’humanité, au regard précisément de leur potentiel politique respectif.

Faites-le donc, et les Sénégalais vous cloueront au pilori, sans aucune autre forme de procès, parce qu’ils ont des relations difficiles avec la vérité.

Pis, ou mieux, c’est selon, les Sénégalais élèveront Macky Sall bien au-dessus de tous. Ils le mettront sur le pinacle. Malgré donc ou à cause même de cela.

Cependant, pour paraphraser un propos de Jean d’Ormesson, encore lui, admettons qu’il y a tout de même une justice sur Terre : on ne peut pas à la fois être sur le pinacle et avoir du génie. A ne pas confondre avec le talent.

En l’occurrence, c’est à la faveur de son talent, doublé certainement d’un soupçon de chance ou de hasard, que les Sénégalais ont placé Macky Sall sur le pinacle. Mais s’il avait du génie, il s’abaisserait aussitôt pour y mettre la Justice.

Si Macky Sall avait du génie, il repenserait le Sénégal ou, à tout le moins, il penserait le Sénégal, vraiment. Comment dès lors penser vraiment le Sénégal sans trouver à terme la solution au douloureux « problème casamançais », tant il est vrai que, « avec la pensée, nous associons des réalités bien éloignées l’une de l’autre et en créons ainsi de nouvelles »(Markus Gabriel) ?

S’il avait du génie, Macky Sall ne créerait pas ‘‘politique’’ son frère Aliou Sall, ni aucun autre membre de sa famille ou belle-famille, sous aucun prétexte.

Si Macky Sall avait du génie, le « scandale du pétrole et du gaz » n’aurait pas lieu. Sauf que l’opportunité de sa « révélation » et de sa large diffusion par la BBC pose problème.

En effet, à peine le président Macky Sall est-il reconduit dans ses fonctions par une majorité confortable de l’électorat sénégalais, que, déjà, l’on fait exploser cette bombe. C'est-à-dire au tout début, mais guère au milieu, encore moins vers la fin de son 2nd mandat.

Ah ! le veinard. Macky Sall, assurément, est un homme très chanceux : pour sûr, il s’en tirera à bon compte, une fois encore. Donc, point de ‘‘23 Juin’’* sous le président Macky Sall !

En attendant, les Sénégalais, depuis leur prison à ciel ouvert, faute de mieux ou de pire, se morfondent et se confondent en excuses : ‘‘Après tout, nous sommes Sénégalais !’’

Ainsi, donc, les Sénégalais peuvent-ils ressasser leur condition, plutôt confortable, à longueur du temps et de l’histoire, la leur propre.

Dakar, le 23 juin 2019.

Jean-Marie François BIAGUI
Président du Parti Social-Fédéraliste (PSF)
(*) Nom donné à la révolution inachevée ou mal-achevée du 23 juin 2011.

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

14 - Février - 2025

Me Baboucar Cissé : « Pour le moment, Farba Ngom n’est pas dans une position d’inculpation »

« Le juge nous a reçus, mais il ne nous a pas posé de questions, car nous ne sommes pas encore dans la phase d’inculpation. Nous sommes plutôt dans la phase de la...

14 - Février - 2025

Mort de l'étudiant Matar Diagne : L'enquête confirme la thèse du suicide

Les véritables causes de la mort de l'étudiant Matar Diagne ont été enfin établies ce jeudi 13 février 2025. Le rapport médical transmis à...

14 - Février - 2025

DGE: Trois millions de Sénégalais sans données électorales malgré leur carte biométrique

Chaque année, la révision des listes électorales est une obligation prévue par l’article L37 du Code électoral. « Pour cette année, du 1er...

13 - Février - 2025

Arrestations arbitraires sous Macky Sall : acquittement de tous les militaires accusés d’être proches du MFDC

Dans leur honteuse stratégie de garder le pouvoir à tout prix et d'installer un climat de terreur, le régime de Macky Sall, entre 2021 et 2024, a envoyé plus d'un...

13 - Février - 2025

Reconstruction du pont Émile Badiane : La énième promesse

Entre 2017 et 2024, le régime de Macky Sall, lors de ses conseils des ministres hebdomadaires au palais de la République, a fait sept communiqués pour promettre la...